Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 23 juin 2009 à 15h00
Réforme de l'hôpital — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarisol Touraine :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d'un long processus –trop long même pour certains – qui nous laisse pourtant dans la bouche un goût un peu amer.

Nous avons en effet le sentiment que la procédure suivie a eu pour objectif – en tout cas, ce fut son résultat – d'esquiver complètement le débat sur les sujets de fond. Je le sais, vous m'opposerez les statistiques relatives aux nombres d'heures de débats dans cet hémicycle. Il n'empêche que le recours systématique à la procédure d'urgence finit par poser un véritable problème démocratique et constitutionnel.

Que le Gouvernement ait systématiquement recours à la procédure d'urgence revient à vider complètement de son sens la procédure, prévue par la Constitution, de la double lecture par chacune des assemblées. Pourquoi existe-t-elle, si le Gouvernement peut systématiquement s'en dispenser sans porter atteinte à la qualité et à la nature des débats ? Il y a tout de même une forme de contradiction de la part du Gouvernement qui, d'un côté, déplore avec la majorité le déluge de textes législatifs et la volonté permanente de réglementer et de légiférer, et, d'un autre côté, justifie la procédure d'urgence par la nécessité de toujours faire adopter davantage de textes.

Dans le cas particulier du projet de loi HPST, à la suite d'importantes manifestations contre son texte, le Gouvernement a expliqué que la discussion au Sénat pouvait faire évoluer certaines dispositions : le Sénat est devenu – ce qui est fort bien par ailleurs – le lieu de nouveaux compromis.

Le Gouvernement a ainsi présenté au Sénat des amendements qui ont donné un tour différent à votre projet de loi. Dès lors, de deux choses l'une : ou bien ces amendements modifient la portée du texte dans le sens souhaité par les personnes qui ont manifesté, et il est normal que les députés puissent en débattre et examiner la nouvelle configuration du projet de loi ; ou bien, de compromis il n'y a point, vos concessions étant marginales, et vous devez revendiquer le maintien de l'architecture de l'hôpital public que vous aviez initialement présentée.

En tout état de cause, la semaine dernière, lors de la réunion de la commission mixte paritaire, nous avons été très étonnés – pour ne pas dire davantage – de voir apparaître sous la signature du rapporteur des amendements qui avaient précisément pour objet de revenir sur la répartition des pouvoirs entre les médecins et la direction hospitalière qui avait été élaborée au Sénat. Nous sommes parvenus à empêcher la manoeuvre, mais vous allez probablement lui permettre de trouver un aboutissement heureux, puisque nous venons d'apprendre que vous présentez, comme vous en avez le droit, un amendement qui revient à dire clairement que la commission médicale d'établissement doit être soumise à la direction administrative.

D'égalité, il n'est donc plus question : il faut à nouveau parler de soumission et d'inféodation. Tous ceux qui se sont fiés au compromis élaboré au Sénat comprendront, hélas ! qu'ils ont été pris au piège d'un marché de dupes. À elle seule, cette disposition justifie que l'on saisisse le Conseil constitutionnel, car la procédure adoptée ne fut pas de nature à garantir un examen satisfaisant du projet de loi.

Au-delà de la procédure, ce texte – et c'est encore plus grave – est assurément une occasion manquée. En effet, les attentes extrêmement importantes qu'il avait suscitées ont été déçues. Si je laisse de côté le problème du financement de l'assurance maladie – puisque nous débattrons, lors de l'examen du prochain PLFSS, de la manière dont vous envisagez sa consolidation –, les questions qui se posent, dans notre pays, s'agissant de la santé sont les suivantes : comment articuler le rôle de l'hôpital public et celui de la médecine libérale ? Quelle place l'hôpital public doit-il tenir dans notre pays et notre système de santé ? Comment faire travailler ensemble des hôpitaux de proximité et des centres hospitalo-universitaires ? Faut-il considérer que le service public de santé est à ce point banalisé qu'il peut être assumé sans contreparties ni garanties par des établissements privés, comme le prévoit votre texte ? Comment assurer l'égalité d'accès aux soins tout en reconnaissant le caractère libéral des professions de santé ? Comment faire de la prévention un des piliers de notre politique de santé ? On pourrait multiplier ces questions auxquelles votre texte n'apporte pas de réponse. Pis, il fragilise les instruments dont nous disposons pour garantir un système de santé solidaire.

