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Intervention de Alfred Almont

Réunion du 6 novembre 2007 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2008 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlfred Almont, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après l'exposé précis et nourri du rapporteur de la commission des finances, qu'il me soit permis de faire entendre une voix de l'outre-mer. Comme je l'ai écrit dans mon rapport écrit, la mosaïque ultramarine française ne surnage pas à la surface des océans. Diverse et dynamique, elle doit être considérée comme autant d'outre-mer au sein de la République. Tous réunis, ils couvrent un espace presque aussi vaste que celui de la métropole et donnent à la France le troisième domaine maritime mondial, avec 11 millions de kilomètres carrés. Leur potentiel scientifique et économique est immense, en particulier dans le domaine de la recherche, et offre de formidables atouts et de réelles perspectives pour les prochaines décennies. L'outre-mer nous incite donc tout aussi bien à regarder notre histoire que notre avenir et, comme on dit ici, à « sortir la tête du guidon ». Mais d'un simple point de vue budgétaire, l'effort public qui lui est consacré est relativement modeste : 0,1 % du budget de l'État pour le seul ministère de l'outre-mer, un peu moins de 1 % en intégrant la totalité des concours publics identifiés ; le budget de l'outre-mer stricto sensu s'élève ainsi à 1,7 milliard d'euros, tandis que l'effort total des finances publiques est estimé par vos services, madame la ministre, à 15,3 milliards d'euros, soit neuf fois plus.

Si la LOLF permet au Parlement de disposer désormais de documents plus complets et plus explicatifs que par le passé, il importe de poursuivre l'effort pour améliorer leur clarté, tout spécialement s'agissant de l'outre-mer. Je ne suis évidemment pas le seul rapporteur à faire ce constat. J'ai donc proposé à la commission des affaires économiques deux recommandations, qu'elle a adoptées, afin d'améliorer l'information du Parlement et des collectivités concernées. La première vise à faire figurer dans le document budgétaire annuel de la mission – dit « le bleu » – ou dans une annexe tous les crédits affectés par chacun des ministères à l'outre-mer selon une nomenclature unique, ainsi que les crédits relevant des différents fonds d'intervention européens, suivant le même modèle, de sorte que nous disposions d'une ventilation complète de l'ensemble des crédits affectés à l'outre-mer. La seconde consisterait à faire apparaître, dans le même document, l'effort consenti par collectivité, afin que chacune puisse connaître son "budget externe" et retracer les crédits de la solidarité nationale et européenne, illustrant la prise en compte réelle et spécifique de chacune d'entre elles.

L'esprit même de la LOLF nous y pousse puisqu'il s'agit bien de permettre, grâce à une lisibilité accrue, de mesurer à terme que les objectifs affichés ont été atteints.

Car c'est avant tout de résultats que nous parlons, et pas seulement d'autorisations données pour dépenser.

Vous avez, monsieur le secrétaire d'État, lors de votre audition commune par nos commissions des lois et des affaires économiques, prononcé des mots justes et montré des directions encourageantes. Le décalage dont souffrent les économies ultramarines par rapport à la métropole exige, en effet, que l'on poursuive certes tout ce qui contribue à la cohésion, mais surtout que l'on aide ces économies à acquérir une forme d'autonomie, autrement dit à avoir une plus grande capacité de développement par elles-mêmes, à puiser en elles les capacités d'un développement adapté.

Il ne leur convient ni de singer la métropole, ni de solliciter sa charité, mais de vivre à ses côtés, sans complexe, sans retard, avec leurs singularités.

Il importe donc, plus que tout, de passer d'une démarche de « rattrapage » à une logique de vrai développement. C'est bien de cela qu'il s'agit.

C'est pourquoi nous jugeons opportun d'approuver l'orientation proposée par le Gouvernement qui consiste, tout d'abord, à « lever les contraintes » qui pèsent spécifiquement en outre-mer sur la création de richesses et, ensuite, à structurer au mieux les filières porteuses, filières à enjeux de nature à nous permettre – entre autres – d'agir au niveau de la coopération régionale.

