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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 19 juin 2008 à 15h00
Adaptation du droit des sociétés au droit communautaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Monsieur le président, madame la rapporteure, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons donc en seconde lecture un projet de loi relatif à l'adaptation du droit des sociétés au droit communautaire. Si ce texte est empreint d'une certaine technicité, son application a des conséquences plus importantes qu'il n'y paraît à première vue. Il vise notre droit des sociétés, notre droit du travail ainsi que l'organisation de notre modèle économique. Et lorsque ce modèle s'applique à des activités exercées par-delà nos frontières, c'est bien d'une certaine forme d'internationalisation de notre économie qu'il est question.

Le texte qui nous revient du Sénat est plutôt meilleur dans la forme, et c'est à l'aune de cette problématique qu'il nous faut en mesurer la portée.

Parmi les dispositions votées au Sénat, nous ne pouvons que nous féliciter a priori de celles tendant à renforcer les droits des salariés appartenant au « groupe spécial de négociation » et ceux des actionnaires minoritaires. Cette rectification s'imposait sans doute par souci de parallélisme ; elle procède néanmoins d'un esprit trop rare par les temps qui courent, alors que les droits élémentaires des salariés sont souvent rognés.

S'agissant des dispositions visant à renforcer les droits des salariés, l'article 5 est réécrit dans le sens d'une meilleure protection des salariés membres du groupe spécial de négociation. Il prévoit ainsi une extension des protections reconnues aux salariés protégés en matière de licenciement et, d'une façon générale, aux membres du groupe spécial de négociation et aux représentants au comité de la société issue de la fusion ou de la société coopérative européenne.

Il prévoit encore une extension des mécanismes protecteurs applicables aux salariés protégés en cas de rupture d'un contrat de travail à durée déterminée. Il prévoit une protection similaire en cas d'interruption ou de non-renouvellement d'une mission de travail temporaire. Il prévoit également l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail en cas de transfert d'un salarié siégeant dans le groupe spécial de négociation ou au comité de la société issue de la fusion trans-frontalière ou de la société coopérative européenne, ainsi que l'autorisation administrative préalable au licenciement d'un salarié membre de ce même groupe.

Dans la mesure où le droit du travail a été renforcé par les deux assemblées – droit européen oblige – il eût été utile de préciser que le temps de travail généré par la participation au groupe spécial de négociation est bien le travail « effectif » tel que l'entend notre législation. Peut-être pourrez-vous nous le confirmer, madame la secrétaire d'État, car cette précision ne figure pas dans le texte et n'a pas été mentionnée au cours des débats.

Ces textes, s'ils sont applicables à notre droit national, ont vocation à s'appliquer aussi demain à des salariés transfrontaliers. En toute logique sociale, la protection de leurs droits ne saurait, ici comme de l'autre côté de la frontière, être inférieure au niveau de protection dont les uns et les autres peuvent bénéficier.

L'harmonisation sociale à l'échelle européenne doit être inspirée par le respect des droits les plus protecteurs. L'exemple qui nous est donné d'harmoniser les processus de fusions transfrontalières devrait inspirer la France à la veille de sa présidence de l'Union.

Quant à l'article 5 bis nouveau, introduit par notre assemblée à l'initiative de sa commission des lois, avec l'avis favorable du Gouvernement, il tend à prévoir des coordinations dans plusieurs articles du code du travail, afin d'assurer une protection effective des salariés membres du groupe spécial de négociation.

De l'aveu même du rapporteur au Sénat, cet article complète les dispositions des articles 6 et 7 du présent projet de loi, qui ne comportaient que des mesures de protection en cas de licenciement des salariés. Il complète également les omissions de la loi du 30 janvier 2008, relative à la mise en oeuvre des dispositions communautaires, concernant le statut de la société coopérative européenne et la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. Ces propos, comme les nouvelles dispositions proposées, illustrent la façon dont le Parlement doit désormais légiférer.

Pour adapter et réformer, nous devons prendre le temps nécessaire pour l'écoute et l'écriture. Quelle protection apportons-nous aux salariés si les textes que nous votons sont imprécis et qu'il leur faut recourir au juge pour faire reconnaître les droits que nous sommes censés leur donner ?

Je m'associe, madame la rapporteure, à vos propos concernant le maintien du statut de nos sociétés coopératives et leur spécificité fiscale. Elles participent en effet, dans tous les domaines, au développement d'entreprises souvent identifiées au territoire sur lequel elles sont installées, et leur mode de gouvernance justifie, selon nous, que leur singularité soit préservée. Nous soutiendrons toute initiative en ce sens.

Les associés minoritaires ressortent de la seconde lecture avec des droits renforcés, puisque le Sénat à totalement réécrit l'article L. 236-10 du code de commerce. L'unanimité requise, le rappel des règles et la recherche du meilleur équilibre dans le rapport d'échange constituent une harmonisation par le haut.

Restent le contexte économique défavorable dans lequel cette loi sera mise en oeuvre et la position de la Commission européenne face à des opérations de restructuration.

Faut-il faciliter de telles opérations, qui consisteront demain à rechercher une législation fiscale ou sociale dont le premier objectif sera le dumping ? J'ai à l'esprit l'exemple d'une PME de ma région, qui emploie quatre-vingts salariés. Ses dirigeants ont étudié la façon de réaliser le même chiffre d'affaires en se tournant vers L'Europe de l'Est : il suffisait de racheter une entreprise produisant les mêmes volumes et de fusionner. Le résultat serait sans appel : demain, en France, cinq salariés suffiraient. Fort heureusement, il s'agit d'une SCOP, dont les dirigeants n'ont pris la mesure de la situation que pour la déplorer.

Si le danger existait déjà, il risque donc d'être encore plus grand demain.

Enfin, dans les domaines industriels des services ou des nouvelles technologies, l'Europe a besoin de se doter de groupes puissants pour répondre aux économies émergentes. Cette loi devrait faciliter la constitution de ces groupes. Pour autant, il ne faudrait pas que le zèle de la Commission européenne n'aboutisse à l'exigence de cessions de filiales à des capitaux extra-européens, ou autres fonds de pension, au motif de concentration. L'exemple d'EADS est là pour nous le rappeler !

Cela étant, le contexte économique est mauvais et la politique de déréglementation dangereuse. La France est en danger, et il est paradoxal de constater que c'est précisément ce moment que nous choisissons pour créer les instruments juridiques d'une délocalisation à l'échelle européenne, qui laisse en outre en l'état les disparités fiscales et le risque de dumping qui l'accompagne.

En réalité, ce texte n'apporte aucun des éléments que nos concitoyens sont en droit d'attendre en matière de régulation de l'économie. Leur pouvoir d'achat n'en sortira pas renforcé, quand ce n'est pas leur emploi qui sera menacé.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s'abstiendra sur ce texte.

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