D'autre part, notre amendement vise les écosystèmes locaux, à savoir cet équilibre subtil entre, d'une part, la roche, les sols et le climat et, d'autre part, le vivant – organismes et microorganismes. Dans des écosystèmes tels que, par exemple, les causses du Massif Central, des espèces vivent en harmonie, en lien d'ailleurs avec les structures agricoles particulières que j'ai déjà mentionnées. Or, là encore, la mise en culture d'OGM peut entraîner de grands bouleversements en étendant des zones agricoles qui pourraient empiéter sur les espaces naturels et en entraînant une pollution génétique vers des espèces sauvages, qui remettrait en cause l'existence même de celles-ci. C'est alors la biodiversité qui serait atteinte, à une époque où elle souffre déjà de tant de pollutions et de l'artificialisation des sols.
Enfin, notre amendement vise les filières de production et commerciales « sans OGM ». Il s'agit là de productions agricoles spécifiques, traçables et identifiables, telles que les emblématiques appellations « AOC », « Label rouge » et « agriculture biologique » ou les labels européens. Il s'agit également des filières de vente, qui concernent les labels les plus connus, mais aussi des filières de qualité créées par des acteurs privés comme la grande distribution. Notre amendement vise à inciter à protéger une pratique déjà répandue, qui consiste à prévoir dans les cahiers des charges que le produit concerné est sans OGM, mais aussi, par exemple, que les animaux à partir desquels il est élaboré ont été nourris avec des aliments ou compléments alimentaires sans OGM.
Je prendrai l'exemple d'un fromage de ma région : le Saint-Nectaire (Sourires), dont le cahier des charges stipule déjà que « les graines de céréales et leurs sous-produits, les graines entières protéagineuses et oléo-protéagineuses et leurs sous-produits, les racines, tubercules et leurs sous-produits devront être issus de cultures non-OGM et garantis comme tels. » À une époque où 85 % des importations d'aliments pour animaux d'élevage sont des végétaux transgéniques d'Amérique latine et d'ailleurs, cette stipulation du cahier des charges est essentielle. Elle promeut en effet des circuits courts d'alimentation du bétail à partir de fourrages issus de la région même de production du fromage et participe ainsi à la souveraineté alimentaire de notre pays. Il est précisé dans ce cahier des charges, j'y insiste, que les cultures non-OGM sont « garanties comme telles ». Cette précision est importante. Ainsi, les fourrages concernés devront être exempts d'OGM, même présents de manière accidentelle, ce qui pose la question de la coexistence des cultures. Si l'on veut que le label AOC soit maintenu, les parcelles avoisinantes devront être également non-OGM, car la dissémination de pollens vers les cultures proches est un phénomène bien connu. Pour faire respecter le cahier des charges du Saint-Nectaire, il sera donc sans doute nécessaire que la totalité des territoires sur lesquels ce fromage est produit, et non pas seulement les propriétés des adhérents à l'AOC, soit exempte de telles cultures, ainsi que les zones contiguës, à savoir une bonne centaine de communes du Puy-de-Dôme et du Cantal.
Bref, avec l'appel au respect de la diversité de nos milieux naturels, du savoir-faire paysan et de notre patrimoine agricole et culturel, cet amendement porte en germe un modèle agricole qui est tout simplement incompatible avec celui que les libéraux de l'OMC et de l'Union européenne veulent imposer à la planète – celui d'une agriculture industrialisée, standardisée, américanisée, mettant le monde paysan en coupe réglée au bénéfice des intérêts mercantiles d'un petit nombre, d'une économie productiviste ignorant que les attaques contre l'exploitation familiale et les structures sociales du monde rural fragilisent autant les écosystèmes que les hommes, l'environnement que la qualité de vie rurale.
Pour autant, notre amendement n'excluait pas mécaniquement l'ensemble du territoire français de la culture d'OGM, contrairement à ce qui a pu être affirmé ici et là, parfois par excès d'enthousiasme ou, a contrario, dans l'intention d'en préparer l'éviction du texte. Il aurait fallu pour cela préciser explicitement que tous les produits répondant à une appellation de type AOC ou label rouge excluaient, à quelque niveau que ce soit, l'utilisation d'OGM. J'aurais pour ma part soutenu une telle disposition ; mais il ne faut pas faire dire à cet amendement ce qu'il ne dit pas.
