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Intervention de Alain Claeys

Réunion du 23 juillet 2007 à 15h00
Libertés et responsabilités des universités — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys :

Madame la ministre, notre attitude sera constructive. Je vais simplement vous dire ce qui devait, selon nous, figurer dans ce texte. Je vous dirai aussi clairement ce qui nous pose problème dans le projet de loi que le Gouvernement a déposé, tel qu'il a été amendé par le Sénat puis par la commission des affaires culturelles de notre assemblée.

La réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche devrait avoir pour première priorité la lutte contre la précarité. Le constat est connu et les solutions existent : il y a moins d'un an, un député UMP, aujourd'hui porte-parole du Gouvernement, présentait un rapport d'information très complet sur la situation de précarité des étudiants. Certes, ce chantier est renvoyé à plus tard, madame la ministre, mais l'aborder dans le cadre de la réforme des universités et de la recherche aurait été un signe fort. Pour s'attaquer à la précarité, il faudrait revoir la structure des bourses – dont on sait qu'il ne suffit pas de les augmenter – et réfléchir à un revenu étudiant. Il faudrait également remédier aux difficultés rencontrées par les villes universitaires pour développer le logement étudiant et résoudre le problème des cautions locatives.

Autant de sujets prioritaires qui sont absents de votre projet de loi. Rappelons-nous pourtant le message que les étudiants et leurs familles nous ont adressé au moment de la crise du CPE. Je me souviens ainsi d'avoir vu défiler ensemble, à Poitiers, des personnes appartenant à trois générations différentes, toutes frappées par la précarité et subissant le travail à temps partiel. On ne peut pas aborder la modernisation de nos universités sans s'attaquer au chantier de la précarité.

La deuxième priorité est l'amélioration de la lisibilité de notre système d'enseignement supérieur et de recherche à l'échelle internationale. Nous connaissons tous la spécificité du dispositif français – dans lequel coexistent les organismes de recherche, les universités et les grandes écoles – et la confusion des pouvoirs qui en résulte, puisque 80 % de la recherche se fait dans l'université. Récemment, on a encore ajouté à ces différentes institutions – et je ne conteste pas forcément la démarche – l'Agence nationale pour la recherche, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur et l'Agence pour l'innovation. Avant de donner plus de pouvoirs aux présidents d'université ou aux conseils d'administration, encore faudrait-il leur permettre de se situer dans ce dispositif. Pensez-vous qu'il soit simple, aujourd'hui, pour un président d'université de distinguer clairement entre ses propres responsabilités et celles d'un laboratoire de recherche ? La question de la place des classes préparatoires dans la formation universitaire est également importante : doivent-elles être rattachées à terme aux universités – et dans ce cas à quel niveau – ou demeureront-elles ce qu'elles sont ?

Troisième priorité, les doctorants et les post-doc. Je ne peux que rappeler, à ce sujet, le débat que nous avons eu lors de l'examen du projet de loi sur la recherche. Nous avions indiqué alors qu'il fallait aider les doctorants dans leur parcours et faire en sorte qu'ils soient plus nombreux à jouer un rôle dans notre économie, comme c'est le cas en Allemagne notamment. Aujourd'hui, un ingénieur qui sort d'une grande école ne voit pas l'intérêt de faire une thèse. Pierre Cohen et moi-même avions déposé un amendement afin que le titre de docteur soit reconnu dans les conventions collectives, car le nombre des doctorants conditionne la qualité et le niveau de notre recherche. Quant aux post-doc, il faut inciter ces jeunes, qui ont décidé d'étudier à l'étranger pendant un ou deux ans après leur thèse, à revenir en France afin qu'ils fassent profiter notre pays de leurs acquis.

