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Intervention de Bruno Le Roux

Réunion du 19 novembre 2008 à 21h30
Création de la commission prévue à l'article 25 de la constitution et élection des députés — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Le Roux :

Nous souhaitons en effet une commission réellement indépendante, contrairement à celle qui nous est proposée. Certes, nous ne pourrons pas, en quelques semaines, mettre en place une structure identique à celle de nos amis britanniques, mais essayons au moins d'être sérieux lorsque nous parlons d'indépendance ! La composition proposée ne présente pas de garanties suffisantes et, compte tenu des critères que le Gouvernement s'apprête à inscrire dans la loi, son rôle risque d'être limité à celui d'une chambre d'enregistrement, sans pouvoir d'influence sur les choix fondamentaux.

J'en veux pour preuve le choix fait par le Gouvernement de fixer par ordonnance, c'est-à-dire à l'abri de tout débat et de tout contrôle parlementaire, le nombre des députés pour chaque collectivité de la République ainsi que celui des députés représentant les Français établis hors de France et la délimitation des circonscriptions législatives. Ce choix revient à priver la commission indépendante d'une large part de sa mission et même, en quelque sorte, de sa raison d'être.

Je souhaite d'ailleurs ici rappeler les propos de notre rapporteur qui figurent à la page 8 de son rapport : « Une révision de la carte des circonscriptions législatives ne peut être dissociée […] de la création de la commission prévue par l'article 25 de la Constitution, qui est précisément une commission chargée de se prononcer sur tout projet de découpage des circonscriptions législatives et destinée à garantir l'impartialité et la transparence du processus de délimitation des circonscriptions ». On ne saurait mieux dire, monsieur le rapporteur. Hélas ! vous n'en tirez pas les conclusions qui s'imposent.

Certes, en droit – et vous pouvez certainement défendre cette position devant votre majorité –, l'intervention de la commission n'exclut pas le recours à une habilitation prévue à l'article 38 de la Constitution pour délimiter les circonscriptions ou modifier la répartition des sièges. Mais, dès lors que le projet du Gouvernement et les amendements adoptés par la commission des lois de l'Assemblée nationale définissent déjà, sans même établir de comparaison pour tenter de trouver les meilleurs outils, la plupart des critères qui présideront au redécoupage, on se demande quelle sera la valeur ajoutée de la commission s'agissant des principes de ce redécoupage.

Cette commission indépendante est réduite, dès sa naissance, à être une chambre d'enregistrement, alibi de transparence plus que garantie d'impartialité. Cela, je ne suis pas certain que vous pourrez le défendre, demain, devant le Conseil constitutionnel.

En effet, le projet de loi prévoit que l'ordonnance à venir fixera le nombre total de députés élus par les Français établis hors de France, qui conditionnera directement, dans la mesure où le nombre total de députés est fixé à 577, le nombre de députés élus en métropole et outre-mer.

Cette ordonnance mettra également à jour la délimitation des circonscriptions législatives dans chaque département, en Nouvelle-Calédonie et dans chaque collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution.

Le projet de loi empêche toute réflexion préalable de la commission dans la mesure où il précise même les critères que devront respecter les opérations effectuées, tels que la règle de deux députés au minimum par département ou la possibilité qu'une circonscription puisse s'écarter jusqu'à 20 % de la population moyenne des circonscriptions du même département. Or, ces critères, déjà retenus pour le précédent redécoupage, sont très discutables au regard des évolutions démographiques et mériteraient d'être éclairés par l'avis de la commission. Ils avaient fait l'objet d'une réflexion dans le cadre du rapport Bordry, mais vous n'avez jamais rendu ce document public. Conjugué à la limitation à 577 du nombre total de députés et à la création de sièges pour les députés représentant les Français établis hors de France, le maintien de deux députés par département conduira à maintenir, voire à accroître les distorsions entre les circonscriptions les moins peuplées et les plus peuplées. La méthode retenue par le Gouvernement revient ainsi à fixer l'essentiel des critères qui commandent quasi mécaniquement le nombre de sièges par département, sans que ces sujets puissent être étudiés par la commission.