À ce propos, je souhaiterais insister sur deux points. Le premier concerne la gouvernance de l'hôpital. Si nous sommes extrêmement mécontents de la manière dont vous avez engagé le débat sur cette question, ce n'est pas parce que nous sommes désireux de sauvegarder je ne sais quel pouvoir médical : il ne s'agit pas, pour nous, de voler au secours de spécialistes de renom du système hospitalier public, qui, du reste, ne nous l'ont pas demandé. Non, le véritable enjeu de cette nouvelle gouvernance, c'est la place que les préoccupations financières laisseront à la prise en compte des besoins sanitaires.

Car, vous ne cessez de le répéter, madame la ministre : au bout du bout, il faut que l'hôpital ait un patron et que celui-ci soit son directeur administratif. Ce ne sont donc pas les besoins de santé de la population qui s'imposeront en cas de conflit entre le projet médical et les considérations de gestion, mais ces dernières. Ce point est inacceptable. Sans revenir sur l'ensemble des dispositions de la loi, je rappelle également que le saucissonnage des missions de service public, l'abandon de pans entiers des missions hospitalières aux établissements privés sans aucune contrepartie et les communautés hospitalières de territoire – qui, si elles sont un bon élément dans leur principe, vont aboutir à la mise en commun des moyens – ne sont évidemment pas satisfaisants.

Par ailleurs, quel est la signification d'un contrat signé entre le représentant d'un établissement et son supérieur hiérarchique, le directeur de l'Agence régionale de santé, lequel est à même de lui imposer une orientation et de le licencier ? Il s'agit là, nous semble-t-il, d'une remise en cause de la liberté contractuelle. Or, celle-ci étant reconnue par notre Constitution, votre dispositif pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel.

Le second point sur lequel je souhaite insister concerne l'égalité de l'accès aux soins, qui est, aujourd'hui, la préoccupation majeure. Après les déremboursements et les franchises médicales, sur lesquelles vous ne voulez pas revenir, vous avez décidé d'abandonner les patients face à l'escalade des dépassements d'honoraires. En effet, dans un certain nombre de territoires, trouver un médecin qui vous soigne au tarif de la sécurité sociale devient difficile. Certes, ce n'est pas le cas partout. Mais, dans les régions qui ne sont pas gagnées par la désertification médicale, les médecins augmentent leurs tarifs, de sorte que les Français sont confrontés soit à une absence d'offre médicale de proximité, soit à une offre relativement importante, mais à un coût qu'ils peinent à assumer.

Madame la ministre, vous n'avez pas fait preuve du courage nécessaire pour décider que les dépassements d'honoraires devaient être encadrés. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Je regrette que vous ayez jugé utile de renvoyer à la négociation conventionnelle la décision de limiter ces dépassements à l'avenir. Les médecins sont-ils vraiment les mieux à même de définir le juste niveau de leur rémunération ? Compte tenu du conflit qui existe nécessairement, en la matière, entre les intérêts particuliers et l'intérêt général, c'est au législateur qu'il revenait d'intervenir. Je regrette que vous n'ayez pas tranché en ce sens.

Nous déplorons également que vous n'ayez pas souhaité lutter plus rapidement et plus fortement contre les déserts médicaux. Les médecins veulent travailler différemment et les jeunes générations ont des attentes nouvelles auxquelles il faut apporter des réponses si nous voulons qu'ils continuent à s'installer dans les zones rurales ou dans les zones urbaines difficiles. Or vous n'avez pas entendu notre message, lequel consistait à proposer une révision des études médicales en imposant des stages en médecine libérale, une incitation au travail de groupe dans les zones difficiles, un soutien incitatif des médecins, ainsi que, si cela était nécessaire, à imposer des contraintes pour l'installation dans les zones les plus denses, où ce ne sont pas les médecins qui manquent, mais l'équité et l'égalité d'accès au système de santé.

Votre projet de loi ratifie l'inégalité qui se creuse, d'une part, entre les territoires et, d'autre part, entre les Français dans leur capacité à accéder à des soins de qualité. C'est pourquoi il nous paraît porteur d'un bien funeste pronostic pour l'avenir de notre système de santé.

J'aurais pu évoquer également les questions de santé publique, sur lesquelles le texte est muet, et l'administration à l'ancienne que vous proposez pour les agences régionales de santé. Mais je conclurai en rappelant que les Français veulent être bien soignés, en confiance, d'où qu'ils viennent et où qu'ils habitent. Or ils ont le sentiment de devoir de plus en plus souvent retarder des soins ou y renoncer. Quant à l'accès à l'hôpital, qui paraissait une évidence, il devient aujourd'hui un parcours du combattant. Il y va donc de la survie et de la pérennité de notre dispositif de sécurité sociale et de notre système de santé solidaire, lesquels sont remis en cause par votre frilosité et l'insuffisance des mesures que vous proposez pour faire face aux défis que nous avons à relever. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion