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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 10 juillet 2007 à 21h30
Travail emploi et pouvoir d'achat — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Madame la ministre, le projet de loi du Gouvernement en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat est le premier texte dont notre assemblée est appelée à débattre. Je peux comprendre l'urgence, voire la précipitation, tant les enjeux sont importants pour la France et plus encore pour les pays d'outre-mer, touchés depuis des décennies par un mal- développement chronique.

Pour l'élu martiniquais que je suis, le travail, plus qu'une valeur, est un facteur de dignité, un élément de reconnaissance et de respect social. Je ne peux donc contester le principe sur lequel repose votre démarche. Je le peux d'autant moins que la philosophie politique qui m'habite repose sur le principe fondateur suivant : « La chance de la Martinique est le travail des Martiniquais. » Ce n'est pas de Confucius, madame, mais du poète de la conscience et de la négritude : Aimé Césaire. Ce principe nous tient lieu de guide. C'est dire l'importance que nous accordons à ce qui pourrait contribuer, par une mutation profonde, à l'instauration outre-mer d'une croissance économique capable de progrès et de justice sociale, capable de lutter sans concession contre ce fléau qu'est le chômage.

Si je partage donc l'ambition – c'est quasiment une obligation – de sortir des multiples impasses économiques et institutionnelles dans lesquelles la France et l'outre-mer se trouvent, afin d'ouvrir d'autres imaginaires et d'autres perspectives, il est par contre, madame la ministre, un élément qui nous sépare, du moins dans l'analyse sur laquelle repose votre projet. Nos conceptions respectives du progrès sont en effet très différentes. Pour ma part, je l'aurais souhaité plus solidaire et plus favorable à une alternative économique et à la responsabilité locale. Or c'est loin d'être le cas, notamment pour les pays d'outre-mer.

Dans l'économie martiniquaise, le travail est une denrée rare et faire le choix de privilégier l'accroissement de la durée du travail me laisse perplexe. Pour travailler, il faut de l'activité. La priorité, c'est donc la relance globale de l'activité économique. Oui, aujourd'hui, l'économie martiniquaise n'a de martiniquaise que le nom ! Elle tire sa richesse d'un système qui se valorise par l'importation et le profit au détriment d'une culture de production rurale et urbaine, créatrice d'activités et d'emploi.

Pour illustrer mon propos et éviter toute polémique sur l'origine des chiffres, je prendrai pour référence les chiffres officiels. Ceux de 2004 montrent que le chômage outre-mer est près de trois fois supérieur à celui de la France – 27,7 % contre 9,6 % – et que l'on recense dans ces régions six fois plus de RMIstes que dans l'Hexagone. Convertie en chiffres, plus parlants peut-être par leur extravagance même, l'irréelle situation qu'est celle de la Martinique se traduisait en mai 2007 par les deux chiffres suivants : 33 982 demandeurs d'emplois, et 31 521 bénéficiaires du RMI.

Vous comprendrez, madame la ministre, la préoccupation, l'obsession, devrais-je dire, de trop nombreuses familles martiniquaises. Pour elles, « chaque journée qui commence est une leçon de courage ». Travailler, d'abord travailler, avoir un emploi : telle est la hantise quotidienne de trop de pères et de mères de famille. C'est dire la portée toute relative que je prête à votre démarche, qui retient comme solution en faveur du travail l'augmentation du pouvoir d'achat par le recours aux heures supplémentaires !

Pour que cette solution, qui s'adresse exclusivement à ceux qui sont déjà salariés, soit pertinente, il est impératif que l'activité économique justifie et rende nécessaire ce volume d'heures supplémentaire. Tout est alors fonction de l'activité économique et des conditions du développement de celle-ci. Cette observation est aussi valable pour ce qui est du RSA : sans activité, ne serait-ce que dans l'économie sociale et solidaire, le sigle sera amputé de son « A ». Que faisons-nous alors outre-mer pour les 50 % de jeunes Martiniquais âgés de moins de vingt-cinq ans, qui privés de tout emploi, sont autant de cibles et de proies faciles pour les dérives de toute sorte ? La générosité de votre démarche ne s'adresse chez nous qu'à ceux qui sont déjà bénéficiaires de ce droit fondamental, constitutionnalisé depuis plus d'un demi-siècle.

Le vrai défi pour l'économie de l'outre-mer, dont le tissu est fait pour l'essentiel de très petites entreprises de moins de cinq salariés, est d'offrir un travail à chacun. L'enjeu réel pour l'économie de l'outre-mer est d'offrir un emploi au plus grand nombre et donc de faire en sorte que nos populations échappent à la fatalité d'une existence prisonnière de l'exclusion et des minima sociaux.

Au moment où la France entend répondre aux contraintes de la rupture, l'exigence fondamentale est de rendre aux populations de l'outre-mer la dignité par le travail pour leur permettre ainsi de rompre avec l'assistance. Dans nos sociétés plus qu'ailleurs, en effet, c'est le travail qui libère et l'assistance qui astreint. Vous voulez faire « travailler plus, pour gagner plus ». Mais pour nos populations outre-mer, et singulièrement les 33 982 chômeurs de la Martinique, travailler tout court serait déjà un incontestable progrès !

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