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Intervention de François de Rugy

Réunion du 15 juillet 2008 à 9h30
Débat d'orientation des finances publiques pour 2009

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Vous continuez à utiliser imperturbablement la méthode Coué et la langue de bois.

Vous avez évoqué dans votre intervention ceux qui veulent « vraiment » assainir les finances publiques. On peut se demander, monsieur le ministre, à qui vous vous adressiez. Vous vous exprimez devant l'Assemblée nationale comme si elle était responsable de cette situation. Or, ce n'est pas l'Assemblée, ni même ceux qui siègent sur les bancs de la majorité, qui ont imaginé cette monstruosité économique et financière qu'est le paquet fiscal. Chacun sait que c'est à l'Élysée qu'a été imaginée cette mesure et qu'a été fait ce choix aussi injuste qu'inefficace. Peut-être vous adressiez-vous à vos collègues du Gouvernement ou au Président de la République !

Vous ne pouvez pas accuser non plus les députés de l'opposition, car nous avons voté, voici un an, contre ce paquet fiscal qui a désarmé l'état de 15 milliards d'euros de recettes. Non seulement nous nous sommes opposés à ce projet, mais nous avons également refusé de nous livrer à une surenchère en matière de baisses des impôts, ce qui aurait pourtant été facile dans notre rôle d'opposants. Les 15 milliards d'euros que vous avez dépensés de cette manière auraient été les bienvenus dans le budget des ménages, pour les classes moyennes, qui sont les grandes oubliées de votre politique depuis un an.

Le débat que nous avons aujourd'hui tombe à point nommé pour faire le bilan des mesures que vous avez fait voter l'an dernier. Lorsque nous les critiquions alors, vous nous reprochiez de voir tout en noir, d'être pessimistes, d'être des oiseaux de mauvais augure. Nous disions que le paquet fiscal serait aussi injuste qu'inefficace. Or, les premières données fournies par les services fiscaux, vos propres services, ont bien montré que le bouclier fiscal, par exemple, ne profitait qu'aux quelques dizaines de milliers de contribuables les plus fortunés, qui allaient recevoir un gros chèque. Lorsque nous vous disions que la France n'échapperait pas aux effets de la crise financière venue des États-Unis, vous nous accusiez de tout voir en noir. Vous nous faisiez la même réponse lorsque nous évoquions la hausse du déficit de l'État et du commerce extérieur, ou celle des taux d'intérêt, qui est pourtant une des conséquences indirectes de la hausse du déficit de l'État français. Nous avions dit que votre prévision d'un prix du baril de pétrole à 70 dollars pour 2008 était intenable : il vaut déjà le double à la moitié de l'année – mais vous récidivez en tablant sur un prix moyen du baril de 125 dollars en 2009. À ce stade, ce n'est même plus de la méthode Coué, c'est de l'irresponsabilité !

Nous attendons toujours les mesures qui permettraient concrètement aux Français de ne plus subir cette hausse des prix du pétrole, mais vous ne proposez aucune mesure structurelle sur ce front. Jusqu'à présent, vous n'avez rien trouvé de mieux que la fuite en avant qu'est la « prime à la cuve », qui ne réglera nullement le problème à moyen et à long terme pour tous les Français qui subissent les hausses des prix de l'énergie, qu'ils se chauffent au fioul, au gaz ou à l'électricité. Nous étions encore, dans d'autres domaines, en dessous de la réalité. Nous n'avions pas osé imaginer une inflation à 3 %. Nous n'avions pas osé imaginer que se combine aux difficultés économiques et à la baisse de l'activité, une hausse des prix aussi forte. Nous n'avions pas osé imaginer les pertes de recettes de 3 à 5 milliards d'euros qui s'ajoutent à celles du paquet fiscal et donc vous avez fait l'aveu voici quelques jours devant la commission des finances.

Peut-être allez-vous encore essayer d'objecter qu'il s'agit là d'un discours politique d'opposant. Je vous invite à consulter les courbes publiées aujourd'hui par le journal Les Échos : on voit clairement qu'elles sont toutes en rouge, toutes à la hausse – sauf celle du moral des ménages, qui est à la baisse. Les prix à la consommation sont à la hausse, tout comme les cours du pétrole ou la parité entre l'euro et le dollar. Ce même journal fait le point sur plusieurs indicateurs : l'inflation a été multipliée par deux depuis un an, le prix du pétrole a également doublé depuis un an, le pouvoir d'achat est en stagnation, la consommation a calé, le chômage a cessé de baisser, la confiance des ménages s'est effondrée, le marché immobilier se retourne, la croissance a nettement ralenti et l'euro a poursuivi son envolée. Même les exportations, dont on avait pu penser qu'elles tenaient bon, se sont de nouveau effondrées au premier trimestre 2008. Voilà tous les points égrenés par ce journal dont personne ne pourra contester le sérieux, ni prétendre qu'il est à la solde de l'opposition.

