Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors de l'examen de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, à l'été 2007, les députés socialistes avaient pointé ce qui s'écrivait en creux dans ce dispositif : des universités certes conduites vers l'autonomie, mais une autonomie qui servait surtout à généraliser une concurrence érigée en dogme : Concurrence entre les territoires, concurrence entre les établissements d'un même territoire, concurrence entre les différentes unités d'un établissement, concurrence entre les personnels de ces établissements, concurrence sans régulation nationale, ni pour les formations ni pour les carrières.
Cette concurrence généralisée, madame la ministre, vous la revendiquez, je vous l'accorde. Laisser libre cours au marché pour organiser notre vie collective vous tient lieu de ligne de conduite. Il est vrai que ce discours a largement séduit ces dernières années, et il était encore en vogue il y a peu, juste avant que la crise financière du système économique – crise d'un système et non faux-pas éthique de quelques traders – ne mette rudement à mal des refrains qui faisaient faussement rimer libéralisme et modernité !
Mais le plus singulier dans le débat actuel sur l'enseignement supérieur et la recherche, madame la ministre, c'est ce décalage entre votre discours et la réalité vécue par les étudiants et les personnels. Quel écart entre vos propos, plutôt favorables à la recherche et à la démocratisation de l'enseignement supérieur, et le manque de confiance des acteurs du système au vu de ce qu'ils vivent au quotidien !
Qu'il s'agisse des étudiants, des enseignants-chercheurs ou des personnels non-enseignants, ils ne perçoivent, au-delà de grandes actions de communication, que des annonces – vagues quant à leurs domaines d'application – portant sur des mesures qui visent surtout à fragmenter la communauté universitaire.
Dernier exemple en date, votre projet de décret, dévoilé il y a quelques jours, concernant le statut des enseignants-chercheurs : le président d'université déciderait presque seul de la modulation des services des personnels entre enseignement, activités de recherche et responsabilités administratives, ainsi que des primes ou des avancements de carrière. Une telle organisation ne valorise nullement le rôle d'enseignant du supérieur – pourtant essentiel dans le cadre d'une réelle démocratisation –, puisque cette responsabilité de « passeur de savoirs » servirait de variable d'ajustement à la reconnaissance ou non des activités de recherche.
Pour ce qui concerne spécifiquement votre projet de budget, si vous souteniez une thèse sur « L'art du passe-passe, ou comment transformer des diminutions en augmentations », je suis persuadé que vous obtiendriez les félicitations du jury, les nôtres en particulier.
Voyons ce qu'il en est concrètement. Vous annoncez 964 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement. Vous-même convenez que déjà 206 millions proviennent d'économies réalisées dans votre ministère pour des postes sensiblement identiques – 122 millions qui passeraient de la recherche privée à la recherche publique et 84 millions de l'immobilier universitaire vers l'opération Campus. Sur les 758 millions restants, vous annoncez que 370 millions supplémentaires seront consacrés au rattrapage de paiement des pensions des fonctionnaires. L'augmentation ne représente donc plus que 388 millions d'euros par rapport à 2008, soit une hausse de seulement 1,6 % en euros courants ; inflation oblige, elle se transforme en diminution de crédits, cela même en espérant une inflation réduite à 2 % en 2009 alors qu'elle aura frisé les 3 % en 2008 !
En fait, l'essentiel de votre action sur les activités de recherche concerne un financement public de la recherche privée par le crédit impôt recherche. Ce système, bien que réformé l'année passée, a été largement critiqué par la Cour des comptes, notamment au regard de son impact réel, de son efficacité et de l'identification précise des entreprises bénéficiaires.
Vous accordez votre confiance au secteur privé, que vous souhaitez attirer par un « environnement fiscal favorable », pour reprendre l'expression consacrée, à hauteur de 620 millions d'euros de dépenses fiscales assises sur les volumes engagés par les entreprises et non plus sur l'accroissement de leur budget recherche. La question de l'efficacité de telles mesures publiques se pose lorsqu'il s'agit de dépenses que ces entreprises auraient, pour certaines, de toute façon engagées.