Pour les structures agricoles et les écosystèmes locaux, il est bien évident qu'une prise en compte systématique entraînerait une exclusion générale. En effet, l'ensemble du territoire national est bien évidemment composé de structures agricoles et d'écosystèmes locaux. Il est cependant tout à fait possible d'exclure certaines zones particulières de la culture d'OGM sur des critères à définir. Je rappellerai ainsi, à ce titre, que la directive Habitats de 1992 spécifiait déjà dans son annexe I divers « espaces naturels » particuliers à préserver. Ce travail de recensement a donc déjà été largement entrepris au niveau européen et peut servir de base à une exclusion de la culture d'OGM de certains territoires. Les gouvernements futurs pourront donc s'appuyer sur le principe énoncé dans notre amendement n° 252 pour établir une législation plus précise.
Si notre amendement a un mérite, c'est plutôt celui d'ouvrir la voie à l'exclusion des OGM de certains territoires, mais à condition qu'il soit, dans l'avenir, interprété comme il convient.
Dans son principe, il peut ainsi jouer en premier lieu un rôle d'orientation pour le Haut conseil des biotechnologies lui-même, qui devra nécessairement s'appuyer dans ses avis sur l'article 1er du projet de loi qui l'institue. Lorsque le Haut conseil rendra ses conclusions sur l'autorisation ou la non-autorisation de mises en culture d'OGM espèce par espèce, il devra ainsi prendre en compte l'implantation de ces espèces sur le parcellaire existant et les filières de production. L'avis rendu n'est pas seulement, en effet, un simple avis scientifique indépendant de toute réflexion sur le contexte écologique et économique. Suite à l'adoption d'un amendement en première lecture et malgré les faiblesses du texte, le collège économique, éthique et social rendra certes ses propres recommandations mais pourra aussi interpeller le collège scientifique en réunion plénière pour l'interroger sur l'utilité même des OGM en fonction de l'environnement naturel et agricole dans lequel ils s'inséreront. L'exigence de respect des structures agricoles, des écosystèmes locaux comme des filières de production devra alors guider la réflexion des deux collèges.
D'autre part, les différentes juridictions, en particulier administratives, pourront s'appuyer sur ce principe pour interdire la mise en culture des OGM dans certaines zones et pour certaines filières, car un simple principe n'en a pas moins une force juridique. Je rappelle ainsi que le fameux principe de précaution a joué ce rôle dès 1998, le Conseil d'État annulant sur ce fondement une autorisation de mise en culture d'OGM alors même qu'aucune législation ne l'y autorisait expressément. Dans la même logique, ce que j'appellerai le « principe de protection territoriale » que nous avons adopté avec l'amendement n° 252 peut jouer ce même rôle.
Enfin, comme je l'ai dit précédemment, ce nouveau principe donnera également une base juridique pour que les cahiers des charges de produits bénéficiant d'une AOC ou d'autres labels étendent l'absence d'OGM à certaines zones et filières. En cela, il constitue un encouragement important pour assurer une alimentation de qualité et le maintien de l'agriculture paysanne.
Bien que modéré, comme je viens de le montrer, l'amendement n° 252 a pourtant suscité une opposition farouche du Premier ministre. M. Fillon a ainsi déclaré juste après son adoption que cet amendement « n'aurait pas dû être voté » et qu'il s'engageait à ce qu'il soit « supprimé » en deuxième lecture, désavouant ainsi la position de sagesse de la secrétaire d'État à l'écologie. Si Nathalie Kosciusko-Morizet a été blâmée et punie (Mouvements sur divers bancs), c'est précisément pour avoir ouvert avec sagesse, à propos de cet amendement, un débat responsable et contradictoire – celui-là même, M. Borloo l'a encore reconnu tout à l'heure, qui a jusqu'à présent fait défaut sur la problématique des OGM, comme d'ailleurs sur le modèle agricole dont la France a besoin. L'exécutif était tenté de revenir sur une décision prise en dictant purement et simplement aux représentants du peuple les décisions souveraines qu'ils allaient prendre et les sénateurs étaient appelés par le chef du Gouvernement à supprimer cet amendement,
Cependant, une fois rendu public, l'amendement a très vite suscité une adhésion massive de l'opinion publique. Rappelons que la pétition électronique en sa faveur a jusqu'à présent reçu le soutien de plus de 40 000 personnes et qu'une très large majorité de nos concitoyens ont appuyé la prise de position courageuse de la secrétaire d'État à l'écologie. Aussi, sous la pression de l'opinion et après arbitrage du Président de la République, le Sénat a en définitive décidé de ne pas revenir sur notre formulation, tout en y accolant deux nouvelles phrases.
Encore nous faut-il éclaircir ce soir – et peut-être même demain soir – le sens véritable de l'amendement introduit par le Sénat. S'agissait-il, en maintenant notre amendement n° 252 , de concéder quelques gages à une opinion qui a montré son opposition aux OGM ? Ne s'agissait-il pas plutôt, sous prétexte de le compléter, de le neutraliser, de le siphonner en le vidant de son contenu ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)