Le quatrième sujet que je souhaite évoquer a été longuement abordé par vous-même, madame la ministre, ainsi que par le rapporteur et par le président de la commission. Il s'agit de l'échec au cours du premier cycle universitaire. On se satisfait de cette sélection par l'échec, alors qu'elle représente un drame humain pour celles et ceux qui sont concernés et un coût pour la collectivité. Comment faire l'impasse sur ce problème lorsqu'on parle de réforme des universités ? Pourtant, votre projet de loi ne comporte aucune mesure susceptible de le résoudre, et je le regrette vivement. Pour lutter contre l'échec au cours du premier cycle universitaire, il faudrait améliorer le taux d'encadrement ainsi que l'orientation et, encore une fois, réduire la précarité. Quand on compare le taux d'encadrement en classe préparatoire et en première année à l'université, on mesure l'importance de ce facteur.

Telles sont les quatre priorités qui auraient dû former l'ossature de votre projet de loi sur la réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche, madame la ministre. Vous le savez si bien que vous les avez longuement abordées dans votre intervention, tout comme le rapporteur.

Je ne peux pas passer sous silence le volet financier. Dans une semaine, nous sortirons de cette session extraordinaire avec – je vous le dis en toute franchise, madame la ministre – un sentiment de malaise. Votre majorité aura voté six milliards d'avantages fiscaux au profit d'une minorité. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est un choix, mais le déficit du budget de l'État s'élève à quarante milliards et celui de l'assurance maladie à treize milliards. Alors que le Président de la République avait, lors de la campagne présidentielle, désigné l'enseignement supérieur et la recherche comme la priorité des priorités, vous n'avez prévu aucun collectif au cours de cette session extraordinaire et donc aucun euro supplémentaire en faveur de l'enseignement supérieur et la recherche. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) C'est un mauvais signe pour les universitaires et les étudiants. Le Gouvernement aurait dû inscrire dans un collectif budgétaire la somme nécessaire à l'application de cette réforme.

Comme, en outre, je doute de l'efficacité économique des mesures prises par votre majorité, je me demande comment le Président de la République et le Gouvernement pourront tenir leurs promesses si, demain, la croissance n'est pas au rendez-vous et si l'Europe nous rappelle à nos devoirs ?

J'en viens à la gouvernance, sujet qui me passionne. Ainsi que vous l'avez rappelé, j'ai rédigé avec Michel Bouvard, avec lequel j'ai eu beaucoup de plaisir à travailler – et je remercie le président Méhaignerie de nous avoir laissé toute liberté – un rapport de la commission des finances sur ce sujet. Nous avons travaillé dans le cadre de la LOLF, après la publication d'un rapport de la Cour des comptes. Il ne s'agissait pas, pour nous, de rédiger un projet de loi, mais de traiter de la gouvernance. Nous l'avons fait le plus objectivement possible et je me réjouis que certaines des mesures techniques que nous avons proposées soient reprises dans votre projet de loi. Mais, encore une fois, nous ne prétendions pas réformer l'université et nous avions bien souligné, tout comme le président de la Cour des comptes, que si la réforme de la gouvernance était importante, elle devait être précédée d'autres réformes, notamment celle des dotations des universités et la lutte contre la précarité étudiante.

À quoi sert-il en effet de renforcer les pouvoirs du président ou du conseil d'administration si les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous, si la précarité est toujours aussi importante, si le taux d'échec en premier cycle ne diminue pas et si la situation des doctorants et des post-doc reste la même ? L'État est absent de cette réforme – ce qui pose d'ailleurs un problème constitutionnel, puisqu'il est le garant de l'égalité des chances. Dès lors, deux interprétations sont possibles : soit ce projet de loi est un texte technique insuffisant, soit il cache autre chose.

En ce qui concerne la gouvernance, nous sommes d'accord pour donner plus de pouvoirs aux présidents et aux conseils d'administration, à condition qu'il y ait plus de démocratie dans les conseils d'administration et que soient clarifiées les relations entre l'État et les universités. Pour cela, il faut faire une place plus importante au contrat et insister, en contrepartie, sur l'évaluation. Or on sait très bien que, actuellement, la direction de l'enseignement supérieur – et ce n'est pas une critique – ne peut pas évaluer plus de dix-neuf contrats par an. Il arrive ainsi qu'un contrat soit exécuté sans que le précédent ait été évalué ou qu'un autre soit signé deux ans après sa mise en oeuvre.

