Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous entamons l'examen d'un texte dont le sujet, la formation professionnelle, occupe une place essentielle au sein de nos politiques de l'emploi.
Après la réforme de l'architecture du service public de l'emploi et celle du marché du travail, la réforme de la formation professionnelle et de l'orientation constitue un pilier supplémentaire de cette politique de l'emploi qui se veut plus réactive aux évolutions du marché du travail, plus attentive aux plus fragiles, plus à même d'apporter des réponses personnalisées aux difficultés d'accès à l'emploi de nos concitoyens et plus en phase avec les réalités de nos territoires.
L'examen de cette réforme par l'Assemblée nationale intervient après qu'un riche travail de fond a été mené par les partenaires sociaux, qui, en adoptant à l'unanimité l'accord du 7 janvier 2009, ont bien marqué toute l'importance qu'ils accordent à ses dispositions.
Nous mesurons tous, sur ces bancs, combien ce texte est attendu et combien il revêt une importance réelle dans le contexte actuel, caractérisé par la crise économique et l'augmentation du chômage. Néanmoins, il ne s'agit pas de la refonte globale de la formation professionnelle, de ses principes et de son organisation, que certains, y compris parmi nous, pouvaient espérer.
Cette remise à plat était attendue, compte tenu des critiques, parfois très virulentes, qui la visaient et qui la visent toujours. Ainsi, la Cour des comptes a dénoncé, dans un rapport publié l'année dernière, l'inefficacité du système, caractérisé par des formations inadaptées aux individus et aux entreprises, des financements abondants mais peu mutualisés et peu contrôlés et l'absence de coordination des acteurs.
Des critiques récurrentes émanent également de l'opinion publique. Des articles de presse dénoncent ainsi régulièrement les scandales et les gaspillages de la formation professionnelle, soulignant le contraste qui existe entre l'importance des sommes consacrées et le peu de résultats obtenus et mettant en cause l'opacité du système.
Il convient enfin de citer certains chercheurs, en particulier les travaux des professeurs Cahuc et Zylberberg, qui, dans un rapport pour le moins remarqué, ont brossé à grands traits un dispositif de formation professionnelle des adultes qu'ils qualifient de « système à la dérive », déresponsabilisant pour les entreprises et donnant aux OPCA un pouvoir exorbitant dans la gestion des fonds de la formation professionnelle.
Au regard de la sévérité de ces critiques, cette réforme n'est pas, force est de le constater, le « grand soir » de la formation professionnelle. Faut-il le regretter ? Oui, répondront ceux pour qui une formation professionnelle continue efficace implique une remise en cause totale du système existant.
Non, diront ceux qui estiment que la crise économique actuelle, ses conséquences sur l'emploi et ses implications sur les parcours professionnels des salariés ne nous laissent pas le temps de réinventer un système entièrement nouveau, dont les acteurs de l'emploi mettraient plusieurs mois, voire plusieurs années, à maîtriser les rouages et qui exigerait du temps pour être visible et lisible par celles et ceux qui en ont besoin, salariés comme demandeurs d'emploi.
Aujourd'hui, le besoin de formation est particulièrement important.
Pour des raisons conjoncturelles, tout d'abord. Le ralentissement de l'activité est, pour l'entreprise, un moment propice pour envoyer certains de ses salariés en formation. Mieux vaut, en effet, des salariés qui se forment pour accroître leurs compétences et améliorer la maîtrise de leurs métiers afin d'être prêts au moment de la reprise, plutôt que des salariés menacés par un plan social. Pour les salariés, mieux vaut une entreprise qui fait le pari de la qualification et de la formation, plutôt qu'un employeur qui engage une procédure de licenciement.
Pour des raisons structurelles, ensuite. D'une part, la compétitivité de l'entreprise sur son marché, face à ses concurrents, dépend aussi de la qualité de la qualification de ses ressources humaines. C'est ainsi que s'impose, peu à peu, l'idée, qui est en réalité une évidence, selon laquelle la formation n'est pas seulement une dépense pour l'entreprise : elle est aussi un investissement. D'autre part, si l'on élargit la focale et que l'on raisonne au niveau des territoires, la formation des demandeurs d'emploi est un impératif pour de nombreux bassins d'emploi fragilisés.