C'est ce qui, du reste, nous conduit à placer un grand espoir dans la création des zones franches globales d'activités et la mise en place de pôles de compétitivité.

Naturellement, les dispositifs d'allégement des coûts de production, que ce soit au travers de celui des franchises fiscales ou des exonérations de charges sociales, doivent être évalués avec soin et concerner un plus grand nombre de secteurs d'activités. Nous serons très attentifs, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, aux résultats de l'étude commandée par le Gouvernement au Centre d'études de l'emploi, qui vient de remettre un premier rapport. Il nous paraît indispensable de disposer de l'étude complète avant d'engager nos travaux sur la prochaine loi de programme.

Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne l'outre-mer, le projet de budget pour 2008 s'inscrit un peu comme un budget conservatoire, convenablement doté malgré la contrainte générale qui pèse sur les finances publiques, et qui permet de poursuivre les actions engagées dans un cadre simplifié et clarifié.

Les principales orientations du projet de budget pour 2008 tendent, en particulier, à encourager le maintien et la création d'emplois, contribuent à l'habitat social, qui constitue – cela a été dit – l'une des exigences majeures du moment, à soutenir, comme nous l'avons tant demandé, le développement des collectivités locales, au moyen de dotations mieux adaptées. Elles prennent en compte la nécessité de promouvoir la continuité territoriale, de renforcer les mesures au service de la sécurité.

Ce projet de budget s'inscrit à notre sens – faut-il bien l'entendre de cette manière ? – dans la perspective de la prochaine loi de programme pour l'outre-mer annoncée pour le début de l'année prochaine et appelée, grâce à des dispositifs plus performants, à répondre véritablement aux besoins du développement des régions d'outre-mer, notamment par la création d'emplois durables. Car il va s'agir désormais de mettre en oeuvre des mesures de nature à assurer durablement la croissance par l'activité.

Développer de vrais emplois, plutôt que des emplois subventionnés et garantir le pouvoir d'achat, en prenant en compte le fait que, contrairement aux idées reçues, le niveau de la dépense publique par habitant outre-mer est inférieur à ce qu'il est aujourd'hui au plan national.

Le montant des crédits de la mission « Outre-mer », dans le cadre du PLF 2008, s'élève à 1,7 milliard d'euros, enregistrant une baisse qui s'explique par les changements du périmètre de cette mission, désormais structurée autour de deux programmes, du fait du recentrage vers le ministère de l'intérieur et vers le ministère des finances de certains dispositifs spécifiques et de la mutualisation de moyens, dont il faut souhaiter, monsieur le secrétaire d'État, qu'elle ne porte pas atteinte à nos intérêts. Il faut noter que, pour ces deux programmes, à périmètre constant, les crédits de paiement sont en hausse d'environ 3 % et les autorisations d'engagement de 2 %.

Ce projet de budget se traduit, à travers ces deux programmes, par deux grandes orientations majeures : l'emploi et les conditions de vie. Ce sont les deux faiblesses endémiques de l'outre-mer, qu'il faut continuer à s'efforcer de résorber.

S'agissant de l'emploi, il existe encore un décalage inacceptable entre nos régions et celles du continent ; alors que le chômage décroît en métropole, il continue de progresser outre-mer, où il atteint parfois des niveaux préoccupants : jusqu'à 29 % à La Réunion, mais plus de 25 % dans les Antilles. Et nos RMIstes sont quatre fois plus nombreux qu'en métropole.

Nous en connaissons tous les causes. Il faut agir dans trois directions.