Dites-nous donc quelles mesures vous comptez prendre pour redresser la barre, au lieu de vous en tenir à la théorie et de tenir, selon le mot de M. Sapin, un discours « hors sol », qui fuit devant la réalité.

Je tiens également à rappeler qu'au cours de l'année écoulée, nous vous avons interrogé – je l'ai fait moi-même à l'occasion d'une séance de questions d'actualité – sur les niches fiscales, que vous avez évoqué tout à l'heure. Mme Lagarde, qui m'avait alors répondu, n'avait fourni aucun élément précis, mais avait en revanche dénoncé certains crédits d'impôt ou certaines réductions fiscales, comme les encouragements aux économies d'énergie – dont le rapporteur général du budget ne manque jamais une occasion de dire qu'elles coûtent trop cher – ou les réductions accordées aux personnes qui emploient des salariés à domicile, au titre des « services à la personne ». Heureusement, au demeurant, que les particuliers agissent dans ces domaines, car on attend toujours que l'État le fasse ! Vous n'avez rien dit, en revanche, sur les niches fiscales qui ne profitent qu'à quelques-uns et qui coûtent pourtant très cher. Ce que nous avons dit du bouclier fiscal, nous pourrions le dire aussi d'autres niches telles que le régime très avantageux des investissements immobiliers réalisés dans certains territoires d'outre-mer.

Vous venez également de tenir des propos inquiétants sur le revenu de solidarité active, en déclarant qu'il était normal qu'il ne figure pas dans les prévisions budgétaires, au motif qu'il n'a pas encore été voté. Comme nous ne nous faisons pas d'illusion sur le fait que ce pourrait être une marque de respect de votre part envers l'organisation du travail législatif, nous arrivons à un constat simple. De deux choses l'une, donc. Soit vous ne mettrez pas en oeuvre cette mesure – et si c'est le cas, autant le dire tout de suite. On sait d'ailleurs que cela correspondrait sans doute à votre orientation personnelle et à celle de nombreux responsables de l'UMP, dont certains ont lancé voici quelques semaines une offensive contre le revenu de solidarité active, qui n'est pas conforme à votre idéologie. Soit vous financerez cette mesure en supprimant la prime pour l'emploi – ce qui revient à dire que ce sont encore les classes moyennes qui paieront. Vous aurez déshabillé Paul pour habiller Jacques, et, une fois encore, ce ne sont pas les plus fortunés et les plus hauts revenus qui paieront.

On l'a déjà dit, le contexte économique général est très mauvais. Au problème de la crise financière internationale s'ajoutent la flambée du prix des matières premières, les nouveaux records historiques atteints chaque jour par le prix du pétrole, une crise alimentaire qui se profile et, par-dessus le marché, l'attitude de la Banque centrale européenne qui remonte ses taux d'intérêt par crainte de l'inflation alors que c'est la récession économique qui nous guette. Face à tous ces problèmes, les mesures que vous nous proposez ressemblent à une fuite en avant, voire à un pansement sur une jambe de bois, alors qu'il faudrait faire des choix clairs.

Pour rendre service au Président de la République, qui n'a rien trouvé de mieux, dans le contexte actuel, que de relancer cette vieille promesse, qu'il sait lui-même impossible à tenir, d'abaisser à 5,5 % le taux de la TVA dans la restauration, M. Chartier propose de n'abaisser ce taux qu'à 12,5 % et, pour financer cette baisse, d'augmenter tout simplement la TVA qui frappe les ventes à emporter. En d'autres termes, vous proposez que ceux qui mangent des sandwiches paient plus cher pour financer vos promesses. C'est une étrange conception de la justice fiscale ! Ainsi, les mesures les plus anodines elles-mêmes dissimulent encore votre idéologie.

Pour notre part, nous n'avons pas peur de choix beaucoup plus clairs. Il serait relativement simple, par exemple, pour renflouer les caisses de l'État, d'abroger le bouclier fiscal, en déclarant qu'au terme d'un an d'essai cette mesure n'a pas donné les résultats escomptés. De fait, elle était destinée, selon Mme Lagarde, à faire revenir en France les gros patrimoines et les gros revenus, mais ils ne sont pas revenus. En revanche, ceux qui étaient là ont bénéficié d'un chèque cadeau de plusieurs dizaines de milliers d'euros, comme nous l'avions souligné à l'époque. Cette abrogation rapporterait plus que la suppression de 30 000 postes de fonctionnaires que vous avez décidée. En effet, même si je n'ai pas vu de chiffrage précis à cet égard, cette mesure représenterait une économie annuelle de l'ordre de 500 millions d'euros, soit quasiment deux fois moins que le milliard d'euros que coûtera chaque année le bouclier fiscal – pour ne parler que de lui et ne pas m'exposer au reproche car vous nous faites souvent de mélanger toutes les mesures du paquet fiscal.

