Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Claude Sandrier

Réunion du 5 décembre 2007 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2007 — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Sandrier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative pour 2007 est discuté par l'Assemblée alors même que nos concitoyens marquent une défiance accrue à l'égard des recettes éculées que vous leur proposez : or, bien qu'elles constituent leur préoccupation majeure, les mesures relatives au pouvoir d'achat annoncées par le Président de la République, notamment en matière budgétaire, ne figurent pas dans le texte qui nous est soumis. Vous avouerez qu'il est assez cocasse que le collectif budgétaire ne fasse pas mention des décisions en la matière du Président de la République : je le répète, aucune d'entre elles ne figure dans le projet de loi de finances rectificative !

Cet argument devrait suffire à montrer que ce texte n'a pas lieu d'être débattu, puisque c'est à la fin de ce mois que vous renvoyez le vrai débat que nous devons avoir sur le sujet. Cela dit, nous savons tous, pour l'entendre dans nos circonscriptions, que la vie de la majorité de nos concitoyens est de plus en plus difficile.

La tendance inflationniste, les reculs des services publics d'État et le dépeçage organisé des mécanismes de solidarité, notamment la protection sociale, pèsent de plus en plus non seulement sur les couches modestes mais également sur les classes moyennes.

Comme le titraient Les Échos vendredi dernier : « Les espoirs d'amélioration du niveau de vie se sont évanouis en six mois ». Disons-le tout net, car nous l'entendons à longueur de journée : le Président de la République n'a pas été élu par un certain nombre de Français pour mettre en oeuvre toutes ses propositions mais parce qu'ils ont cru ce qu'il leur a promis, à savoir qu'il briserait la précarité et leur donnerait du pouvoir d'achat. C'est si vrai que l'indicateur qui mesure le moral des ménages est à un de ses plus bas niveaux depuis sa création il y a vingt ans !

Or – qu'à cela ne tienne ! –, alors que vous êtes au pouvoir depuis cinq ans et demi, que le Premier ministre déclare que la France est en état de faillite et le Président de la République lui-même, la semaine dernière, que les caisses de l'État sont vides, la première mesure que vous faites voter en juillet dernier à l'ouverture de la nouvelle législature consiste à priver le budget de l'État de 15 milliards d'euros de recettes, dont 70 % profiteront à 20 % seulement des Français, ce que tous les économistes confirment. C'est la raison pour laquelle ils ont été nombreux à expliquer non seulement que ces 15 milliards d'euros offerts en cadeaux aux plus riches auront un effet négatif sur le déficit et la dette mais encore qu'ils ne seront « d'aucune efficacité sur la croissance, l'emploi et la valorisation du travail ».

C'est si vrai que le rapporteur général, lorsqu'on lui a demandé qui paiera la facture, s'est empressé de répondre qu'« il faudra continuer à maîtriser la dépense publique et surtout » – il convient de souligner le mot « surtout » – « s'attaquer à la réforme de l'assurance maladie et des régimes de retraite ». Il a ainsi confirmé le maigre résultat que vous attendiez de vos mesures sur la croissance, l'emploi et le pouvoir d'achat.

De fait, dans le même temps où vous accordez, grâce à un bouclier fiscal, 800 millions d'euros aux plus riches, vous taxez les Français en commençant par les malades et les personnes âgées au travers d'une franchise médicale qui doit rapporter 800 millions d'euros. C'est là une conception de classe assez caricaturale ! Nous n'aurions pas osé l'inventer ! Ne venez pas nous dire après qu'il s'agit de financer les moyens consacrés au traitement de la maladie d'Alzheimer, puisqu'il suffisait pour cela de ne pas baisser l'impôt de solidarité sur la fortune des plus riches. C'est toute votre politique qui est en cause, comme le montre encore le retour scandaleux de la redevance audiovisuelle pour les personnes âgées : le scandale est tel, du reste, que vous vous prenez en toute hâte une mesure très partielle pour les personnes résidant en maison de retraite. Mais comme elle ne concerne pas l'ensemble de celles et ceux qui ne devraient plus payer de redevance audiovisuelle, devant la protestation générale vous proposez en urgence une autre mini-mesure, qui ne saurait évidemment compenser l'exonération totale !

