Face à la situation économique et sociale de la France au cours des dernières années – désormais, 12,1 % de la population vit de revenus inférieurs à 817 euros par mois, et la pauvreté monétaire tend à progresser, à s'intensifier et à changer de visage –, comment contester la nécessité de lutter contre l'exclusion en se concentrant sur l'insertion sociale et professionnelle des personnes les plus en difficulté, et de combattre résolument la pauvreté laborieuse ?
Évidemment, chaque heure travaillée devrait être rémunérée ; assurément, « lutter contre la pauvreté implique une redistribution efficace » ; nous partageons également l'ambition de « faire des revenus du travail le principal rempart contre la pauvreté ».
Cela étant, nous ne pouvons nous contenter de ces pétitions de principe couchées dans l'exposé des motifs, ni de l'article 1er lui-même, bien qu'il érige l'insertion sociale et professionnelle, au côté de la lutte contre les exclusions, au rang d'impératif national.
L'habillage idéologique du texte, monsieur le haut-commissaire, est sans doute habile ; mais, plus profondément, la philosophie même du RSA suscite des interrogations.
De la logique d'un droit à un revenu d'existence inconditionnel, doit-on passer à un système, celui du workfare, qui fait dépendre le revenu minimum de survie de l'exercice d'une activité ? La mise au travail doit-elle être la priorité quasi exclusive de la politique sociale, alors même qu'un grand nombre de personnes ne peuvent travailler ? L'État doit-il subventionner des emplois très précaires en progression exponentielle, donc nécessairement paupérisants ?
Nous reviendrons au cours des débats sur ces questions, tout aussi centrales que celle du financement, que la majorité parlementaire a agitée à l'envi pour masquer des appréciations souvent nuancées, voire négatives, sur le RSA et ses modalités pratiques.
Pour l'heure, nous déplorons la précipitation du chef de l'État, qui l'a conduit à présenter en urgence, en session extraordinaire, avant même la fin des expérimentations du RSA, ce projet de loi qui en généralise le dispositif. Fallait-il que la rentrée, sur fond de crise financière, économique et sociale, soit morose pour que l'on se dispense ainsi d'une évaluation rigoureuse des expériences locales !
Les associations de lutte contre les exclusions ont, à juste titre, vivement regretté cette anticipation sur le bilan. Bilan dont les premiers éléments, rendus publics depuis peu, tempèrent du reste les propos officiels, qui concluent tous au franc succès de l'expérimentation – qu'il s'agisse du taux de retour à l'emploi des allocataires du RSA, censément supérieur de 30 % dans les zones expérimentales à celui des zones témoin, mesuré chez les seuls allocataires du RMI ; de la nature des emplois ainsi pourvus, à temps plein ou à temps partiel ; ou du gain financier, que l'on prétend significatif.
La faible importance numérique du public concerné – le périmètre de l'expérimentation couvrant seulement des zones de communes –, le peu de recul dont nous disposons, mais aussi les disparités liées ici aux barèmes de cumul entre revenus du travail et revenus de solidarité retenus par les départements, là au nombre minimal d'heures de travail ouvrant droit au versement du complément de revenu, ne permettent pas d'affirmer avec certitude que le RSA soit bien l'atout maître pour faire régresser la pauvreté.
De nombreux élus des trente-quatre départements volontaires pour l'expérimentation ont dénoncé la généralisation d'un dispositif a minima, vidé de son sens et indigent en matière d'accompagnement social. Les importantes conditions posées par certains départements, notamment la Seine-Saint-Denis, et acceptées par l'État, dont le versement du RSA à partir d'un mi-temps et non dès la première heure, ainsi que le financement des frais liés au retour à l'emploi – garde d'enfants, transports... –, ont été oubliées.
Mes échanges avec le monde syndical et les associations de lutte contre les exclusions, toutes favorables aux objectifs généraux du dispositif, ont confirmé cette première analyse – ce décalage entre l'esprit du RSA, son expérimentation et la concrétisation par la loi de ses modalités pratiques.
Tous mes interlocuteurs ont insisté sur les risques et les effets pervers potentiels du RSA si, d'une part, le Gouvernement ne s'efforçait pas de manière plus volontariste de lever les obstacles non monétaires au retour à l'emploi – la formation, la mobilité, la santé, l'accompagnement, entre autres ; si, d'autre part, il persistait à vouloir diminuer de 14 % les crédits de la mission « Travail et emploi » pour la période 2009-2011 ; si, enfin, il ne modifiait pas l'orientation des politiques appliquées par le service public de l'emploi.
Ce sont ces éléments qui, en définitive, nous conduisent à porter sur le texte une appréciation nuancée – et le mot est faible !