Dans les dispositifs proposés par votre projet, on voit bien que la relation entre le demandeur d'emploi et l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1, qui n'a pas encore de nom, mais que nous appellerons pour le moment l'ANPE, n'est pas équilibrée, pas plus que ne l'est, dans un contrat de travail, celle qui unit le salarié à l'employeur, du fait du lien de subordination qui existe entre eux.
On retrouve le même déséquilibre dans le jeu des responsabilités et des sanctions. Celles-ci sont précises et drues pour le demandeur d'emploi ; il n'en existe aucune, en revanche, pour l'institution, même lorsqu'elle s'avère incapable de proposer au chômeur deux voire une seule offre d'emploi valable ni raisonnable. Il n'existe pas davantage de sanctions contre les employeurs qui déposent des offres de mauvaise qualité, précaires ou supposant des conditions de pénibilité inacceptables.
À ce stade, je veux insister sur un aspect de votre démarche qui marque une dérive, une évolution importante de notre système de prise en compte et de prise en charge du chômage. Actuellement, Jean-Patrick Gille l'a signalé tout à l'heure, les salariés et les employeurs cotisent aux ASSEDIC pour assurer le risque de perte d'emploi et indemniser les demandeurs d'emploi selon des modalités issues de la négociation sociale. C'est le système d'assurance chômage qui donne des droits aux salariés. Certes, personne ne soutiendra que le demandeur d'emploi puisse se contenter d'attendre que le temps passe en touchant ses allocations. Il a, envers la collectivité, le devoir de rechercher un emploi. Mais celle-ci, via notamment l'ANPE, a le devoir de lui en proposer un.
Or votre texte, qui inscrit dans la loi que la relation entre le chômeur et l'ANPE se situe dans le cadre d'un projet personnalisé d'accès à l'emploi élaboré conjointement – j'insiste sur ce mot – opère un glissement vers une relation de type contractuel, décrivant les obligations réciproques de l'un et de l'autre. De ce fait, le demandeur d'emploi perd un peu les droits que lui donne l'assurance chômage en échange de ses cotisations, pour retrouver essentiellement des obligations.
On peut d'ailleurs s'interroger sur la constitutionnalité d'une partie de votre dispositif remaniée par le Sénat. Parce que le PPAE acquiert, par votre texte, des effets juridiques, le Sénat en a déduit que le refus du demandeur d'emploi de s'inscrire dans ce dispositif pourrait être sanctionné. Mais n'est-ce pas nier les droits découlant de l'assurance chômage que d'infliger une sanction pour cette raison ? N'est-ce pas à l'ANPE de faire tout simplement des offres ? Et de quel droit sanctionner celui ou celle qui ne souhaiterait pas entrer dans la démarche contractuelle proposée ?
Autre interrogation : n'y a-t-il pas contradiction entre le fait que le PPAE soit adapté à la situation personnelle de chaque chômeur, donc individualisé, et le caractère automatique, systématique, des règles d'évolution dans le temps de ce que vous appelez « l'offre raisonnable », en rupture avec cette individualisation ? Dans ce nouveau système, et dans le cadre de la relation déséquilibrée que vous instaurez entre l'ANPE et le demandeur d'emploi, quelle est la marge de manoeuvre du chômeur ? Elle paraît très faible, sinon nulle. Auditionné par le Sénat, le directeur adjoint de l'ANPE l'a d'ailleurs admis, en citant un exemple particulier : « On ne peut cependant exclure, observe-t-il, qu'un conseiller ANPE conseille par réalisme à un jeune demandeur d'emploi d'accepter de contracter un CDD au lieu d'un CDI, afin de faciliter son entrée sur le marché du travail. »
Dans le même cadre de réflexion, comment ne pas s'étonner, alors, que la sanction – en l'occurrence, la radiation – soit prononcée le cas échéant par l'un des partenaires de cette relation encore imprécise, à savoir l'ANPE ? Celle-ci n'est-elle pas à la fois juge et partie ? Censée proposer au demandeur d'emploi des offres raisonnables, selon une définition établie conjointement avec lui, la voilà qui sanctionne le demandeur d'emploi qui refuserait une offre, au motif que lui-même ne la considérerait pas comme raisonnable, c'est-à-dire comme répondant à cette même définition établie en commun !
Alors, c'est vrai, l'usine à gaz des recours peut se mettre en branle.