La conséquence de votre politique, c'est un recul social sans précédent ! La précarité a augmenté de 20 % en cinq ans et 31 % des salariés ont aujourd'hui un travail précaire ou à temps partiel, alors que la plupart d'entre eux aimeraient bien travailler plus pour gagner plus. Par ailleurs, en cinq ans le nombre de retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté a augmenté de 63 % et celui des ménages surendettés de 15 %. C'est Martin Hirsch lui-même qui déclare que « dans l'indifférence de tous » notre pays vient d'atteindre un taux de pauvreté inégalé en trente ans – 12,1 % –, heureusement encore très en deçà de celui de la Grande Bretagne !

L'augmentation annoncée de la fréquentation des Restos du Coeur, comme celle des appels adressés au Secours Catholique et au Secours Populaire, témoigne directement de cette aggravation. Dans ces conditions, comment pouvez-vous dire que vous modernisez et réformez alors même que nous reculons, un recul que les Français peuvent constater chaque jour ? Il y a de quoi être inquiet car la politique que vous menez aujourd'hui n'est en rien révolutionnaire ni originale : elle n'est que la pâle copie d'un modèle anglo-saxon qui a entraîné l'explosion des inégalités.

Comme le rappelle Susan George dans son dernier ouvrage, La pensée enchaînée, la distribution de la richesse est terriblement déséquilibrée et le déséquilibre s'accentue chaque jour. « La pointe de la pyramide est faite d'or pur, la base de fer-blanc. » En effet, alors qu'en 1968 le PDG le mieux payé des États-Unis gagnait autant d'argent que 127 travailleurs moyens ou que 239 ouvriers au salaire minimal, en 2005, le PDG le mieux payé a reçu autant que 7 443 travailleurs moyens ou que 23 282 ouvriers au salaire minimal. C'est au même processus que la France et l'Union européenne sont aujourd'hui confrontées : l'aggravation terrible des inégalités entraîne une véritable spoliation des richesses, révélée par plusieurs études.

C'est pourquoi la réponse du Premier ministre, hier, lors des questions au Gouvernement, nous semble un peu courte ! Il ne suffit pas en effet d'affirmer que « le pouvoir d'achat des Français dépend de la croissance » si c'est pour oublier l'essentiel, à savoir que la pouvoir d'achat dépend avant tout de la répartition des fruits de la croissance. On comprend bien pourquoi vous cachez cette vérité à nos concitoyens, puisque c'est là que réside tout le problème !

Je me contenterai de rappeler, après d'autres, les conclusions de Camille Landais, de l'École d'économie de Paris, qui a montré que si, entre 1998 et 2005, les salaires ont progressé de 5,3 % et les revenus fonciers de 13,2 %, les revenus des capitaux ont augmenté de 30,7 % et les revenus des capitaux des entreprises du CAC 40 de plus de 80 % !

Ces quatre chiffres suffisent à montrer que notre société a fait le choix de consacrer la plus grande part des richesses produites à la rémunération du capital et non à celle du travail ! Ayez au moins le courage de le reconnaître et de l'assumer.

Ces chiffres interdisent également de se laisser bercer d'illusions par ceux qui prétendent qu'il faut revaloriser le travail, alors même qu'ils refusent de modifier le partage de la valeur ajoutée. C'est à l'aune du rapport entre le salaire et les profits ou la rémunération des dividendes qu'on mesure la valeur réellement accordée au travail. Or, contrairement à ce que vous dites, à aucun moment vous n'avez fait le choix du travail. Ce mot, comme du reste celui de « compétitivité », vous sert d'alibi pour permettre aux capitaux de battre de nouveaux records de rentabilité.

Les orientations budgétaires de la précédente législature, comme, en juillet dernier, celles relatives au paquet fiscal, montrent clairement que vous avez fait le choix des actionnaires contre celui des salariés, celui des rentiers contre celui des travailleurs. Quant aux mesures annoncées sur le pouvoir d'achat, elles le confirment puisqu'elles n'abordent en rien la question cruciale d'une nouvelle répartition des richesses. L'échec sera donc au rendez-vous !