D'abord connaître l'exacte nature de nos handicaps compétitifs. Il se dit et s'écrit partout que le coût du travail est chez nous trop élevé par rapport à celui de nos concurrents. Pour sortir de cette incantation, et pour dépasser les mesures d'allégement déjà prises, incontestablement utiles mais indubitablement insuffisantes, il faut aller plus loin dans la connaissance du phénomène. Il faut souhaiter que le Gouvernement, ou bien notre assemblée, sous la forme par exemple d'une mission d'information, enquête sur la réalité de ce handicap concurrentiel.

Les réponses fiscales et sociales, purement nationales, devraient de ce fait être complétées, monsieur le secrétaire d'État, par une action internationale dans le cadre des négociations commerciales. Nos concurrents réputés plus compétitifs que nous tirent parfois, souvent même, leur avantage comparatif des conditions de travail, souvent proches de l'esclavage, qu'ils tolèrent sur leur territoire. Il ne faut plus avoir peur de le dire et d'en discuter sur le plan multilatéral. Les Ultramarins entendent vivre de leur travail, et non en être dispensés par ces mesures souvent interprétées à tort comme des « largesses » – d'ailleurs toutes relatives.

Deuxième axe : le transfert de technologie, l'identification et le soutien des filières porteuses en termes de développement. Je pense notamment aux énergies renouvelables, aux biotechnologies, y compris marines, à la maîtrise des risques naturels, tous domaines dans lesquels notre outre-mer peut servir de laboratoire en matière de recherche et d'innovation. Le secrétariat d'État à l'outre-mer s'est engagé à s'y attacher prioritairement, comme d'ailleurs l'a laissé entendre le Gouvernement. Madame la ministre, il nous semble aussi que ce vaste chantier mériterait d'être inscrit en priorité à l'ordre du jour du Conseil pour l'outre-mer qui va être mis en place, afin qu'il fasse une large place à la concertation avec nos collectivités locales.

Troisième exigence, étroitement liée à la deuxième : la formation professionnelle. Il faut distinguer celle qui peut se dispenser outre-mer de celle qui ne peut avoir lieu qu'en métropole ou à l'étranger.

Le SMA a joué, et continue de jouer, un rôle utile, mais il ne répond qu'à une petite partie des besoins. Il faut voir plus loin et de façon résolument prospective. Cela implique d'identifier clairement les besoins, de définir et d'organiser les filières de formation débouchant sur des métiers adaptés aux besoins de nos économies, voire sur de nouveaux métiers. Là encore, rien ne sera possible sans une coopération étroite avec les entreprises concernées et avec les collectivités locales. Les formations qui ne sont disponibles qu'en dehors de nos territoires militent par ailleurs pour une meilleure desserte aérienne, moins coûteuse, particulièrement pour les jeunes candidats à la formation. Le passeport mobilité a représenté, à cet égard, un important progrès. Mais il faut encore le rationaliser, afin qu'il réponde à ses vrais objectifs et qu'il soit en adéquation avec la réalité des besoins.

S'agissant de l'amélioration des conditions de vie outre-mer, nul doute aujourd'hui que la priorité est sans conteste le logement. L'habitat social, en termes de réalisations, continue de « courir » après les besoins. Nous devrions nous fixer pour objectif raisonnable de parvenir un jour à les rattraper et que ce jour ne soit pas trop éloigné.

En avril 2006, un rapport de mission a été remis à votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d'État. Il a fait une juste analyse de la situation et présenté de sages préconisations, considérant notamment que l'État ne devrait pas se tromper de rôle, c'est-à-dire demeurer le premier bailleur social, à travers ses sociétés immobilières, mais plutôt piloter une politique définie en fonction de besoins locaux. Il me semble nécessaire, aujourd'hui, de mieux mobiliser les ressources foncières – c'est ce qui est réclamé –, ce qui implique, entre autres, la création d'une Agence de l'habitat outre-mer, qui coordonne les actions dans un cadre contractuel, mais aussi la révision des plans de prévention des risques pour tenter de dégager, là où cela serait devenu possible, de nouvelles capacités foncières.

