Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, des élections législatives se dérouleront dans trois ans et demi, à moins que le Président de la République n'en décide autrement.
Mais avant d'avoir – peut-être – envie de dissoudre, le Président de la République pourrait avoir envie de remanier ; cela semble même relever, aujourd'hui, de l'urgence. J'aborderai donc, brièvement, la question de la modification du régime applicable aux parlementaires ayant exercé des fonctions gouvernementales, bien que cette question ne me semble pas, parmi celles traitées par les deux textes qui nous sont soumis, la plus importante.
Lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle, nous avions déjà exprimé notre opposition à cette disposition. Le Gouvernement souhaite rétablir un mécanisme qui avait été supprimé par les constituants de 1958 au motif qu'il était source d'instabilité, et qui a déjà été proposé et rejeté en 1974. Selon nous, loin de contribuer à la modernisation de nos institutions, ce dispositif et les dérives qui pourraient en résulter ne sont pas de nature à favoriser la stabilité et la cohésion gouvernementales. Il est en outre tout à fait impensable que soit créé dans notre assemblée un statut de remplaçant temporaire.
D'anciens premiers ministres, qui savent de quoi ils parlent car ils souvent eu envie de remanier sans pouvoir passer à l'acte, je pense notamment à Jean-Pierre Raffarin, ont dénoncé cette disposition, qu'ils estiment contraire aux principes de solidarité et de responsabilité des ministres. Nous comprenons parfaitement qu'elle est destinée à servir le bon vouloir présidentiel et à préparer au mieux, en tout cas au plus vite, les prochains remaniements ministériels, et nous ne jugeons ni urgent ni utile de l'adopter.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous accorde qu'il est indispensable, d'ici aux prochaines élections législatives, dans trois ans et demi, de redécouper les circonscriptions électorales législatives, car l'évolution démographique de notre pays a rendu l'actuel découpage particulièrement déséquilibré.
Ce travail constitue l'un des fondements du respect du droit de suffrage de nos concitoyens, mais aujourd'hui nous ne devrions ni parler technique démographique ou géographique, ni parler politique, mais débattre de l'exercice de transparence, de neutralité, d'équité dont il appartient à l'Assemblée nationale, espace central de notre démocratie, de fixer le cadre.
Nous aurions attendu du Gouvernement une méthode totalement différente. En effet, les deux textes dont nous sommes saisis n'ont fait l'objet d'aucune concertation préalable. Ainsi, nous avons été particulièrement choqués que M. Fillon ne reçoive les responsables des partis politiques et des groupes parlementaires que la veille de la présentation au Conseil des ministres du projet de loi organique et du projet de loi qui réforment notre carte électorale. Il est très choquant, je le répète, que les partis politiques et les groupes parlementaires n'aient pas été consultés pour l'établissement de nouvelles règles communes, qui ne doivent pas être des règles partisanes. Une rencontre avec le Premier ministre aurait dû se tenir plusieurs semaines plus tôt : vous avez manqué l'occasion d'une réflexion commune.
À cette incompréhensible absence d'échanges démocratiques préalables s'est ajoutée l'impossibilité de débattre, puisque la commission des lois a repoussé tous les amendements du groupe socialiste, à l'exception d'un amendement sur le vote par correspondance.
Monsieur le secrétaire d'État, nous estimons qu'il n'y a pas lieu de délibérer car le débat ne peut se dérouler ainsi. Nous posons la question préalable car nous voulons vous aider à trouver une méthode différente, moins partisane et plus transparente, une méthode qui permette que le travail s'effectue sous le regard des citoyens et de tous les acteurs intéressés par ce découpage.
Nous pourrions profiter du délai supplémentaire que nous offrirait l'adoption de cette motion de procédure pour étudier les méthodes des grandes démocraties en matière de redécoupage électoral. Le Royaume-Uni pourrait ainsi servir d'exemple à un débat qui, par nature, devrait être dépassionné, car dépourvu de caractère partisan.
En effet, le découpage des circonscriptions électorales au Royaume-Uni est un processus statutaire, mené en toute indépendance par rapport au pouvoir politique, même si les partis politiques sont consultés. Ce processus est en oeuvre depuis une loi de 1944, remise à jour il y a une vingtaine d'années, et dont la description suffit à comprendre combien il est éloigné de la méthode que vous nous proposez d'adopter.
La commission chargée de l'Angleterre, la PBCE, est, de loin, la plus importante, dans la mesure où l'électorat anglais constitue à peu près 85 % de celui de l'ensemble du royaume. La PBCE dépend du ministère de la justice, mais son fonctionnement est totalement indépendant. Présidée par le speaker de la Chambre des Communes, elle comprend un juge de la cour suprême, un avocat de la Couronne et un haut fonctionnaire. Deux autres personnalités jouent auprès d'elle un rôle, statutairement reconnu, de conseillers techniques : le directeur général de l'Ordnance Survey, équivalent britannique de l'Institut géographique national, et le registrar general, c'est-à-dire le directeur du service national d'état civil.
Le découpage s'effectue obligatoirement tous les huit à douze ans, en fonction de l'évolution démographique. La procédure qui précède le redécoupage est d'une grande complexité, mais elle a le mérite de reposer sur des critères transparents et sur leur interprétation précise et tout aussi transparente pour chacune des 659 circonscriptions du territoire du Royaume-Uni.
Le découpage de chaque circonscription est en effet le fruit d'un long travail d'analyse démographique et géographique mené par la commission, assorti de consultations, souvent âpres et ardues, dans chaque ville et chaque comté. Tout citoyen, toute association, tout parti politique peut émettre un avis dans le cadre de ce dialogue local. La PBCE a l'obligation de noter ces avis et elle en publie une synthèse.
Ce travail, qui fait parfois l'objet de contentieux, aboutit à l'élaboration de recommandations détaillées – le dernier rapport de la commission, paru en 2007, compte près de 1 100 pages –, qui sont publiées, puis soumises par le ministère de la justice à l'approbation du Parlement. Dans les faits, les recommandations sont entérinées dans leur intégralité ; le Parlement et le Gouvernement reconnaissent la rigueur du travail effectué et ne cherchent pas à y apporter de modifications destinées à en tirer un avantage politique.
L'indépendance de la PBCE est clairement affirmée : si elle consulte notamment les partis politiques dans le cadre de ses travaux, ses recommandations sont le fruit d'une évaluation impartiale et objective des besoins du découpage. Elle n'est nullement influencée par les résultats des élections précédant l'élaboration de ses rapports. Les partis politiques britanniques, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition, ne contestent jamais ce principe et ne cherchent pas à s'opposer aux recommandations ni à les modifier une fois qu'elles ont été publiées.
Nous devrions, monsieur le secrétaire d'État, nous inspirer de cet exemple pour tirer toutes les leçons du précédent découpage législatif. À l'époque, celui-ci avait été qualifié, à juste raison, de « charcutage électoral » et le constat dressé dans un document intitulé Dossier noir : le découpage Pasqua demeure, plus de vingt ans après, édifiant. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)