Dans cet hémicycle, on féminise trop peu les titres. Et les femmes sont tellement minoritaires !
Madame, messieurs les ministres, monsieur le haut- commissaire, favoriser l'emploi et garantir le pouvoir d'achat sont, on le sait, les préoccupations centrales des Français. Il est donc naturel que ces deux objectifs fassent l'objet des premiers textes examinés par le Parlement durant cette nouvelle législature. Par contre, la solution choisie, qui repose essentiellement sur l'exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires, paraît contestable à plusieurs titres.
Les nombreuses expériences d'exonération des cotisations patronales ne plaident pas pour cette approche. Elles montrent qu'il ne s'agit là ni d'une solution pour l'emploi, ni d'un remède pour le pouvoir d'achat.
Il s'agit d'abord d'une solution partielle qui ne saurait concerner que les salariés susceptibles de faire des heures supplémentaires. Sont donc exclus les retraités, les chômeurs, les titulaires des minima sociaux, les artisans, les patrons des petites entreprises ; en un mot, tous ceux qui ne sont pas salariés deviennent les laissés-pour-compte de l'augmentation du pouvoir d'achat.
Notons aussi qu'une telle solution revient à faire porter aux seuls salariés la responsabilité de la stagnation – ou de la diminution – de leur pouvoir d'achat, sans que soient analysées les conditions dans lesquelles ces heures supplémentaires sont proposées et acceptées.
De plus, se trouve occultée, dans le projet présenté, la dimension essentielle que constitue la répartition de la richesse produite entre les salariés et les actionnaires.
Il est étrange qu'un texte traitant du pouvoir d'achat fasse totalement l'impasse sur la composition de l'indice des prix, dont on sait quelle controverse l'entoure, ou encore sur le logement social, grand absent de ce projet de loi. Il aurait été préférable d'aborder ces points plutôt que d'insister sur le dispositif onéreux qui modifie le régime des successions : ce dernier ne consiste, en réalité, qu'à offrir à nos concitoyens ce dont la plupart disposent déjà. De même, il est difficile de comprendre en quoi le renforcement du bouclier fiscal, qui n'est avantageux que pour les gros patrimoines, contribuerait à favoriser le pouvoir d'achat du plus grand nombre.
Quant à l'impact de l'augmentation des heures supplémentaires pour lutter contre le chômage, il est plus que discutable. Les analyses dominantes, mettant en avant des comparaisons internationales, prétendent que le plein-emploi, la croissance et l'augmentation du nombre d'heures travaillées vont de pair. L'exposé des motifs de ce projet de loi n'échappe pas à cette affirmation. Pourtant d'autres comparaisons internationales contredisent cette thèse et soulignent l'importance décisive de la productivité horaire.
Plus simplement, l'histoire française récente nous apprend que c'est dans les périodes où la durée du travail était de quarante ou de trente-neuf heures que les taux de chômage ont été – et de loin – les plus importants. Il est donc à craindre qu'un slogan aussi contestable que « travailler plus pour gagner plus » ne produise une nouvelle catégorie de chômeurs.
Notons aussi que la solution de la détaxation ne présente même pas l'avantage d'être financièrement neutre. Elle se révèle, au contraire, très onéreuse pour les finances publiques et menaçante pour le système de protection sociale.
À La Réunion, où les chômeurs représentent près de 30 % de la population active, ce traitement du chômage par la détaxation des heures supplémentaires constitue un pari extrêmement dangereux. Dans la situation qui est la nôtre, l'urgence n'est nullement d'augmenter le temps de travail ; elle est de permettre au plus grand nombre possible de Réunionnais de travailler. C'est d'ailleurs dans cette optique qu'a été créé, il y a plus de sept ans, un dispositif spécifique, l'allocation de retour à l'activité, destinée à encourager, par le biais d'une incitation financière, le retour à l'activité des bénéficiaires des minima sociaux, en particulier du revenu minimum d'insertion, de l'allocation parent isolé et de l'allocation de solidarité spécifique. Il s'agit, en quelque sorte, du précurseur du revenu de solidarité active prévu par le projet de loi. Une évaluation de ce dispositif, qui concerne actuellement plus de trois mille personnes, pourrait être utile, monsieur le haut-commissaire.
On ferait un très mauvais procès à nos concitoyens en imaginant qu'ils ne veulent pas travailler.