Avant d'entamer l'examen de l'article 1er du projet de loi, arrêtons-nous un instant sur le chapitre Ier dans lequel il s'inscrit et qui est consacré à la mobilisation des acteurs du logement.
Remarquons, comme nombre d'observateurs n'ont pas manqué de le faire, que le Gouvernement ne s'oblige pas lui-même, et même qu'il se démobilise, pire qu'il se désengage financièrement de ce qu'il prétend pourtant être une priorité nationale : la construction de logements.
Le budget 2009 de la mission « Ville logement » en baisse de presque 7 % traduit ce choix à contre-courant de la crise du logement. De 2008 à 2009, la seule mission « Construction locative et amélioration du parc » est passée en autorisations d'engagement de 1,321 milliard d'euros à 586 millions d'euros.
M. Woerth assume ce qu'il nomme un « recentrage » des aides à la pierre permis « par la mobilisation de nouvelles ressources au profit des organismes HLM constructeurs (péréquation financière entre organismes, surloyers des ménages dépassant les plafonds). »
Dans le contexte économique et social aggravé que nous connaissons, ce désinvestissement du Gouvernement ne peut être compris et encore moins accepté. L'État ne mégote pas pour secourir à coups de milliards le capitalisme de casino, mais rechigne à fournir à nos concitoyens, aux associations, aux bailleurs et aux collectivités territoriales les moyens financiers nécessaires à la traduction dans les faits du droit vital à un toit.
Comme l'a fort opportunément rappelé M. Pinte dans son rapport au Premier ministre, « en matière d'hébergement et de logement, la première responsabilité est politique ». Or vous ne respectez pas vos engagements ; vous n'assumez pas votre responsabilité. Avec ce projet de loi, vous faites main basse sur les fonds du 1 % logement – destiné à accompagner les politiques publiques du logement, en finançant notamment la construction –, en lui demandant de se substituer à l'État pour abonder 1'ANRU et l'ANAH.
Vous vous plaisez à dire, madame la ministre, que votre loi sera « une loi de rupture ». On aurait pu s'attendre à ce que vous fassiez preuve de fermeté envers les communes qui ne respectent pas la loi SRU, et de volontarisme afin de vraiment augmenter la production de logement très social. On aurait pu imaginer – pourquoi pas ? – que vous iriez jusqu'à la réquisition de logements vides. Dans le cas d'une vraie rupture, le Gouvernement aurait aussi réévalué son action, et réorienté ses choix désastreux : privilégier largement la construction de logements locatifs privés défiscalisés et pousser les Français à s'endetter sur trente ans pour accéder à la propriété.
La culture de responsabilité et de résultat que vous appelez de vos voeux, vous la réservez aux autres : surtout aux organismes HLM auxquels vous imposez aussi les obligations nouvelles et les sanctions qui découlent de l'article 1er. Détournés de leur rôle de bailleurs sociaux, les organismes n'auront pas d'autre choix que de mettre en musique les orientations prioritaires de votre politique du logement, fussent-elles aussi dangereuses et inappropriées que le sont notamment la vente de 40 000 logements sociaux, l'altération du droit au maintien dans les lieux, ou l'exclusion du parc social de familles de la classe moyenne.
Pourquoi tant de hâte à transformer aveuglément les conventions globales de patrimoine en conventions d'utilité sociale ? Surtout, pourquoi obliger les organismes HLM à les signer avant le 31 décembre 2010, et prévoir un dispositif de pénalités financières en cas de manquement d'un organisme aux engagements que l'État l'aura incité à prendre ? Il s'agit, dites-vous, d'améliorer le service rendu aux locataires, au-delà de la participation de l'organisme HLM aux besoins de construction et de réhabilitation.
Quels sont les autres avantages attendus de cette contractualisation forcée qui prévoit la disparition des plafonds de loyer fixés par conventionnement APL, la remise en ordre des loyers, l'expérimentation déjà avancée de la modulation des loyers en fonction des revenus des locataires ?
Lors de son audition par la commission des affaires économiques, la directrice des relations institutionnelles de l'Union sociale pour l'habitat n'a pas caché les dangers potentiels de ces dispositions, dans la mesure où le texte « ne garantit pas que les locataires en dessous des plafonds de ressources ne subiront pas de hausse de loyers. » Et de s'inquiéter « que la solidarité s'exerce entre locataires en dessous des plafonds de ressources. »
Dans le même registre, la CNL voit dans la mise en place d'un système de loyers différenciés par immeuble en fonction de la localisation de l'immeuble, de ses caractéristiques ou des commodités, un risque d'augmentation considérable des loyers, et ce en toute légalité.
En faisant progressivement entrer les conventions d'utilité sociale dans une logique de marché analogue à celle du secteur privé, celles-ci renforceront, que vous le vouliez ou non, la ghettoïsation des populations les plus défavorisées et les inégalités spatiales.
Enfin, ces conventions d'utilité sociale ne sont pas sans menaces pour les organismes eux-mêmes, poussés à vendre leurs logements pour reconstituer leurs fonds propres, à limiter leurs ambitions en matière d'occupation sociale, de mixité, d'investissements et de loyers modérés, afin d'être sûrs de respecter leurs engagements contractuels et d'éviter toute sanction.
Toutes ces remarques motivent largement notre opposition au mécanisme pervers des CUS que vous êtes résolus à généraliser.