Tout cela est en contradiction avec les engagements pris par le Gouvernement lors des débats sur la révision constitutionnelle. Mais plus encore que ces engagements – qui n'ont jamais convaincu ici que ceux qui les ont crus –, votre texte méconnaît les dispositions de l'article 25 de la Constitution et fait courir un risque juridique évident au processus engagé. Toutes ces questions nous semblent en effet au coeur de la compétence de la commission, qui est consultée, aux termes de la Constitution, sur « les projets de texte délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ». Or, il ressort des travaux parlementaires à l'issue desquels a été adoptée la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 que cette rédaction vise, comme dans le projet de loi constitutionnelle déposé au Parlement, les projets de textes tendant à délimiter les circonscriptions, ce qui inclut non seulement les ordonnances, mais également les dispositions d'habilitation telles que celle proposée par le Gouvernement dans le projet en cours d'examen.

La précipitation du Gouvernement conduit donc à un risque constitutionnel majeur que, loin de désamorcer, la commission des lois de l'Assemblée nationale n'a fait que renforcer en adoptant des amendements qui précisent la méthode qui sera appliquée pour déterminer le nombre de sièges par département.

En choisissant délibérément de présenter, alors que rien ne justifiait une telle précipitation, un projet traitant à la fois de la commission et de l'habilitation, la majorité a clairement fait le choix, en contradiction tant avec l'esprit et la lettre de la Constitution qu'avec ses propres engagements, de ne pas soumettre à la commission les éléments déterminants du redécoupage. C'est un élément qui, vous en conviendrez, relativise fortement vos déclarations sur cette commission dont l'indépendance semble se réduire à chaque instant.

En repoussant ces textes aujourd'hui comme nous vous le demandons, vous pourrez retravailler, en concertation avec toutes les forces politiques, à un texte créant la commission et habilitant le Gouvernement à redécouper les circonscriptions. Une telle solution aurait l'avantage de concilier la précipitation dans laquelle le Gouvernement souhaite agir avec les exigences de nature constitutionnelle, qui n'imposent nullement qu'une habilitation précise l'ensemble des critères du redécoupage, mais supposent en revanche qu'ils soient soumis à la commission.

Le bon sens aurait consisté à créer et à installer la commission avant de lui soumettre un projet d'habilitation. Cette démarche aurait en particulier eu l'avantage, par rapport à la précédente, de permettre au Parlement de discuter des critères du redécoupage, et par rapport à celle retenue par le Gouvernement, de le faire au vu de l'avis de la commission.

Enfin, pour en finir avec cette commission mal née, sa composition même est en retrait par rapport aux engagements pris et jette une ombre inquiétante sur l'impartialité et la transparence de ses travaux. La commission doit être irréprochable dans sa composition pour que son indépendance, affirmée par la Constitution, soit garantie. Lors des débats sur le projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement s'était opposé à des amendements de l'opposition tendant à consacrer le pluralisme de la commission en renvoyant à la loi le soin d'en déterminer les conditions. Il avait parallèlement annoncé, par la voix de Mme la garde des sceaux, la présence au sein de la commission de démographes, de statisticiens et d'expert en droit électoral en arguant que leur compétence serait un gage de son indépendance.

Il est bien difficile, aujourd'hui, de considérer que ces engagements sont tenus, alors que le projet de loi prévoit que la commission sera composée de trois personnalités qualifiées nommées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat. Si la présence de trois magistrats peut, tout en soulevant certaines questions, être perçue comme un gage d'indépendance, il n'en va pas nécessairement de même de celle des trois autres membres.

Je le dis clairement : une telle disposition, soumise à un impossible veto de la commission des lois, n'est pas de nature à éviter une mainmise de l'actuelle majorité sur la commission.

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