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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 6 novembre 2007 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2008 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, prenant connaissance de votre projet de budget, il m'est revenu en mémoire ce qui se dit d'habitude dans cet hémicycle lors de l'examen du budget de l'outre-mer. Il m'est apparu ainsi que, depuis plus d'un demi-siècle, la technique du soutien fiscal à l'investissement tient lieu de base à tout projet de développement économique et social de l'outre-mer.

Face aux résultats constatés aujourd'hui, que rappellent votre document de politique transversale et, non sans courage, le rapport de la commission des affaires économiques, j'ai alors songé, avec tristesse, à ces terres dites « d'outre-mer », me demandant si un mauvais sort les condamnait à un irrémédiable immobilisme économique, à la fatalité d'un chômage endémique, à d'insupportables retards prétendument impossibles à réduire.

C'est à ma consternation et mon effroi que m'est aussi revenu à l'esprit que ces pays en extrême difficulté devront aussi faire face aux bouleversements climatiques qui s'annoncent, aux mutations douloureuses et aux effondrements écologiques qui vont s'imposer très vite à tous les peuples du monde.

C'est avec tout cela à l'esprit que j'ai tenté de mesurer l'impact éventuel de votre projet sur la politique de développement économique, social, culturel et environnemental, qu'il est aujourd'hui indispensable de définir et de mettre en place sans délai pour nos territoires lointains.

Je vous rassure tout de suite, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État : je ne me livrerai pas au rituel comptable, bien que je sois tenté de le faire. Je ne le ferai pas, parce qu'on peut faire dire aux chiffres tout et le contraire de tout, par exemple qu'un budget augmente alors même que l'on perd des crédits. Je ne le ferai pas, surtout, parce que, au-delà des chiffres, l'enjeu qui s'impose à nous dans le cadre de ce débat est d'abord d'identifier la politique que ce budget entend permettre. C'est aussi de comprendre le projet de développement économique, social, culturel dont le budget est le support. C'est enfin de déchiffrer – j'insiste sur ce mot – la gouvernance dont ce budget entend être l'expression : c'est cette gouvernance qui devrait en constituer la grille de lecture.

Si je ne doute pas de votre bonne foi, monsieur le secrétaire d'État, je constate qu'avec un académisme déconcertant, qui contraste d'ailleurs avec certaines de vos initiatives dans l'Hexagone, le Gouvernement nous propose un projet sans audace ni idée-force, un projet dépourvu de toute amorce de projection vers un quelconque horizon. En bref, il traduit un renoncement dérisoire, qui accroîtra le désarroi de nos populations et dont l'élu que je suis ne saurait se satisfaire.

C'est pourquoi j'ai pris le parti de dire, ici et aujourd'hui, ce qui me paraît indispensable pour donner, hors de tout conformisme, un réel élan à une politique audacieuse de développement durable, à laquelle nous sommes prêts.

Je sais que nous sommes dans des temps de « réformes », de « changements », qui ne sont le plus souvent que l'adaptation forcée de la société française aux exigences du marché libéral. Mais j'ai la faiblesse de penser qu'il faut de toute manière rompre avec le passé et, sans pour autant se livrer pieds et poings liés aux aberrations du libéralisme, libérer les énergies locales, réveiller les volontés, réanimer les consciences et les imaginations.

Bref, il nous faut retrouver de l'audace et du rêve, et ne pas craindre de fréquenter les utopies. Voilà ce qui ne s'est jamais trouvé dans un budget de l'outre-mer, monsieur le secrétaire d'État : un horizon visible vers lequel on s'élance !

Le « changement » ou la « rupture » ici, ce serait recourir au seul ingrédient qui n'a jamais été expérimenté dans les multiples budgets et projets de développement de l'outre-mer, comme nos débats le démontrent : ce serait, d'abord et avant tout, la rupture radicale avec un état d'esprit ancien, l'état d'esprit colonial, contre lequel nous devons, vous et nous, absolument lutter. Cet état d'esprit considère les pays d'outre-mer comme un simple prolongement exotique de l'Hexagone, au mépris de leur identité géographique et historique singulière d'entités douées d'une authentique personnalité collective. La rupture aujourd'hui serait d'en tenir compte.

L'idée que ces pays pourraient être administrés de loin et développés de manière verticale, selon des plans et des projets qui viendraient de Paris – je sais que vous ne partagez pas ce point de vue – et qui seraient mis en oeuvre à travers des délégations de gestion ou des décentralisations plus ou moins affirmées, est dépassé.

L'est tout autant l'attitude qui consiste à affronter les catastrophes naturelles, les mutations écologiques, les pollutions environnementales – l'exemple le plus récent étant la pollution au pesticide chlordécone – ou les bouleversements climatiques, dans des postures d'irresponsabilité collective qui se contenteraient d'attendre les décisions venant de l'Hexagone.

Je refuse l'idée que « l'unité indivisible de la République » doit se payer au prix de l'anesthésie ou de la passivité de la plupart de ses composantes. Je ne consens nullement à croire que le pacte républicain serait le lieu du renoncement à soi-même et à l'intelligence d'une diversité totalement assumée. J'ai la conviction qu'une république peut être unie, et que son unité peut s'enraciner dans l'arc-en-ciel de ses diversités devenues des sujets responsables.

Nombre d'entre nous militent pour un pouvoir local fort, mais quelle que soit la solution retenue, il s'agit surtout de mettre en place une gouvernance locale dotée d'un vrai pouvoir de développement endogène et capable de structurer la transversalité des stratégies économiques, de construire une politique d'éducation et de formation adaptée à notre vision du monde. Toutes ces exigences s'expliquent, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, parce qu'« il ne saurait y avoir de développement réel sans responsabilité collective et sans conscience réelle ».

Monsieur le secrétaire d'État, de nombreux domaines témoignent de ce besoin de cohérence impératif, par exemple l'habitat et le logement. J'ai choisi de vous parler d'environnement et de biodiversité …

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