En effet, rien n'est moins sûr, mon cher collègue.
En théorie, cet organisme veille au respect du principe d'indépendance. Mais, dans la pratique, ses attributions ne sont absolument pas définies. Et pour cause : va-t-on créer un corps d'inspection de la statistique publique qui enquêtera sur les réseaux d'influence de tel ou tel ? C'est un décret qui en décidera et l'on peut s'attendre à des compétences des plus floues. Je n'irai pas jusqu'à poser la question : qui va enquêter sur l'indépendance de l'organisme chargé de veiller à l'indépendance de la statistique ? Sans doute un organisme chargé de veiller à l'indépendance de l'organisme chargé de veiller à l'indépendance de la statistique ! On ne s'en sort pas !
La création de cette Autorité n'aurait que peu de conséquences si les attributions du Conseil national de l'information statistique étaient maintenues. Or le CNIS est lui-même menacé.
Auparavant, il coordonnait les enquêtes statistiques et établissait ouvertement un programme d'ensemble. Désormais, il sera un lieu de négociation entre les producteurs et les utilisateurs de la statistique publique, et, dans un tel contexte, l'on peut s'attendre à tous les arrangements. Les pratiques que j'ai dénoncées dans la première partie de mon propos seront-elles ainsi quasi-officialisées ?
Mes chers collègues, la meilleure garantie de l'indépendance n'est pas de créer un organisme Théodule nouveau qui aurait l'attribution explicite d'y veiller. D'ailleurs, je note que le code des bonnes pratiques de la statistique européenne ne recommande à aucun moment la création d'un tel organisme indépendant. Il préconise que ce soit le chef de l'autorité diffusant la statistique qui veille aussi à son indépendance. Mais la meilleure garantie de cette indépendance est au contraire de fixer de manière claire, sous le regard des citoyens, des orientations conformes aux priorités nationales. L'indépendance de la statistique passe avant tout par un contrôle démocratique sur ses orientations. À défaut, l'influence du pouvoir est toujours possible. Même imparfait, le Conseil national de l'information statistique constituait un tel instrument d'orientation. Or l'on vise, par ce projet de loi, à lui retirer ce rôle.
J'espère vous avoir convaincu – j'y suis bien parvenu sur un autre texte dans cet hémicycle – : au total, la statistique publique sortira de ce texte de loi considérablement affaiblie.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, de supprimer l'article 38 en votant l'amendement qui va suivre.