Il en est ainsi du bassin d'emploi de Roubaix, dont je suis élu et qui, outre un taux de chômage parmi les plus élevés de la région Nord-Pas-de-Calais, concentre des publics parmi les moins diplômés et les moins formés : 25 % des demandeurs d'emplois ont un niveau de formation inférieur au niveau 5 et 47 % d'entre eux sont dépourvus de qualification.
Je citerai, par ailleurs, l'exemple de l'action menée par la maison de l'emploi du Val de Marque, que je préside. Le mois dernier, celle-ci a mené, à l'occasion de la semaine de la mobilité et de l'évolution professionnelle du salarié, une action de sensibilisation et d'information en direction des publics salariés d'entreprises en difficulté du secteur textile ou de la vente à distance. Sur quarante et une personnes reçues au cours de cette opération, trente sont venues à la rencontre des conseillers emploi pour se renseigner sur les dispositifs et organismes de formation qui pouvaient répondre à leur problématique. L'aspiration à s'engager dans un parcours de formation est donc particulièrement forte.
Dans un tel contexte, face aux besoins des salariés et aux attentes des demandeurs d'emplois, il n'est pas illégitime de penser que l'urgence n'est pas au bouleversement des fondements de la formation professionnelle. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il faille laisser perdurer les anomalies et les dysfonctionnements du système.
C'est le sens de l'accord national interprofessionnel du 7 janvier dernier, et c'est aussi à quoi tend le projet de loi. L'objectif est de « rénover plutôt que bouleverser », de sorte que la formation professionnelle atteigne les objectifs qui sont les siens.
La formation professionnelle, en particulier dans le cadre de la formation continue, constitue, en effet, une chance pour tout salarié de progresser en qualification, de manière à pouvoir donner un élan à son parcours professionnel, sur la base des savoir-faire issus de son expérience et des certifications qu'il est parvenu à acquérir.
Elle est aussi une seconde chance, pour les demandeurs d'emploi, de retrouver une voie d'accès à l'emploi, soit en perfectionnant leurs compétences, soit en acquérant de nouvelles connaissances, ou en se formant à un nouveau métier, et en réussissant un parcours de reconversion professionnelle. En cela, elle représente un filet de sécurité permettant de gérer, dans les meilleures conditions, les parcours et les transitions professionnelles.
Déjà largement répandu avant la crise, le sentiment d'insécurité sociale et professionnelle s'est accentué avec celle-ci. Les chiffres du chômage et les annonces régulières de plans sociaux entretiennent l'inquiétude de nos concitoyens. La formation professionnelle continue, en concourant au maintien du salarié dans l'emploi ou en facilitant les transitions, participe au développement des dispositifs qui permettent de sécuriser ces dernières.
Je ne suis pas loin de penser, avec l'ensemble du groupe Nouveau Centre, que tout l'enjeu de l'examen d'un projet de loi comme celui-ci est de passer d'une époque – aujourd'hui révolue – où l'entreprise pouvait assurer l'emploi à vie, à une époque où l'entreprise assure à chaque salarié la possibilité de se former tout au long de sa vie.
L'entreprise est placée au coeur du système, puisqu'elle contribue de façon significative à son financement, mais n'est évidemment pas seule à assurer la charge et la responsabilité de la formation continue. Elle trouve, autour d'elle, des partenaires tels que l'État, les collectivités locales – en particulier les régions – et les partenaires sociaux. Sans oublier le partenaire final, mais également usager, de la formation continue : le salarié ou le demandeur d'emploi, qui doit être considéré comme un véritable acteur de son parcours de formation.