Bien sûr, dans un cadre rénové, l'exigence consiste à relancer une construction qui souffre aujourd'hui d'un certain marasme. L'augmentation de 14 % des crédits 2008 constitue un signal encourageant, mais les retards accumulés sont tels, et les besoins si vifs, particulièrement pour la résorption de l'habitat insalubre et la réhabilitation, que c'est presque un plan d'urgence dont nous aurions besoin, tenant compte de l'assurance qui nous a été donnée que la dette de l'État, sur ce point, est apurée.

Par ailleurs, la continuité territoriale reste un sujet sensible, car elle conditionne la liberté d'aller et de venir. Nous nous réjouissons des récents propos tenus par M. le Président de la République et par vous-même, madame la ministre, déclarant qu'il s'agissait d'un principe et d'une priorité que vous envisagiez de faire inscrire dans la loi. Nous vous soutiendrons. Vous pouvez naturellement compter sur notre soutien dans les discussions que vous avez engagées à cet effet avec les compagnies aériennes et qui doivent, par ailleurs, procurer au secteur du tourisme un levier indispensable à son expansion.

S'agissant de l'action sanitaire et sociale, nous avons été quelque peu surpris de la forte diminution de ses crédits, imputable, semble-t-il, au changement de statut de la Polynésie française. Mais supprimer dès le 1er janvier prochain la dotation de l'État à la Caisse de prévoyance locale, n'est-ce pas prématuré ? Nous ne pouvons, en raison de l'article 40, déposer un amendement de rétablissement des crédits, mais croyez bien, madame la ministre, qu'un effort du Gouvernement serait, à cet égard, particulièrement apprécié.

Je ne saurais enfin manquer d'évoquer les problèmes posés par la pollution des terres du fait de l'utilisation de pesticides qui emporte de terribles conséquences, en particulier pour nos productions agricoles. Nos exploitants ont aujourd'hui besoin d'être rassurés. Il y a deux ans, se saisissant de la question du chlordécone, notre commission avait formulé un certain nombre de suggestions. Tout ce qui s'est propagé au cours des derniers mois semble cependant avoir plutôt détérioré le climat psychologique. La commission des affaires économiques vient, comme vous le savez, de rouvrir le dossier en mettant en place un comité de suivi du travail engagé pour faire le point de la situation et en tirer toutes les conséquences nécessaires. Nous pensons bien entendu à tout ce qui concerne la dépollution des terres et l'indemnisation des victimes.

Nous comptons, madame la ministre, à ce sujet, sur une collaboration modèle entre le Gouvernement et le Parlement.

À cet égard, le « Grenelle de l'environnement » nous procure 1'excellente opportunité d'approfondir toutes les possibilités de développement durable à partir de l'exploitation des nombreux atouts dont nous disposons dans nos zones géographiques respectives. Il justifie pleinement à notre endroit la reconnaissance d'un véritable statut de territoire d'expérimentation.

L'outre-mer attend, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, d'être regardé pour ce qu'il est et de pouvoir bâtir avec la métropole des relations de solidarité et de progrès. Il nous semble avoir été compris. C'est pourquoi nous regardons ce projet de budget pour 2008 comme un budget de transition, qui ne réduit pas l'effort consenti pour l'outre-mer, qui le réoriente à plusieurs reprises dans la bonne direction, mais qui mérite, pour les années ultérieures, d'être repensé, tant sur la base des recommandations adoptées par notre commission des affaires économiques qu'à la lumière de la prochaine loi programme dont nous débattrons au cours de l'année 2008 et qui donne lieu, en ce moment même, à des consultations devant déboucher sur des propositions que le Gouvernement s'est engagé à prendre en compte.

À l'heure du renouvellement et de l'ouverture, madame la ministre, le moment est venu de regarder la réalité en face et de prendre nos territoires pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des entités qui aspirent à la vie et à la personnalité.

Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable à l'adoption des crédits budgétaires de l'outre-mer pour l'année 2008. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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