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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 7 avril 2009 à 15h00
Développement économique des outre-mer — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

Mes chers collègues, nous devons convenir que le présent texte nous a donné du fil à retordre. En effet, comme il se superpose au précédent, il appelait des vérifications, des renvois, des simulations, de façon à nous assurer que toute mesure nouvelle ou aménagée constituait bien une amélioration pour nos sociétés et nos territoires. C'est ainsi, monsieur le secrétaire d'État, que vous devez entendre les demandes réitérées de procéder à des études d'impact.

Ces difficultés ne sont pas imputables à une perfide manoeuvre de votre part, ni même à d'inconcevables incompétences de notre part. Elles ont une cause plus profonde et plus durable. En effet, lorsqu'il s'agit de légiférer sur l'outre-mer, nous accomplissons l'exercice périlleux de la dérogation à la norme juridique en assumant toutes les ambivalences de cette dérogation à l'identité législative, ambivalences qui sont généralement réglées soit par la durée limitée, soit par le champ corseté de son application.

Et parce que la dérogation ne peut être une norme en soi, puisqu'elle est une exception à la norme, les textes sur les outre-mer sont régulièrement fondés sur un terrain meuble comme les savanes guyanaises, où se mêlent le mouvant de la spécificité et la terre ferme du droit commun.

Pourtant, la réforme constitutionnelle de 2003 a essayé de prévoir des niveaux d'exception à la norme juridique commune : c'est la faculté d'adaptation qui nous était reconnue et qui a été confirmée ; c'est également l'expérimentation qui se trouve écartelée, soit par la généralisation qui finalement invalide ses motifs, soit par l'abandon qui éteint la pertinence de son bien-fondé ; c'est enfin l'habilitation qui sollicite le Parlement, souvent très sensible aux besoins de subsidiarité bien connus des parlementaires élus locaux. Malheureusement, le même Parlement est pris à la gorge par un exécutif qui se montre toujours chicaneur lorsqu'il s'agit de desserrer ou de partager une prérogative. Le constituant comme le législateur sont donc restés au milieu du gué.

Nous n'avancerons pas tant que nous n'admettrons pas que, pour lever l'ambiguïté des relations entre la France et ses outre-mer, il faut deux voies concomitantes : le courage moral de part et d'autre et le projet politique, et la clarté juridique. Et ce n'est nuire ni au principe général d'égalité ni au principe d'indivisibilité de la République que de concevoir, avec la stabilité constitutionnelle plutôt qu'avec les aléas d'un calendrier législatif, les possibilités de choix statutaires tout en réaffirmant le caractère unitaire de l'État plutôt que cette nature subreptice d'État fédéral qui s'ignore, et en reconnaissant aussi non des spécificités mais des réalités géographiques, économiques, culturelles et sociales. Deux constitutions européennes s'y essaient depuis une trentaine d'années, l'espagnole et la portugaise ; ces États n'ont pas sombré.

Pour l'instant, nous sommes dans la difficulté de l'entre-deux et nous devons faire avec, en nous rappelant ce que les députés ont dénoncé à la tribune, à savoir les conditions exécrables dans lesquelles nous avons dû préparer ce débat public. Tout le travail en amont qui a été fait en commission s'est retrouvé dans une impasse, car, à la veille du débat public, nous ne disposions plus de délai pour travailler.

Sept députés vous ont dit clairement hier, et en particulier Jeanny Marc, que l'éloignement de nos territoires des centres de décision ne doit pas servir de prétexte pour que nous soyons transformés en cobayes.

Chaque jour, nous faisons l'expérience de l'initiative, de l'expérimentation. Les personnes les plus vulnérables de nos territoires suppléent tous les jours les absences de l'État et parfois les carences de certains responsables locaux, eux-mêmes confrontés à la nécessité de jongler entre la multiplication des pains – c'est la bonne semaine – et surtout la rigueur des règles.

Nous sommes donc constamment confrontés à ces difficultés, et c'est en ce sens que nous sommes des laboratoires : laboratoires de l'inventivité, du courage, du refus de l'abdication devant l'adversité. Mais nous savons aussi pertinemment que ces grandes qualités, nous les partageons avec des hommes et des femmes, ici et ailleurs, qui refusent les coups du sort, les revers de la nature, les inégalités, les injustices, un monde désespérant d'égoïsme et de morgue.

Il faut revenir en commission, et vous le savez, monsieur le rapporteur, d'autant qu'hier vous nous proposiez à nouveau trois séances de travail.

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