On peut d'ailleurs regretter, si l'on considère la formation professionnelle comme une seconde chance offerte à chacun, que la réforme de la formation continue soit demeurée à ce point une affaire de spécialistes, objet d'une concertation complexe entre partenaires sociaux d'abord, entre partenaires sociaux et pouvoirs publics ensuite. On aurait pu imaginer un débat plus large, plus ouvert aux usagers, pour entendre leurs besoins et leurs attentes. Ce débat aurait pu être mené en région, au sein des territoires, pour mieux impliquer les acteurs de la formation et les publics qui bénéficient de celle-ci. Il aurait permis à chacun de prendre davantage conscience des enjeux et des opportunités qu'offre la formation professionnelle. La méthode du Grenelle nous semblait bien adaptée à ce genre d'exercice, et nous pensons qu'un véritable Grenelle de la formation professionnelle aurait pu être utile. Chacun doit en effet pouvoir s'approprier, demain davantage qu'aujourd'hui, les dispositifs de la formation continue. Pour cela, il est indispensable de mieux les faire connaître.
On voit bien, à travers l'exemple du droit individuel à la formation, qu'il faut du temps, parfois malheureusement trop de temps, pour qu'un outil d'accès à la formation, un droit pourtant ouvert à tous les salariés, soit clairement identifié par l'ensemble des acteurs. Il faut souvent trop de temps pour que son utilité soit prouvée, son mécanisme compris, et qu'enfin il soit utilisé.
L'information de l'entreprise, comme du salarié, est au coeur de cette difficulté. Une entreprise qui a mis sur pied une politique de ressources humaines dynamique, anticipant sur l'évolution des emplois et des compétences, est aussi, souvent, une entreprise qui a développé une politique de formation qui diffuse une information adéquate aux salariés. On peut déjà distinguer, sur ce point, ce qui sépare PME et grandes entreprises d'une part, et petites et très petites entreprises d'autre part.
Tandis que des politiques de ressources humaines sont mises en place au sein des plus grandes entreprises, à des niveaux divers de sophistication, les plus petites sont davantage mobilisées sur leur activité en tant que telle. Entre ces entreprises, le niveau d'information n'est clairement pas le même.
Mais au sein même d'une entreprise, le niveau d'information est également différent entre les salariés, en fonction de leur catégorie. Les cadres ont, ainsi, un accès à l'information plus développé et plus indépendant de l'entreprise que les ouvriers. Une étude du Centre d'études et de recherches sur l'emploi et les qualifications montre que l'information diffusée par l'entreprise, si elle n'apporte qu'un faible gain pour les cadres, est essentielle pour les non-cadres. Cette information sera d'autant plus mise à profit si elle intervient dans un contexte où la politique de ressources humaines menée dans l'entreprise permet des entretiens professionnels qui ouvrent la possibilité au salarié de participer à l'élaboration de son parcours de formation.
Plus largement, identifier les publics qui doivent être visés en priorité par l'information, c'est poser la question des objectifs de la formation professionnelle continue. Celle-ci, c'est un constat partagé par tous, doit être davantage ouverte aux salariés les moins qualifiés, les plus fragilisés par l'évolution des technologies utilisées au sein de l'entreprise, et aux mutations que celle-ci affronte pour rester compétitive sur son marché. Une enquête menée par la Direction régionale de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais, portant sur l'accès à la formation continue à travers le cas de 6 000 entreprises de la région, a mis en évidence que, si l'accès à la formation a augmenté entre 2003 et 2006, ce sont 60 % des cadres qui y accèdent, contre 30 % seulement des ouvriers.
La formation doit également s'adresser aux demandeurs d'emplois, aux personnes éloignées de l'emploi, dépourvues de diplômes et de qualification. Elle doit, enfin, continuer d'offrir à l'entreprise les outils qui lui permettent de faire progresser, en compétences et en qualification, ses ressources humaines, y compris ses cadres, pour leur permettre d'élever leur niveau de performance, mais également pour fidéliser ses collaborateurs en leur ouvrant des perspectives de carrière.
