Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, bien d'autres orateurs ont souligné les risques que comporte ce projet de loi qui, sous couvert de modernisation de l'économie, va, en réalité, profondément bousculer des équilibres délicats.
Il en va ainsi de la libéralisation effrénée de la grande distribution, dont on a un peu l'impression qu'elle est fabriquée spécifiquement pour certaines enseignes, je n'ose dire amies, mais qui se vantent en tout cas d'avoir joué un rôle décisif dans l'élaboration de ce texte.
Ce projet de loi est, à mes yeux, insuffisant, dangereux et risqué. Je tenterai, mes chers collègues, de vous en convaincre à partir de trois exemples.
Ce texte est insuffisant pour aider à la création d'entreprises et à la mobilisation des entrepreneurs individuels. Certes, il crée le statut de l'auto-entrepreneur, mais il fait trop l'impasse sur la micro-entreprise et sur la micro-finance. Qui peut nier que l'attractivité du régime de la micro-entreprise puisse être encore améliorée en relevant ses seuils, qui n'ont pas été revus depuis 1990, en baissant les taux de cotisations et en augmentant les abattements forfaitaires ? Plutôt que d'améliorer ce qui existe, le Gouvernement a fait le choix de créer encore un nouveau statut ! Est-ce cela la simplification administrative ?
Quant à la micro-finance et au micro-crédit, si fondamental pour la création par les demandeurs d'emploi de leur propre emploi, les modifications techniques de l'article 20 – à savoir l'élargissement des prêts aux fondations et l'accès des organismes prêteurs aux fichiers de la Banque de France –, si elles sont utiles, elles ne doivent pas faire illusion. L'ancien Président de la République avait réuni les banques pour développer le micro-crédit ; il avait créé l'Observatoire de la micro-finance et mis en place le Fonds de cohésion sociale. C'était peu, mais cela avait au moins le mérite d'exister ! Depuis un an, tout cela est en panne : pas un mot du nouveau Président, pas l'ombre d'une ambition. Là encore, pourquoi ne pas mobiliser les réseaux bancaires, faire du micro-crédit social et professionnel une grande cause nationale ? C'est d'un véritable service public de crédit social que notre pays et sa population modeste ont besoin. Or, de cela, vous ne dites rien !
Insuffisant, ce projet de loi est également dangereux, notamment quand il banalise le livret A, avec un niveau de garantie à mon sens très insuffisant. Jean-Pierre Balligand a remarquablement décrit nombre des dangers potentiels que recèle cette mesure. Avec cette banalisation, c'est tout un édifice financier dont on sape les fondations ; on met à mal un circuit de financement qui a fait les preuves de son efficacité, comme l'atteste son ancienneté.
Les détenteurs des livrets les plus consistants seront démarchés, inexorablement tentés par les sirènes alléchantes d'établissements qui rêvaient, depuis des années, de mettre la main sur leur capacité de placement, et il ne faudra pas longtemps avant que leur soient proposés d'autres produits d'épargne a priori plus rémunérateurs. Le danger, c'est de provoquer ainsi une « fuite » dans le circuit de financement du logement social, qui a pourtant tant besoin de stabilité et de ressources.
C'est en cela aussi que ce texte devient porteur de risques de puissants déséquilibres pour les établissements jusqu'alors distributeurs exclusifs de livrets à épargne réglementée. Ce sera vrai pour le Crédit Mutuel, mais bien davantage encore pour le réseau des Caisses d'Épargne, dont on aurait tort de croire qu'il est un colosse, alors qu'il conserve, sinon des pieds d'argile, du moins une assise encore relativement fragile. L'annonce récente de plus de 4 000 suppressions d'emplois risque de n'être qu'un début des révisions stratégiques de ce réseau.
Mais le risque majeur est pour la Banque Postale. Qui peut ne pas voir qu'elle va perdre sa clientèle la plus rémunératrice, et conserver – largement, si ce n'est exclusivement – une mission d'accessibilité bancaire très coûteuse – bien davantage, je le crains, que les compensations financières que ce texte et les discours du Gouvernement ne le prévoient ? Vous lui demandez de prendre son envol, mais en lui rognant les ailes ! En l'absence d'une prise de conscience rapide, la Banque Postale risque bien davantage de rester dans la cour de la ferme plutôt que de s'envoler vers la cour des grands au service de l'activité bancaire et du financement des besoins sociaux et économiques du pays ! À elle, vous laissez les charges, à d'autres vous offrirez les profits ! Est-ce cela, la modernisation de l'économie que vous voulez dessiner ? À dire vrai, le texte n'est rien d'autre qu'une nouvelle tentative de garder nationalisés les coûts et de privatiser les bénéfices !
Voilà pourquoi ce projet de loi doit être corrigé. Moderniser l'économie, cela ne signifie pas déstructurer ce qui fonctionne bien pour ouvrir les portes de l'aventure de la rentabilisation ! Car alors, il ne faut pas s'étonner que ceux qui ont déjà beaucoup aient encore davantage, et que ceux qui ont peu se trouvent encore plus marginalisés. C'est ce que vous risquez de faire avec ce texte, et ce n'est pas acceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)