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Intervention de Jean-Pierre Balligand

Réunion du 2 juin 2008 à 21h30
Modernisation de l'économie — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Balligand :

…vous avez en quelque sorte fait la promotion des articles 39 et 40 en expliquant que, dorénavant, tous les établissements bancaires seront autorisés à proposer le livret A : vous plaçant du côté non des banquiers – j'y reviendrai, car c'est peut-être le sujet – mais des clients, vous faites valoir que chacun, désormais, pourra s'adresser à n'importe quelle banque pour ouvrir un livret A. Ainsi présentée, cette mesure ne soulève à nos yeux aucune objection.

Dans un premier temps, toutefois, je souhaite rappeler à travers quelques chiffres l'importance de l'enjeu, car il ne s'agit tout de même pas de petites sommes ! Autant je ne suis pas convaincu que les dispositifs visant à faciliter l'ouverture de surfaces commerciales comprises entre 300 et 1 000 mètres carrés augmenteront de beaucoup le pouvoir d'achat de ceux qui en ont besoin, autant la question du livret A concerne des sommes considérables. C'est pourquoi je tiens à rappeler ces chiffres, que vous connaissez évidemment, madame la ministre, à mes collègues, car si nous connaissons tous la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse d'épargne ou la Banque Postale, en revanche, nous n'avons pas toujours une idée exacte des encours.

Je me demanderai ensuite pourquoi un tel projet de loi nous est soumis dans le contexte actuel avant de souligner les raisons pour lesquelles, à mon avis, il ne convient ni de banaliser ni de décentraliser le livret A.

Enfin, je m'interrogerai sur l'avenir de la Caisse des dépôts.

Les chiffres sont faciles à retenir : quelque 120 milliards d'euros d'encours pour le livret A et 19,7 milliards pour le livret Bleu, équivalent du livret A, que, pour des raisons historiques, le Crédit mutuel distribue dans certaines régions de France. Cela fait un total de 140,5 milliards d'euros centralisés à la Caisse des dépôts pour le livret A, le livret B et le livret Bleu.

Si le livret de développement durable et le livret A ont la même rémunération – 3,5 % actuellement –, le plafond du premier s'élève à 6 000 euros contre 13 500 euros pour le second. En outre, la décentralisation de l'ancien Codevi a été minimisée puisque l'on a expliqué qu'elle permettrait de mieux financer les PME et les PMI. Le LDD représente un peu plus de 60 milliards d'euros d'encours, dont seuls 7,7 milliards sont centralisés à la Caisse des dépôts et consignations, c'est-à-dire 8 ou 9 % de la collecte, le reste étant détenu par les banques.

Je vous demanderai, madame la ministre, puisque vous disposez des relevés trimestriels des banques, de nous indiquer la somme exacte dépensée pour financer les PME et les PMI, de même que celle utilisée en matière d'économies d'énergie des particuliers, puisque cet argent est normalement affecté en fonction de son utilisation. La moindre des choses est en effet de pouvoir disposer de données précises. J'ai moi-même mené ma petite enquête auprès d'administrateurs de banques et je dois dire que leurs réponses se sont révélées assez étonnantes quant à l'affectation des sommes. Votre réponse permettra peut-être une discussion sur l'avenir que le texte promet au livret A.

Une fois la collecte réalisée par les caisses d'épargne, par le Crédit mutuel et par la Banque Postale, détenteurs actuels du monopole de la distribution du livret A et du livret Bleu, on en vient aux prêts, aux placements et aux rémunérations. Je vous ai indiqué que 40 milliards d'euros sur 100 étaient centralisés à la Caisse des dépôts. En outre, 96,7 milliards d'euros d'encours de prêts – dont 88,2 milliards d'euros sont engagés pour l'habitat et la politique de la ville –, servent au financement des logements sociaux, dont je vous rappelle que 4 millions ont été construits depuis 1950.