Aux yeux des députés communistes et républicains comme de tous les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, la richesse de notre pays comme de l'ensemble des pays de l'Union européenne devrait être mieux répartie et mieux employée, en vue de répondre aux besoins humains et sociaux. Car – faut-il le rappeler à ceux qui restent sourds ? –, c'est dans les capacités des hommes et des femmes que réside la richesse et non dans l'exigence de rentabilité démesurée du capital.

L'échec du Gouvernement depuis cinq ans et demi – on a repris les mêmes, mais dans le désordre – est à ce point manifeste que, devant la dégradation du pouvoir d'achat d'une grande majorité de nos concitoyens, en catastrophe, vous sortez une série de mesures ponctuelles, partielles et donc inefficaces,

Ce faisant, vous tentez un tour de passe-passe extraordinaire : faire croire aux Français qu'ils vont toucher de l'argent, alors qu'il s'agit de celui qu'ils ont déjà acquis dans le cadre de la participation ou dans celui de la réduction du temps de travail, quand ils ne vont pas le gagner en travaillant le dimanche, au détriment, du reste, des sans-emploi et des salariés à temps partiel, qui seront pénalisés deux fois : non seulement ils ne profiteront pas de ces mesures, mais ils devront encore en subir les effets !

Au point où nous en sommes, je suis étonné que le Président de la République ou le Gouvernement n'aient pas songé à revenir à l'époque précédant le décret de Louis Blanc instaurant, en 1848, la journée de travail de dix heures. Cela aurait été dans la même veine que les mesures précédentes ! La majorité UMP devrait d'autant moins négliger cette possibilité que Mme Parisot n'est, semble-t-il, pas loin de souhaiter un retour au XIXe siècle, puisqu'elle veut supprimer la durée légale du travail pour que les salariés puissent enfin travailler plus pour gagner moins ! Puisqu'il s'agit de moderniser et de réformer, autant régresser aussi loin qu'on peut !

Ainsi, ne vous contentez pas de rogner sur les RTT : vous pourriez rapidement supprimer une ou deux semaines de ces congés payés dont l'instauration, en 1936, avait déjà posé tant de problèmes aux représentants du patronat qu'ils s'étaient à l'époque demandé comment ils allaient faire pour payer durant quinze jours des salariés qui ne travailleraient pas !

En la matière, l'imagination est infinie ! Quant aux terribles sanctions menaçant les exonérations de cotisations sociales des entreprises récalcitrantes en matière de politique salariale, elles sont purement virtuelles, puisque seules les entreprises qui n'ouvriront pas de discussions pour 2008 seront concernées ! Or, comme ouvrir une discussion ne coûte pas cher, elles ne craignent rien !

En réalité, je ne crois pas que les Français vont se laisser prendre par ce tour de prestidigitation qui consiste à leur faire croire qu'on leur restitue une part de richesse, ce qui serait le cas si l'on augmentait les salaires et si l'on rééquilibrait la répartition des richesses en faveur du travail et au détriment du capital. Dans cette dernière hypothèse seulement, nous entrerions dans un cercle vertueux de croissance, d'emploi et de pouvoir d'achat.

En fait, les Français vont se payer eux-mêmes – et encore, pas tous – un très mince et très temporaire rattrapage de pouvoir d'achat, avec des effets pervers déjà identifiés à cause desquels c'est l'épargne qui va s'accroître plutôt que la consommation, bloquant l'emploi au lieu de le dynamiser. De plus, nos concitoyens vont payer les conséquences de la vente de notre patrimoine et les conséquences des allégements supplémentaires de cotisations sociales qui devront bien être compensés d'une façon ou d'une autre.

Le présent collectif budgétaire prévoit des dépenses attendues du fait de l'exonération des cotisations sociales pour les heures supplémentaires. Cette mesure est profondément injuste car elle tend à opposer les salariés entre eux. Elle jette la suspicion sur ceux qui sont privés d'emploi, augmentant la pression sur eux et complexifiant les procédures de radiation.

La fusion ANPE-UNEDIC, proposée sous couvert de bon sens avec le guichet unique, pourrait concourir à remettre en cause le paritarisme et accentuer non pas le contrôle mais la répression des chômeurs en les obligeant à accepter un emploi même s'il est à mille lieux de leur qualification et de leurs souhaits. Je rappelle que, sans parler de la répression, il a été établi que le nouveau mode de calcul des sans-emploi avait fait baisser automatiquement d'un point le taux de chômage. D'ailleurs, pendant que la chasse aux chômeurs s'intensifie, des cercles avisés s'agitent pour trouver le moyen de dépénaliser la délinquance en col blanc, satisfaisant le souhait du Président de la République. Là encore, quel symbole !

