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Intervention de Jacqueline Fraysse

Réunion du 23 juin 2009 à 15h00
Réforme de l'hôpital — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement réforme de l'hôpital aura suscité autant de mobilisation contre elle. Personnels hospitaliers, médecins, associations d'usagers, militants du secteur médico-social : ce texte ne satisfait ni ne convainc personne. Pourtant, vous persistez dans votre obstination à le faire adopter, et l'on comprend pourquoi : il parachève et donne sa cohérence à l'entreprise de démantèlement de notre système sanitaire accessible à tous initiée par vos prédécesseurs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il suscite autant d'oppositions.

Vous avez déclaré l'urgence sur ce texte, ce qui prive les députés d'une seconde lecture. C'est très regrettable pour la démocratie en général et plus particulièrement sur un texte de cette importance.

Certes, notre organisation sanitaire mérite d'être revisitée et adaptée aux besoins nouveaux ainsi qu'aux conditions d'exercice de la médecine moderne. Nos concitoyens se heurtent à nombre de difficultés que ce texte aurait dû s'attacher à surmonter.

Ces difficultés, vous les connaissez :

Une insuffisance criante en matière de prévention et d'éducation à la santé, alors que nous assistons notamment à la montée de nouveaux fléaux tels que l'obésité ;

Un accès aux soins de plus en plus problématique, en particulier du fait des déremboursements, des franchises et des dépassements d'honoraires sans limite ;

Une pénurie de soignants, accentuée dans certaines régions ou certaines villes par la fermeture des hôpitaux et maternités de proximité, ce qui, évidemment, augmente les charges de transport de patients que vous jugez précisément trop onéreuses et que vous voulez maintenant réduire ;

Une permanence des soins de moins en moins bien assurée, ce qui retentit notamment sur les urgences hospitalières, à la fois débordées et en difficulté pour prendre en charge correctement les urgences vitales ;

Un déficit financier chronique des hôpitaux public qui conduit nombre d'entre eux à l'asphyxie.

Face à tout cela, quelles réponses ce texte apporte-t-il ?

En matière de prévention, il ne dit pas un mot sur l'éducation à la santé – la santé scolaire ou la santé au travail – ni sur les pesticides ou les antennes-relais, et se garde bien de fâcher l'industrie agroalimentaire en s'attaquant à la « malbouffe ».

Il ne prévoit aucune limitation des dépassements d'honoraires, qui constituent pourtant un des principaux obstacles à l'accès aux soins.

Quant aux quelques points positifs, que j'avais tenu à saluer lors de l'examen de ce texte en première lecture à l'Assemblée nationale, le Sénat les a supprimés.

Vous avez ainsi reculé sur la lutte contre les refus de soins, en supprimant l'inversion de la charge de la preuve et la possibilité de réaliser des testings. Vous avez également reculé concernant les zones sous-médicalisées. Dans les deux cas, vous avez cédé aux pressions des plus libéraux des syndicats de médecins. Il faudra pourtant bien, un jour, que vous ayez le courage d'aborder avec eux les obligations liées à leur métier, au service des patients et de l'ensemble de la collectivité qui a financé leur formation et qui, avec la sécurité sociale, assure la solvabilité de leurs patients.

La grande majorité des médecins libéraux assume ces obligations, mais au nom du dogme de l'exercice libéral, vous refusez de vous attaquer à la minorité dont les conduites inqualifiables rejaillissent sur l'ensemble de la profession, qu'il s'agisse de la discrimination à l'encontre des bénéficiaires de la CMU, de l'aide médicale d'État, ou encore du refus d'assurer la permanence des soins, partie intégrante du métier de médecin.

Dans le secteur médico-social, ce texte supprime les comités régionaux de l'organisation sociale et médico-sociale – les CROSMS –, seule instance transversale de concertation couvrant les différents aspects de l'action sociale et médico-sociale. Vous créez une procédure systématique d'appel à projets qui va inévitablement favoriser les grands opérateurs et les projets formatés, « clefs en main », au détriment des projets innovants partant des besoins constatés sur le terrain.

Concernant le secteur hospitalier, votre objectif est de réduire encore le nombre d'établissements publics de santé dans le pays et, ce faisant, la charge que leur financement représente pour l'État.

Dans ce but, vous mettez en place, avec ce texte, tous les outils vous permettant d'imposer vos choix. Même l'organisation régionale de la santé, qui aurait pu être une bonne chose, est conçue, du fait du fonctionnement des ARS tel que défini par le texte, comme une instance centralisatrice et autoritaire.

Avec à leur tête un directeur aux pouvoirs exorbitants, qui sera nommé et révoqué par le conseil des ministres, les ARS ne sont rien d'autre que l'instrument dont s'est doté l'État pour décider envers et contre tout.

Dans la même logique, vous organisez une concurrence généralisée entre les établissements publics et privés, ces derniers partant avec un avantage certain puisqu'ils ne sont lestés par aucune obligation de service public, et entre les établissements publics eux-mêmes.

Cette mise en concurrence a commencé avec l'instauration de la tarification à l'activité et de la convergence tarifaire qui entend financer de la même façon hôpitaux publics et cliniques privées. Avec ce projet de loi, cette distinction n'existera même plus puisque l'on parlera dorénavant, et indistinctement, d'établissements de santé. Une différence subsiste pourtant et elle est de taille : les premiers sont soumis à des obligations de service public qui n'incombent pas aux secondes.

Toujours dans le but affiché de favoriser la concurrence, ce projet de loi organise également la vente à la découpe des missions de service public, ce qui devrait permettre aux cliniques privées d'en remplir certaines, celles, tout naturellement, qui sont les plus intéressantes pour leur développement, comme l'accueil et la formation des internes.

Sous l'autorité d'un directeur aux pouvoirs renforcés, que les sénateurs n'ont que légèrement atténués, l'hôpital sera dorénavant géré comme une entreprise. Le directeur se verra ainsi contraint d'appliquer des impératifs d'équilibre financier et de rentabilité qui s'imposeront à toute décision, quelle qu'en soit la nécessité.

Le directeur de l'hôpital sera lui-même sous les ordres du directeur de l'agence régionale de santé, lui-même nommé directement en conseil des ministres. Cette structure hiérarchique empreinte d'autoritarisme est la condition nécessaire pour que votre politique de rigueur budgétaire et de maîtrise comptable des dépenses de santé ne rencontre pas trop de résistance.

Tout cela est conforme, en tous points, à l'esprit du traité de Lisbonne, qui prône le démantèlement des services publics au nom de la concurrence « libre et non faussée ».

On peut au passage s'interroger sur la concurrence qui subsistera quand il n'y aura plus que quelques grands opérateurs pour se partager ce qui sera devenu un marché, le marché de la santé. La Générale de santé, cotée en bourse, est en bonne voie avec quelques autres…

Ce projet de loi constitue donc une nouvelle étape décisive vers la privatisation du service public hospitalier. Assez rapidement, il devrait connaître des applications concrètes que l'on peut facilement imaginer.

Il pourra ainsi permettre la nomination, à la tête d'un hôpital public, d'un manager qui ne sera pas un fonctionnaire issu de l'école de santé publique de Rennes, mais qui pourrait être, par exemple, un ancien directeur de supermarché plus connu pour ses qualités d'entrepreneur que pour son dévouement au service du public et sa connaissance des problématiques de la santé.

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