J'en viens au texte lui-même. Parmi les dispositions qui posent problème figure tout d'abord l'article 11. Celui-ci dispose en effet que les conseils d'administration peuvent créer des UFR. Or c'est de la responsabilité de l'État. Puisque vous vous êtes référée au rapport que j'ai rédigé avec M. Bouvard, madame la ministre, je me permets de vous renvoyer à notre proposition n° 21, laquelle suggère que la création d'UFR pourrait être négociée dans le cadre du contrat entre l'université et l'État, mais qu'un décret devrait être publié. On peut en débattre, mais il me paraît normal que l'État joue ce rôle, dans la mesure où il a une vision d'ensemble qui dépasse les frontières de l'université.

Le deuxième sujet que nous souhaitons aborder est un sujet grave, celui des emplois statutaires et contractuels, traité par les articles 15 et 16 du projet de loi. En ce qui concerne les emplois administratifs, nous préconisons une règle simple : que les universités ne puissent avoir recours à ces emplois que pour les métiers qui n'existent pas dans la fonction publique. Pour ce qui est des enseignants-chercheurs, un sujet-clé, j'ai eu quelques inquiétudes à la lecture de l'amendement que M. le rapporteur nous a proposé en commission. L'article 15 dans sa rédaction actuelle, c'est-à-dire modifié par un amendement du Sénat – dont les socialistes ont eu à un moment donné la tentation de se satisfaire, avant de s'y opposer fermement –, comme l'article 16 comportent un risque important, celui de voir les emplois contractuels se substituer progressivement au statut public des enseignants-chercheurs, surtout si les budgets de l'État ne sont pas au rendez-vous. Nous sommes responsables devant la communauté universitaire et, au-delà même du problème constitutionnel, nous ne pouvons en aucun cas accepter de laisser planer un tel doute. Il est donc absolument nécessaire de clarifier les choses, madame la ministre, surtout depuis que M. le rapporteur a proposé un amendement visant à ce que le pourcentage de masse salariale pouvant être consacré au recrutement d'enseignants-chercheurs contractuels ne prenne pas en compte les rémunérations provenant des fondations – ce qui, à nos yeux, ne peut qu'aggraver la situation.

À la demande des présidents d'université, vous avez abandonné l'expérimentation, sauf pour les biens immobiliers. Il me semble qu'il ne peut y avoir une convention de transfert sur les biens immobiliers s'il n'a pas été procédé préalablement à une évaluation précise de ces biens. En disant cela, je défends les universitaires mais aussi les collectivités locales, vers lesquelles les universités ne tarderaient pas à se tourner si le transfert devait s'opérer dans ces conditions. Pour que votre engagement de non-expérimentation puisse être tenu, madame la ministre, il faut remettre à plat la dotation globale de fonctionnement pour les universités sur des critères objectifs. Il est indispensable de revoir ces critères en tenant compte notamment de la structure sociale des universités, du nombre d'étudiants en première année ou du nombre de diplômés.

En défendant cette exception d'irrecevabilité, nous avons dit ce que nous aurions souhaité voir figurer dans le projet de loi et qui n'y figure pas. De même, nous avons précisé ce qui, à nos yeux, devait être modifié, notamment en raison de risques sérieux sur le plan constitutionnel – je pense aux articles 11 et 15, mais aussi aux articles 5 et 6.

Nous attendions beaucoup de ce projet de loi, madame la ministre. Malheureusement, la réforme attendue n'est pas au rendez-vous, parce que vous avez considéré que la gouvernance était un préalable. Nous estimons pour notre part que la priorité aurait consisté à mettre fin aux ambiguïtés qui persistent dans notre système d'enseignement supérieur et de recherche et sont la source de l'insupportable situation actuelle, marquée par la précarité et l'échec. Tant que ces sujets n'auront pas été traités, vous pourrez donner autant de pouvoir que vous le voudrez aux présidents et aux conseils d'administration, le malaise dans les universités et le système d'enseignement supérieur demeurera.

Nous essaierons d'être aussi constructifs que possible durant le débat, mais nous souhaitons que cette exception d'irrecevabilité soit votée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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