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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 19 novembre 2008 à 21h30
Création de la commission prévue à l'article 25 de la constitution et élection des députés — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Certes, je veux bien admettre que votre tâche n'était pas aisée. Il vous fallait d'abord arrêter la base électorale : combien sont les Français de l'étranger ? Et dans ce domaine, le flou est la règle.

L'excellent président Jean-Luc Warsmann écrivait dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle qu'ils étaient « entre 1,9 et 2,2 millions ». Son homologue du Sénat, Jean-Jacques Hyest, se réfugiait, lui, derrière un prudent « quelque deux millions ». Mais l'instance officielle qu'est l'Assemblée des Français de l'étranger, où la gauche est loin d'être majoritaire, est plus généreuse puisqu'elle indique qu'il y aurait « entre 2,3 et 2,5 millions » de Français vivant à l'étranger.

Fort heureusement, nous disposons de sources plus sûres quoique, hélas, partielles – vous les avez d'ailleurs évoquées, monsieur le secrétaire d'État.

Il y a d'abord la liste de nos concitoyens inscrits sur le registre des Français de l'étranger qui répertoriait, au 1er juillet dernier, 1 403 000 personnes. Mais l'inscription étant volontaire, ce nombre, inévitablement minoré, ne peut, bien sûr, tenir lieu de recensement.

Il y a ensuite les listes électorales consulaires. Au 31 décembre 2007, on y comptait 863 854 noms, répartis en trois grandes catégories.

En premier lieu, les électeurs qui, n'étant pas inscrits en France, votent seulement à l'étranger pour l'élection du Président de la République et lors des référendums. Cette catégorie dite « PR1 » comprend 509 140 noms.

Deuxièmement, ceux qui, inscrits en France, votent à l'étranger pour l'élection du Président de la République et lors des référendums, et en France pour toutes les autres élections. Ce sont les « PR2 », au nombre de 262 737.

Enfin, les électeurs inscrits à l'étranger et en France, mais votant en France pour l'élection du Président de la République et lors des référendums. Cette catégorie, les « PR3 » est la moins nombreuse, avec 91 977 noms.

On le voit, la complexité du tableau est telle qu'il arrive un moment où l'on ne sait plus trop bien à quoi l'on se réfère. Et de fait, depuis que notre assemblée est saisie de ce projet de loi, nous avons trop souvent nagé en pleine confusion entre immatriculés consulaires et inscrits sur les listes électorales.

La question n'est pourtant pas anodine, car de la manière dont elle sera tranchée dépend le nombre de sièges de députés qu'il convient de créer.

La logique aurait voulu qu'on se fonde, en la matière, sur les effectifs globaux de nos compatriotes expatriés. Le chiffre de référence se serait alors situé autour de 2 millions de personnes. Encore celui-ci aurait-il pu, même dans ces conditions, être jugé discriminatoire. En effet, la base démographique prise en compte en France est celle des habitants, français et étrangers, résidant dans la circonscription, alors que celle envisagée ici n'aurait intégré que les citoyens français.

En tout état de cause, nous serions ainsi parvenus à la création d'une vingtaine de sièges au moins. C'est d'ailleurs le résultat auquel était arrivé le comité Balladur, ce qui l'avait finalement conduit à recommander de ne pas modifier le système actuel de représentation des Français de l'étranger.

Pour votre part, monsieur le secrétaire d'État, vous avez pris le parti de vous appuyer sur les inscrits des registres consulaires. Ce choix est contesté, vous le savez, notamment par l'Assemblée des Français de l'étranger – mais je ne doute pas que vous aurez l'occasion d'y revenir, sinon devant cette assemblée, du moins devant le Sénat.

À ce problème posé par ce choix malheureux en matière de base électorale s'en ajoute un deuxième, plus politique : le choix du mode de scrutin. Là encore, tout était possible. Aucun des deux grands modes de scrutin, majoritaire ou proportionnel, n'est juste ni parfait. L'un comme l'autre sont à la fois perclus de tares et parés de vertus. Dès lors, le plus simple était de prendre l'attache des institutions représentatives des Français de l'étranger pour connaître leur sentiment.

Par un fait exceptionnel, qui aurait dû nous éclairer, le voeu de ces associations et de ces institutions représentatives était unanime. Que l'on écoute l'Union des Français de l'étranger, dont les liens avec l'UMP ne sont pas cachés ; que l'on lise les écrits de l'Association démocratique des Français de l'étranger, dans laquelle je compte quelques amis ; que l'on prenne connaissance des délibérations de l'Assemblée des Français de l'étranger ; ou que l'on se penche, enfin, sur les propositions de lois des sénateurs UMP ou socialistes au nom des Français établis hors de France : tous s'expriment en faveur de la représentation proportionnelle.

Cet avis, notre collègue Axel Poniatowski l'avait repris dans son rapport du mois de mai sur le projet de loi constitutionnelle. « Quelle que soit la délimitation retenue », soulignait-il, « la dispersion des Français de l'étranger sur la planète et la singularité de leur représentation semblent justifier l'introduction de la part de scrutin proportionnel que d'aucuns réclament par ailleurs. »

Or, de façon incompréhensible, vous avez retenu le scrutin majoritaire à deux tours, choix qui nous paraît, permettez-moi de vous le dire ainsi, tout simplement absurde. Je souhaite donc que notre assemblée empêche son adoption.

Je ne me place pas, pour porter ce jugement, sur un plan politique, mais sur le terrain du bon sens et de la pratique. Je veux prendre, pour tenter de vous en convaincre, deux ou trois exemples, qui, certes, forcent un peu le trait mais sont néanmoins réels et donc révélateurs. Pour faire simple, je me limiterai aux États-Unis. Nous avons sur l'île américaine de Guam, dans le Pacifique, quelques dizaines de compatriotes. Pour voter dans notre bureau consulaire de San Francisco, ils devront faire quinze heures d'avion ! Je pense aussi aux 750 Français inscrits dans le Colorado, qui devront se rendre au bureau de Los Angeles, ville éloignée de plus de 1 600 kilomètres à vol d'oiseau, soit quinze heures de voiture ou deux heures trente d'avion.

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