Face à ces enjeux, le choix des partenaires sociaux dans le cadre de l'accord national interprofessionnel du 7 janvier et les orientations du Gouvernement dans ce projet de loi qui en opère la transcription, sont de fixer des objectifs ambitieux tout en faisant preuve de pragmatisme. L'accord et le projet de loi développent des outils capables d'atteindre ces objectifs et de remédier aux dysfonctionnements et insuffisances qui ont pu être identifiés dans notre système de formation professionnelle. Ce projet de loi comporte, ainsi, plusieurs apports déterminants pour donner un nouvel élan à la formation professionnelle continue. Je ne reviendrai ici que sur quelques-uns d'entre eux, ce qui explique que je n'aie demandé qu'un temps de parole de quarante minutes : si j'avais voulu m'exprimer sur tous les articles du projet de loi, il m'aurait fallu une heure et demie, monsieur le ministre ! (Sourires.)
Premier apport : les dispositions de l'article 4 sur le financement de la portabilité du droit individuel à la formation, le DIF. Ce dernier était la principale innovation de la loi du 4 mai 2004, elle-même transcrivant les dispositions de l'accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003. On remarquera, au passage, que la formation professionnelle constitue décidément un sujet où la coproduction législative entre partenaires sociaux, Gouvernement et Parlement, est une habitude de longue date.
Le droit individuel à la formation, en instituant pour chaque salarié, un droit à vingt heures de formation cumulables sur six années, a donné à chacun une clef d'accès concrète à la formation continue. Cette clef est d'autant plus déterminante, et peut démontrer toute son efficacité, quand le salarié change d'entreprise, d'emploi et, ce faisant, de métier. D'où la nécessité de pouvoir conserver les droits à la formation au titre du DIF en cas de perte d'emploi.
Vous avez souligné, monsieur le rapporteur, à quel point, entre dispositifs issus de la loi et dispositifs issus du dialogue social, la nécessité d'assurer une transférabilité du DIF s'est rapidement imposée, malheureusement selon une diversité de modalités qui rend celle-ci difficilement lisible, et qui, en fonction des situations, risque d'instaurer des situations inéquitables entre les salariés. L'accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 est, en effet, venu préciser le mécanisme dont les partenaires sociaux avaient arrêté le principe à l'article 14 de l'accord national du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail.
Le projet de loi établit que cette portabilité s'effectuera via la valorisation forfaitaire des heures acquises au titre du droit individuel à la formation. Le DIF pourra être utilisé pour le financement d'actions de formation, de bilans de compétences, de validation des acquis de l'expérience – VAE – ou d'accompagnement pendant la période de chômage. Il pourra l'être, également, suite à une nouvelle embauche, pendant deux ans, pour des actions du même type, déterminées en accord avec l'employeur.
Autre apport de ce texte : la création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Ce fonds concrétise, sur le plan financier, l'un des points incontournables du cahier des charges de la réforme de la formation professionnelle : permettre aux personnes qui en ont le plus besoin d'accéder à la formation. Avec la portabilité du droit individuel à la formation, la création du fonds paritaire est, pour nous, l'un des piliers de la sécurisation des parcours professionnels que nous mettons peu à peu en oeuvre. Une somme de 900 millions d'euros sera ainsi affectée, chaque année, à des actions de formation en faveur des publics les plus fragiles, prélevés à deux sources : d'une part, les obligations légales de financement de la formation par les entreprises, avec un plafond fixé à 13 % du montant de ces obligations ; d'autre part, les excédents financiers des OPCA au titre de la professionnalisation et des OPACIF. Le débat en commission a permis de compléter la définition des publics qui doivent être visés en priorité par ces formations. J'y reviendrai plus loin.
Par ailleurs, le droit à l'orientation a été réaffirmé dans le texte issu de la commission des affaires sociales, grâce à un amendement de notre collègue Anciaux. En effet, nous estimons essentiel que la personne ne se retrouve pas seule devant le maquis des formations possibles et des organismes susceptibles de les lui dispenser. L'information et la qualité de cette information jouent un rôle moteur, comme je le soulignais tout à l'heure, en particulier pour les salariés et les demandeurs d'emploi les moins qualifiés. Le travail en commission a permis, là encore, de compléter utilement les dispositions prévues dans la version initiale du projet de loi, qui précise les conditions dans lesquelles un organisme pourra être reconnu comme exerçant la mission d'intérêt général d'information et d'orientation professionnelles.