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Intervention de Philippe Séguin

Réunion du 4 février 2009 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes :

Or, il faut le savoir, nous ne sommes pas encore en situation de remplir complètement cette nouvelle mission. Rares sont en effet celles de ces politiques publiques qui ne sont pas partagées entre le niveau national et les différents niveaux locaux. Le principe des blocs de compétences qui a pu prévaloir et justifier l'organisation actuelle des juridictions financières a en effet subi bien des atténuations, pour m'en tenir à cette litote.

Pourtant, nous avons sans doute trop longtemps différé la réorganisation à conduire en conséquence. Nous avons été ainsi contraints de décliner un certain nombre des demandes d'enquête émanant de vos commissions ou de celles du Sénat, celle concernant les services départementaux d'incendie et de secours en étant le dernier exemple. Vous-mêmes êtes privés d'un accès direct aux chambres régionales des comptes, que leur statut de juridictions autonomes empêcherait de toute façon de vous faire, dans les délais habituels, une réponse commune.

La situation actuelle n'est pas loin d'être absurde, puisque les rapporteurs de la Cour n'ont pas accès aux comptes des collectivités territoriales. Comment, dans ces conditions, contrôler globalement et utilement des politiques comme la formation professionnelle ou la politique de lutte contre l'exclusion, exemples parmi cent autres ? À l'inverse, il arrive qu'une chambre régionale des comptes se situe à cent mètres d'une préfecture de région, où elle n'a pourtant aucun pouvoir d'investigation. Résultat : les services déconcentrés de l'État échappent largement à tout contrôle.

Les chambres régionales et la Cour ont bien imaginé et monté des usines à gaz pour travailler ensemble : comité de liaison, formations de délibéré communes, et j'en passe. Toutes ces ingéniosités trouvent leurs limites dans le fait que nous demeurons des juridictions distinctes. Chaque enquête commune est ainsi une véritable course à handicaps du fait de la superposition des procédures, laquelle peut conduire, vous le savez bien, un même élu à répondre à trois ou quatre reprises aux mêmes questions. Au final, il faut bien compter deux à trois ans au minimum pour aboutir à un résultat.

Tout cela, me semble-t-il, fait de notre adaptation une ardente obligation. Les avant-projets actuellement soumis à la concertation interministérielle ne suppriment bien évidemment pas le réseau constitué par les chambres régionales ; ils ne cherchent qu'à supprimer les obstacles au travail commun. Parallèlement, le contrôle à l'échelon local doit lui-même continuer à évoluer. Les collectivités territoriales ont accompli en quelques années des progrès tout à fait significatifs en matière de gestion. Par ailleurs, les sujets traités sont désormais éminemment complexes et les enjeux financiers sans commune mesure avec ce qu'ils étaient il y a un quart de siècle.

L'objectif que nous cherchons pour notre part à faire prévaloir est donc triple : pouvoir vous apporter dans des délais raisonnables et avec toutes les garanties de rigueur la contribution à l'évaluation des politiques publiques que vous attendez ; garantir aux élus locaux une plus grande homogénéité dans les contrôles, en d'autres termes, une plus grande équité de traitement – je crois d'ailleurs me souvenir que c'était l'une des attentes formulées à l'occasion du débat sur la loi de 2001 – ; apporter, enfin, un service toujours plus utile aux collectivités contrôlées.

Je le répète régulièrement, nous ne sommes pas là, à titre principal, pour épingler, clouer au pilori ou stigmatiser. Nous avons, certes, à rappeler les règles et parfois à sanctionner les manquements les plus graves à notre appareil législatif et réglementaire ; mais nous souhaitons d'abord apporter une expertise utile à nos interlocuteurs. Cette dimension de notre action, nous souhaitons la renforcer. Loin de nous, bien sûr, l'idée d'abandonner le contrôle organique, mais ce type de contrôle gagnera à être programmé au terme d'une analyse de risques mieux étayée.

Surtout, nous pourrons concevoir des campagnes de contrôles conduites sur le même thème, selon les mêmes méthodes et sur un vaste échantillon de collectivités, l'objectif étant non pas de dresser un tableau de chasse, mais de repérer les bonnes pratiques et d'en faire profiter le plus grand nombre ; et, à l'inverse, de repérer les risques et d'aider chacun à les prévenir. Il y a là, je vous l'accorde, une véritable révolution dans l'approche du contrôle. Elle est à notre sens indispensable.

Tous les jours, les collectivités territoriales doivent faire des choix, passer des marchés, négocier des financements, face à des entreprises privées puissantes qui, tout naturellement, cherchent à gagner des parts de marché et à en tirer le maximum de profit ; il faut bien reconnaître que les rapports de force tournent souvent en leur faveur. Les juridictions financières ont donc un rôle majeur à jouer pour mettre les collectivités territoriales en situation de rétablir l'équilibre et de mieux éclairer leurs propres décisions.

Nous aurons également à traduire pour les collectivités territoriales le principe posé par la Constitution sur la sincérité des comptes publics. En la matière, nous sommes tout disposés à répondre utilement aux besoins qui seront exprimés par nos interlocuteurs.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous l'aurez compris, plus que jamais, notre ambition n'est que de vous fournir l'aide que vous êtes en droit d'attendre de nous. J'espère que mon propos, appuyé par ce rapport public annuel qui, cette année encore, est d'une grande richesse, vous en convaincra. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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