Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, chers collègues, j'interviens de nouveau sur la représentation des Français vivant à l'étranger, objet de la motion de procédure que j'ai présentée hier.
Je veux revenir sur le mode de scrutin, un point sur lequel les écrits de notre rapporteur sont étonnamment discrets : quelques lignes nous indiquent qu'il s'agira d'un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, sans même évoquer d'hypothèses alternatives. Dans le prolongement de nos travaux en commission et eu égard à la spécificité de la représentation des Français de l'étranger, vous nous avez indiqué – ce qui a été confirmé par le secrétaire d'État cette nuit – que des modalités techniques au vote pour le scrutin majoritaire seront adoptées. Nous les découvrions, comme bien d'autres choses, dans la future ordonnance.
Sans remettre du tout en cause votre bonne volonté, je pense que les modalités auxquelles vous pourriez penser ne régleraient absolument pas le problème. Je vais essayer de le démontrer de manière constructive, comme j'ai tenté de le faire hier, au moment de la présentation de la question préalable.
Balayons quelques-unes des modalités possibles, si vous le permettez. On pourrait, par exemple, prévoir plus de bureaux de vote dans les consulats et les autres institutions susceptibles de les accueillir. Cette solution a été tentée au moment de l'élection présidentielle de 2007 : dans un effort louable, le Gouvernement avait oeuvré à l'ouverture de 546 bureaux, dont 164 se situaient en dehors des locaux consulaires. Cela n'a malheureusement pas réglé le problème, puisque l'on comptait deux heures sept d'attente dans le bureau de Londres, et deux heures dans celui de Düsseldorf dont l'accès avait été rendu difficile par le marathon organisé ce jour-là.
Nous nous heurterons toujours aux difficultés géographiques. Je vais vous en soumettre quelques-unes pour vous montrer les problèmes qui vont surgir avec un mode de scrutin qui va amener les Français vivant à l'étranger à se déplacer quatre fois en un mois. Le cas de Can Tho, ville vietnamienne d'un million d'habitants, m'a été signalé : le bureau de vote le plus proche de cette ville se trouve à Ho Chi Minh, c'est-à-dire à cinq heures de route – précisons qu'il n'y a pas de liaison aérienne entre les deux villes. Puisque le souhait parfaitement louable du Gouvernement est d'inciter les gens à aller voter, il faut imaginer des solutions à ce type de cas.
Nous nous heurtons aussi aux habituelles inerties administratives. À l'occasion de ce débat, je me permets de féliciter les consuls d'Amsterdam, de Hong-Kong et de Pékin qui ont très bien organisé l'élection de 2007, ou encore le consul de Barcelone qui avait pris l'initiative de distribuer des bouteilles d'eau en raison de la chaleur. En revanche, au Paraguay personne ne connaissait les modalités de l'élection présidentielle de 2007.
Devons-nous pour autant adopter l'amendement sur le vote électronique par Internet ? Par principe, tout le monde y sera favorable. Mais il y a des objections techniques, car Internet n'est pas actuellement accessible partout dans le monde. Je pense à un compatriote vivant au Mali qui m'a écrit des pages sur le caractère perfectible de l'Internet dans ce pays. Il habite à Nioro, une commune située à cinq heures de Bamako depuis que la route a été goudronnée, contre neuf heures auparavant.
Je pense aussi à toutes ces personnes qui n'ont tout simplement pas d'ordinateur, comme ces 600 compatriotes qui m'ont écrit de Walbrzych, en Pologne. Ils sont les enfants et petits-enfants de ceux qui quittèrent leur pays en 1920 pour venir en France, et qui sont retournés en Pologne après la Seconde Guerre mondiale. Ils vivent dans des conditions économiques qui ne leur permettent malheureusement pas d'acheter un ordinateur et de disposer d'une connexion électronique.
L'Assemblée des Français de l'étranger a expérimenté le vote électronique du 6 au 12 juin 2006, à l'occasion de l'élection des conseillers de l'AFE. Il n'y eut que 14 000 votants sur les 525 000 personnes potentiellement concernées, en raison de la complexité technique incroyable : il fallait des tas de numéros de code, des pré-inscriptions, attendre l'envoi du deuxième numéro de code. L'accès était annulé si la personne n'était pas présente à la réception du deuxième code qui devait ensuite être validé à un moment imposé. Bref, c'était incompréhensible, d'autant plus que les consulats refusaient d'aider nos compatriotes sous prétexte que le vote était secret et personnel. Je tiens à votre disposition le témoignage éclairant de l'un de nos compatriotes vivant aux Canaries.
Pourrait-on alors anticiper le vote ? Les Polynésiens le font depuis 1997, et cette possibilité a été étendue aux autres électeurs d'outre-mer en 2004-2005. Peut-on admettre qu'une population qui représentera un trentième de la population française, qui, en termes de rang départemental, occuperait la septième place, vote avant l'ensemble des citoyens ? Cela ne poserait-il pas un problème constitutionnel d'égalité des suffrages ?
Dernière possibilité : l'allongement des délais. Peut-être serait-il possible d'envisager un délai de quinze jours entre les deux tours des élections, mais ce serait encore insuffisant en raison du problème d'acheminement des documents. En Afrique et en Asie, par exemple, les services postaux sont relativement capricieux – on m'a dit que seules des entreprises privées fonctionnent réellement, et y recourir coûterait un peu plus d'argent à l'État.
Tout cela pour conclure qu'il convient de limiter au maximum le nombre de tours et donc de choisir la proportionnelle.