Il n'est pas aussi anodin qu'il le paraît dans la mesure où la gauche a, par les lois de 1992 et 2000, sensiblement relevé les indemnités locales, et où le montant de celles-ci a été à nouveau augmenté avec le développement de l'intercommunalité.
Si les structures intercommunales ne sont pas prises en compte dans le cumul des mandats, les indemnités versées à leurs présidents et vice-présidents s'ajoutent aux indemnités locales. Or ces indemnités de l'intercommunalité ne sont pas négligeables puisque leur masse globale, avec un montant de 128,1 millions d'euros en 2003, est supérieure aux indemnités perçues par l'ensemble des conseillers généraux – 114,4 millions d'euros en 2004.
Il est vrai que les lois de 1992 ont fixé un plafond aux indemnités que peut percevoir un cumulard – de manière d'ailleurs différente pour les ministres et pour les parlementaires : pour les ministres, il est égal à 1,5 fois le traitement ministériel, tandis que pour les députés il est de 1,5 fois l'indemnité de base. Ce plafonnement, quand il a été institué en 1992, constituait néanmoins un progrès puisque, auparavant, il n'existait rien de tel, seules les indemnités municipales – alors faibles – étant réduites de moitié pour les parlementaires.
Toutefois, depuis 1992, plusieurs modifications substantielles sont intervenues, qui justifient qu'on revoie cette question du cumul des indemnités.
En premier lieu, en 2002, le traitement des ministres a été sensiblement revalorisé, passant de 7 800 euros mensuels – officiels – à 14 000 euros. Augmentation justifiée, disons-le, car la rémunération officielle antérieure était en réalité complétée par des prélèvements sur les fonds secrets, dont le montant – au demeurant inconnu – variait selon les ministres et échappait à l'impôt. À la demande de Lionel Jospin, la majorité de gauche a supprimé cette utilisation scandaleuse et opaque des fonds secrets. Il devenait donc nécessaire de revaloriser le traitement ministériel. Cette revalorisation, décidée en juillet 2002, a eu le mérite d'assurer la transparence et d'établir l'égalité des ministres entre eux.
Reste qu'elle a eu une conséquence qui a échappé à tous les observateurs : l'augmentation dans la même proportion du cumul indemnitaire qui, de 11 700 euros, est passé, pour les ministres, à 21 000 euros ! Dans ces conditions, on peut dire que le cumul se trouve financièrement favorisé, ce qui est choquant.
Qu'on ne puisse pas supprimer le cumul des mandats, c'est regrettable ; mais que la loi favorise financièrement le cumul, c'est tout à fait contestable. C'est pourquoi, avec mes amis, je propose qu'il soit mis un terme au cumul des rémunérations perçues par les ministres. Dès lors que leur traitement se trouve aujourd'hui à un niveau d'autant plus satisfaisant qu'il correspond souvent à un travail à temps partiel, il est devenu sans objet de le compléter par des indemnités locales.
En ce qui concerne les députés, le plafond est inférieur puisqu'il s'élève à 8 200 euros. Néanmoins, là encore, il est choquant que la loi encourage financièrement le cumul des mandats. En effet, si la loi de 1985 a mis un terme à quelques situations limitées de « super-cumuls », elle a surtout favorisé la généralisation du cumul – élargi depuis à l'exercice des responsabilités intercommunales. Or, les indemnités locales — toutes les indemnités locales — ont été revalorisées dans des proportions sensibles, et tout particulièrement les indemnités intercommunales. Il en résulte une inégalité financière entre les députés qui cumulent et ceux qui exercent leur mandat à temps plein, et une situation paradoxale : ce sont les députés à temps partiel qui sont financièrement favorisés !
Tous ces motifs doivent donc nous convaincre de supprimer la possibilité pour les parlementaires de cumuler les indemnités. En effet, si l'on considère que l'indemnité parlementaire est convenable – ce qui est mon opinion –, il faut refuser l'hypocrisie consistant à l'augmenter par le biais du cumul des mandats et cela uniquement, d'ailleurs, au bénéfice de ceux qui exercent leur mandat parlementaire à temps partiel.
Je n'aborde pas le cumul des indemnités pour les non-parlementaires. La question du cumul des mandats locaux est plus complexe et ce cumul suscite d'ailleurs moins de conflits d'intérêts que le cumul entre un mandat local et un mandat national. Ensuite, si les indemnités des conseillers généraux et régionaux sont d'un niveau tout à fait satisfaisant, celles de certains maires demeurent très insuffisantes, ce qui explique, sans nécessairement le justifier, le recours croissant au cumul avec des indemnités intercommunales fixées pour leur part par décret à un niveau très incitatif et – je le dis comme je le pense – souvent excessif.
Il conviendra donc de traiter également du cumul indemnitaire pour les élus locaux, mais nous en discuterons peut-être, monsieur le secrétaire d'État, à l'occasion de l'examen du texte que vous nous avez annoncé pour le début de l'année prochaine.
Tout autre, en revanche, est la situation des ministres et des parlementaires. En adoptant les deux amendements de suppression du cumul indemnitaire, l'Assemblée confirmerait clairement que les responsables politiques ne sont pas mus par des considérations financières.
La juste rémunération des élus a de tout temps été le combat des républicains et de la gauche – je le dis dans cet ordre car les républicains ont précédé la gauche – afin de permettre aux citoyens sans fortune personnelle d'accéder aux responsabilités électives. Les Français qui ont trop tendance à stigmatiser les élus ne doivent pas oublier cet aspect des choses.
Mes chers collègues, dès lors que l'on aborde ce thème des rapports entre l'argent et la vie politique, il faut rappeler que la rémunération des responsables politiques, notamment des ministres et des députés, n'a rien de commun avec celle des dirigeants des grandes entreprises, des cadres supérieurs, y compris ceux de la haute fonction publique, des animateurs de télévision ou des vedettes du spectacle et du sport. Qui veut faire fortune évite de s'engager en politique.
Malgré cela, en cette période difficile pour une majorité de nos compatriotes, il me semble nécessaire et utile de limiter les aspects abusifs du cumul des mandats, d'autant que je n'ai entendu aucun argument plaidant en faveur du maintien de ce cumul indemnitaire. Voter contre ce cumul, ce serait rétablir l'égalité entre les parlementaires ; ce serait surtout, pour reprendre une formulation chère à Charles Péguy dans Notre jeunesse, montrer que « la politique républicaine » reste fidèle à « la mystique républicaine ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)