La vérité c'est que notre système est à bout de souffle et qu'il nous faut engager un véritable changement du cadre de nos politiques de protection sociale. Or vous avez fait exactement le contraire depuis un an, avec le choix des franchises et avec l'appel à une plus forte contribution des assurances complémentaires – nous avons même évité de justesse une remise en cause de la prise en charge des affections de longue durée. Vous prolongez une politique qui s'est non seulement révélée inefficace économiquement et financièrement, mais qui apparaît de plus en plus porteuse d'inégalités.
Or le changement de perspective est d'autant plus nécessaire que les besoins sociaux, qu'il s'agisse de la maladie, de la retraite ou de la dépendance, sont amenés à croître, comme dans toutes les démocraties occidentales et tous les pays développés. Comment, dès lors, faire face à ce défi pour notre protection sociale ? En réduisant, selon vous, les prestations et en resserrant les dépenses.
Monsieur le ministre, je ne crois pas à ce choix. Nous avons certes besoin d'une meilleure maîtrise des dépenses, ce qui implique de s'assurer qu'un euro supplémentaire dépensé est un euro dépensé de manière juste et efficace. À l'évidence, ce n'est pas le cas. Depuis un an, votre politique n'a pas permis de réduire les inégalités croissantes en matière de protection sociale : un ouvrier a une espérance de vie de sept ans et demi inférieure à celle d'un cadre supérieur ; arrivés à l'âge de la retraite, ceux qui ont travaillé le plus durement sont ceux qui auront le moins de temps pour profiter d'une retraite en bonne santé ; 15 % des Français renoncent à se soigner pour des raisons financières ; des territoires entiers, principalement ruraux mais pas uniquement, se vident de leurs personnels de santé ; les restrictions de moyens imposées à l'hôpital public introduisent désormais des files d'attente au point que l'accès à certaines interventions est aujourd'hui remise en cause – notamment les interruptions volontaires de grossesse, qui deviennent plus compliquées à réaliser, l'été en particulier, faute de médecins disponibles. Cette liste est loin d'être exhaustive. Ce n'est pas en faisant davantage pression sur les Français que l'on pourra répondre aux défis de la sécurité sociale.
Oui, une plus grande rigueur dans la maîtrise des dépenses est nécessaire. Pour autant, elle n'impose pas la dégradation de notre État social. Les pays du Nord, que vous citez souvent sur le marché du travail ou de la politique en matière de retraite, en sont un exemple : la Suède, la Finlande et le Danemark – sans compter la Norvège qui, elle, dégage des excédents grâce à ses ressources pétrolières – ont réussi, au cours des dernières années, à concilier une prise en charge forte des assurés, qu'il s'agisse de la retraite, de l'assurance maladie et maintenant la dépendance, et un assainissement de leurs finances publiques. Il n'y a donc pas de relation, directe, nécessaire, entre une révision à la baisse des prestations sociales et une remise en ordre de nos finances publiques. Cela signifie tout simplement qu'il faut proposer des réformes de structure, et non pas rester dans le cadre existant.
Proposer des réformes de structure, cela a été évoqué à plusieurs reprises ce matin, signifie notamment en finir avec un certain nombre de niches sociales qui concernent de trop nombreux revenus. Si l'on peut admettre que certaines aides directes consenties aux salariés fassent l'objet d'exonérations – comme le chèque vacances ou le titre restaurant –, rien, en revanche, ne justifie l'exonération de cotisations appliquée aujourd'hui aux revenus liés à la participation ou à l'intéressement. On peut discuter du taux applicable à ces revenus, mais, sur le principe, il n'y a aucune raison pour que ce qui constitue un revenu ne contribue pas à l'équilibre ou à l'assurance d'une protection sociale de bonne qualité. J'ajoute qu'à force d'exonérer ce qui est un revenu complémentaire, on en vient à exercer une pression sur le niveau des salaires. Pourquoi augmenter les salaires si l'on peut rémunérer les salariés avec de l'intéressement ou de la participation ? Plus choquante encore est l'exonération dont bénéficient les revenus liés à la détention des stock-options ou ceux issus de la pratique des parachutes dorés. Depuis l'année dernière, monsieur le ministre, vous en parlez et des pas timides sont esquissés dans cette direction, mais très en deçà des préconisations non seulement du Parti socialiste, mais surtout du Premier président de la Cour des comptes lui-même, le rapport de la Cour des comptes de 2007 ayant fortement souligné la nécessité de soumettre ces revenus à une contribution sociale plus importante !