S'il faut parler de TVA, personne ne vous ferait reproche d'augmenter celle qui s'applique aux produits les plus polluants. Ce serait cohérent avec les engagements toujours non tenus du Grenelle de l'environnement. Ainsi, dans le cadre du système de bonus et malus sur les véhicules, personne ne vous reprocherait d'augmenter le malus sur les voitures les plus polluantes – mais il semble plutôt que, comme par hasard, vous envisagiez plutôt de réduire le bonus.

Personne ne vous reprocherait non plus de vous battre au niveau européen pour augmenter la TVA sur les produits importés de pays qui ne font aucun effort dans la lutte contre l'effet de serre, au lieu de continuer à poursuivre votre chimère de réduction de la TVA sur la restauration. Cette mesure est notamment proposée par la fondation Nicolas Hulot, qui a participé au Grenelle de l'environnement et qu'on ne peut guère taxer d'extrémisme. Mais, dans ce domaine, comme par hasard, vous n'avancez pas.

Le Président de la République a récemment déclaré au G8 que les grandes puissances émergentes ne devaient pas se soustraire à leurs devoirs. Il est temps de passer à l'acte. Se contenter de paroles ne changera rien à la situation économique. C'est une question de justice et d'efficacité.

J'évoquerai pour conclure votre politique de dépenses, puisque votre discours y est largement consacré. De fait, pour ce qui est des recettes, vous n'êtes pas très crédible et n'avez pas grand-chose à dire, sinon qu'elles vont encore se dégrader, ce qui n'est d'ailleurs pas le signe d'une très bonne gestion, et c'est bien dommage de la part du ministre des comptes publics. Le sentiment que nous avions l'an dernier s'est vérifié : vous commencez par creuser des trous avec des cadeaux fiscaux aussi irresponsables qu'injustes, puis vous dites qu'une politique d'austérité est inévitable. Certes, vous n'employez pas les mots d'« austérité » ou de « rigueur ». Il n'y aurait pourtant rien de mal à le faire si l'effort était justement réparti, mais vous évitez précisément de le faire, car vous savez que ce n'est absolument pas le cas. Cette politique est pourtant bien là. Par un tour de passe-passe rhétorique, vous rendez les services publics, les fonctionnaires et même les collectivités locales responsables de l'aggravation des déficits. C'est tout de même un peu gros, si l'on pense aux mesures que vous avez prises voilà un an dans le cadre du paquet fiscal, qui auront pour effet de faire payer certaines catégories – les fonctionnaires, mais aussi les salariés du privé lorsqu'ils se verront supprimer la prime pour l'emploi – au bénéfice de quelques-uns seulement.

Quant aux collectivités locales – nous l'avons dit voilà un an, nous l'avons répété lors du débat budgétaire pour 2008 et nous sommes malheureusement obligés de le redire cette année –, non contents de les montrer du doigt, vous continuez à vous décharger sur elles de diverses responsabilités – nous y reviendrons cet après-midi à propos de ce funeste projet de service minimum dans les écoles. Après avoir reproché aux collectivités locales de dépenser trop, vous voudriez qu'elles réduisent les services rendus aux habitants ou qu'elles augmentent les impôts : avec vous, le calcul politicien n'est jamais loin !

Vous devriez au contraire saluer le dynamisme des collectivités locales et vous réjouir que ce dynamisme soit efficace, c'est-à-dire que l'investissement réalisé par les collectivités locales se traduise par l'attractivité de ces territoires, laquelle génère de nouvelles ressources qui permettent à leur tour de nouveaux investissements. C'est là, bien au contraire de ce que fait l'État, un cercle vertueux que vous devriez défendre.

Je n'ai malheureusement pas le temps de parler de l'hôpital public, alors qu'il y aurait beaucoup à dire sur le cercle vicieux du sous-financement et du sous-investissement qui, en provoquant une fuite continue vers les cliniques privées, a pour effet d'affaiblir toujours davantage l'hôpital public. Je regrette de ne pouvoir répondre à ce qu'a dit M. Bur à ce sujet.

Monsieur le ministre, nous ne pouvons que vous inviter à faire enfin des choix clairs et justes sur les recettes, qui ne conduisent pas à ce que les Français paient une double facture : plus d'impôt et moins de service public.

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