On compte ainsi 6,5 milliards d'euros de nouveaux prêts « Habitat et politique de la ville » pour le seul exercice 2007, dont 4,4 milliards d'euros de prêts à la construction qui ont permis le financement des 54 000 logements sociaux pour le même exercice. Le coût de la bonification des prêts sur fonds propres de la Caisse des dépôts, dont on ne parle jamais, représentait 115 millions d'euros en 2007. Selon l'Union sociale de l'habitat, qui regroupe les organismes d'HLM, les prêts couvrent les trois quarts de la construction d'un logement social. Voilà à quoi sert cet argent !

Les actifs financiers représentent 120 milliards d'euros et la rémunération de l'épargnant est de 3,5 %. La rémunération des réseaux collecteurs s'élève jusqu'à présent à 1,12 % des encours du livret A en moyenne, La Poste, les caisses d'épargne et le Crédit mutuel ne pratiquant pas tous le même taux qui, d'après les dispositions du texte, sera désormais de 0,6 % de l'encours collecté.

Enfin, dernier chiffre, la rémunération de la garantie de l'État pour l'ensemble des fonds d'épargne par la Caisse des dépôts s'élève à 743 millions d'euros pour le seul exercice 2007 et, si l'on compte les cinq dernières années, cette somme atteint 8,5 milliards d'euros.

Il convenait de rappeler tous ces chiffres donnés souvent trop rapidement.

Nous ne discutons pas la teneur des articles 39 et 40 parce que l'Europe s'est autosaisie de cette affaire. Ce n'est pas vrai. Il ne faut pas faire porter à l'Europe des responsabilités qui ne sont pas les siennes. Il faut seulement se souvenir qu'en mars 2006 quatre banques françaises, le Crédit agricole, BNP-Paribas, la Société générale et les banques populaires, et une banque néerlandaise très connue distribuant une épargne fiscalisée – contrairement au livret A, dont je n'ai pas besoin de rappeler que les intérêts sont défiscalisés –, ING, ont déposé un recours. Les banques ont donc attaqué le dispositif en vigueur.

À cette époque, en décembre 2006, j'ai posé une question au Gouvernement sur le sujet. M. Copé, alors ministre délégué au budget et à la réforme de l'État et par ailleurs porte-parole du Gouvernement, avait répondu : « Le livret A bénéficie d'une organisation spécifique, depuis de nombreuses années, à la grande satisfaction des Français. Vous savez pertinemment » – ces propos datent de décembre 2006 ! – « que nous sommes les uns et les autres profondément attachés au maintien de ce système. Il s'agit simplement de l'expliquer de manière claire, précise, pédagogique et simple. Parce que nous parlons la même langue, nous serons, vous le verrez, très convaincants. »

Voilà qui explique le recours de la France contre la décision de Bruxelles. En effet, le 10 mai 2007, quatre jours après le second tour de l'élection présidentielle – date bien évidemment fortuite –, la Commission européenne estime que « les dispositions du code monétaire et financier français qui réservent à trois établissements de crédit, la Banque Postale, les caisses d'épargne et le Crédit mutuel, la distribution des livrets A et Bleu sont incompatibles avec l'article 86, paragraphe 1 du traité [instituant la Communauté européenne] en liaison avec les articles 43 et 49 dudit traité » et enjoint à la France de mettre fin à cette infraction dans un délai de neuf mois.

Vous avez pris l'initiative de déposer un recours contre la décision de la Commission européenne le 19 juin 2007. La Cour de justice des Communautés européennes n'a toujours pas statué. Une mission a par ailleurs été confiée à M. Camdessus sur la rédaction et les modalités d'une réforme de la distribution du livret A. Or, le 11 décembre, avant même la remise du rapport Camdessus, le Président de la République annonçait qu'il était prêt à banaliser le livret A !

Voilà, sans tronquer l'histoire, les données chiffrées replacées dans leur contexte.

Il s'agit d'abord, ici, de défendre l'idée selon laquelle la banalisation du livret A va poser un certain nombre de problèmes.

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