Vous avez préféré une voie plus escarpée, celle du terrain, celle du rassemblement des praticiens. Mais vingt ans d'application de cette législation nous enseignent que c'est la seule voie susceptible de faire progresser notre législation au profit de ces personnes. Je rappelle que nous ne légiférons pas là dans le vide : c'est une législation éminemment humaine que celle des minima sociaux, parce qu'elle concerne des personnes fragiles et vulnérables, et elle exige de ce fait la plus grande humanité. De ce point de vue, l'expérimentation comme préalable à une réforme générale répond, me semble-t-il, à cette exigence.
Je souhaiterais revenir sur trois éléments. Le premier est la question du périmètre, soulevée par notre collègue Charles de Courson qui vous a demandé pourquoi le RMA et le contrat d'avenir n'étaient pas compris dans la « corbeille » de ce que des départements volontaires pour cette expérimentation auraient loisir d'organiser autrement qu'en suivant la loi générale.
La question mérite d'être posée pour le contrat d'insertion du RMA. La loi de 2003 visait à assurer un retour rapide à l'emploi marchand. Comme beaucoup ici le savent, cela fonctionne pour certains postes de travail peu qualifiés dans des métiers « en tension » ; le RMA, évidemment orienté vers l'entreprise et dans quelques cas particuliers vers les associations, pourrait être compris dans la « corbeille ».
En ce qui concerne le contrat d'avenir, en revanche, il faut veiller à ne pas confondre expérimentation destinée à lever des freins au retour à l'emploi stable et contrat unique d'insertion. Le défi qui est devant nous, c'est de parvenir à converger vers le contrat unique, comme l'expérimenteront sans doute certains départements dans le cadre de la loi de mars 2007, sans remettre en cause les acquis du plan de cohésion sociale – pour la première fois des contrats aidés obligent l'employeur à assurer une formation au salarié, ce qui est bien le moins ; en outre, les salariés concernés bénéficient de l'intégralité des droits sociaux, ce qui en fait des salariés de droit commun. Le contrat unique d'insertion doit permettre, au cours du parcours d'insertion, de détecter les métiers, voire d'ouvrir, pourquoi pas, la possibilité d'une reconversion quand on s'aperçoit que le métier initialement choisi ne vous convient pas, et de personnaliser le parcours de formation. Mais c'est un autre débat que celui du RSA, un débat certes voisin, lié mais distinct.
Je voudrais aussi insister sur la question des « à-côtés » car elle me paraît essentielle, bien qu'elle ait été assez peu évoqué lors de votre audition par la commission. On sait que, pour le bénéficiaire de minima sociaux, ce n'est pas tant le montant numéraire de son revenu que le pouvoir d'achat qu'il en tire qui peut constituer un frein au retour à l'emploi. Or, pour calculer celui-ci, il convient d'ajouter au minimum social des prestations qu'il ne paie pas et que le salarié de droit commun paie. Leur prise en compte dans la corbeille est essentielle. En plus vous rendrez ainsi service à l'ensemble des bénéficiaires de minima sociaux de tous les départements. En effet les politiques d'accompagnement menées par les conseils généraux en direction de ces publics pêchent souvent par une méconnaissance et un défaut de prise en compte de ces à-côtés, qui entravent le retour à l'emploi du bénéficiaire du minimum social.
Je me permettrai enfin d'insister sur le défaut d'accompagnement de ces publics. La France n'accompagne pas vraiment ceux qui sont dans la détresse, et c'est notamment vrai en matière d'emploi. Lors des débats que nous avons eu ici lors de l'examen du plan de cohésion sociale, beaucoup avaient eu la surprise d'apprendre qu'un conseiller de l'ANPE était en charge de 250 demandeurs d'emploi quand ses homologues allemand, anglais ou scandinave avaient la charge de seulement 50 demandeurs d'emploi. La même remarque vaut assurément pour l'accompagnement des bénéficiaires de minima sociaux. C'est pourquoi le RSA doit intégrer un volet « accompagnement ». Vos propos laissaient à penser, monsieur le haut commissaire, que vous destiniez trois à cinq millions d'euros à cet accompagnement : je crois que s'il y a un point qui mérite d'y rajouter de l'argent, c'est bien celui-là. C'est ce qui permettra au RSA d'être vraiment expérimenté et évalué ; c'est surtout ce qui le rendra riche d'enseignements pour la réforme globale des minima sociaux attendue par tous et l'évaluation de la politique suivie par les conseils généraux.
En effet il faudra bien qu'on décide quoi faire dans les années qui viennent du fonds exceptionnel d'environ 450 millions d'euros mis en place par la précédente majorité dans le cadre de la décentralisation, afin de compenser partiellement le transfert du RMI : il serait peut-être mieux utilisé à l'avenir à soutenir une généralisation de votre expérimentation.