Dès lors, au-delà de vos mesures tendant pour l'essentiel à accroître l'exploitation du travail salarié, il existe des mesures d'urgence à prendre : bloquer les loyers et contrôler les prix de l'immobilier et du foncier ; baisser de 10 % le prix de l'essence et du fioul en taxant les profits faramineux de Total – qui a réalisé 12 milliards d'euros de bénéfices nets en 2006, et 10 milliards d'euros de janvier à septembre 2007 – et en baissant de huit centimes la taxe d'État pour la ramener à la moyenne de l'Union européenne. On doit par ailleurs augmenter les salaires – il faut savoir qu'une hausse des salaires de 1 % rapporte 9 milliards d'euros à la sécurité sociale. Il convient d'arrêter la spéculation sur l'énergie et l'alimentation qui profite à quelques groupes transnationaux et baisser la TVA sur les produits de première nécessité.

Pour financer ces mesures mais aussi la sécurité sociale, les retraites, la relance des investissements et la recherche, sources de croissance et de développement de l'emploi et de juste répartition des richesses, nous proposons de taxer les revenus boursiers au même taux que les salaires, cela rapporterait 13 milliards d'euros, soit à peu près l'équivalent du déficit annoncé de la sécurité sociale. Nous proposons également de prélever 0,5 % sur les actifs financiers, soit 17 milliards d'euros de recettes ; de supprimer les exonérations de cotisations sociales qui ne servent pas à créer des emplois – d'après la Cour des comptes, ce sont 17 milliards d'euros – ; d'annuler la partie du paquet fiscal de juillet réservée aux plus riches – 12 milliards d'euros – ; enfin, de multiplier par deux l'ISF – 4 milliards d'euros.

Pour financer la sécurité sociale, taxons les stocks options – 3 milliards d'euros –, continuons de rembourser la dette de l'État – 9 milliards d'euros en 2006 et 1,5 milliard d'euros pour 2007. Rappelons que la dette patronale est de 2 milliards d'euros et que si l'on réalise l'objectif du Président de la République de créer un million d'emplois dans les cinq ans, cela procurerait une somme de 15 milliards d'euros.

Oui, « l'argent coule à flots », selon la formule de Patrick Artus, l'un de nos plus grands économistes.

En vingt ans, l'État a fait 450 milliards d'euros de cadeaux fiscaux – c'est presque la moitié de la dette de la France –, cependant que les dividendes ont été multipliés par neuf et le SMIC par deux seulement. On voit bien qui cela a servi. Votre bouclier fiscal permet par exemple à Mme Léon-Noëlle Meyer, héritière et actionnaire des Galeries Lafayette, de toucher un chèque de remboursement du Trésor public de 7,7 millions d'euros : c'est indécent ! Ces 7,7 millions d'euros permettraient par exemple de combler 80 % de ce que doit l'État au conseil général du Cher – mon département – au titre des dépenses du RMI !

Parlons aussi du bradage des biens de la nation avec le véritable scandale du siège de l'Imprimerie nationale vendu en 2003 à un fonds de pension américain, dont M. Bush père est actionnaire, pour 85 millions d'euros. Ce bâtiment de 30 000 mètres carrés a été racheté par l'État en 2007 pour 376 millions d'euros, c'est-à-dire plus de quatre fois plus cher.

Non content de baisser les recettes de l'État, ce qui a accru le déficit budgétaire de 800 millions d'euros depuis l'été, vous vendez le patrimoine national à tour de bras : 16 milliards d'euros en 2006 et, maintenant, près de 4 milliards d'euros d'actions d'EDF. Chacun sait bien que ce n'est pas un signe d'enrichissement car il s'agit de remplir en urgence des caisses qui ont été vidées.

Oui, il y a de l'argent, beaucoup, beaucoup d'argent ! On nous dit que si l'on mettait en oeuvre les mesures que nous prônons, cet argent partirait. La bonne question à se poser est de savoir où ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion