Une très bonne étude du Conseil d'analyse économique a d'ailleurs été publiée récemment à ce sujet.
C'est particulièrement vrai dans une économie de marché parce que la confiance est à la base de la performance économique mais également à la base de l'efficacité de l'échange. C'est la confiance dans l'ensemble du système qui fait que, dans une économie développée, chacun peut se spécialiser en s'appuyant sur les autres pour ce qu'il ne peut accomplir. C'est la raison pour laquelle des pays profondément égalitaires, comme ceux du Nord de l'Europe, la Suède, la Hollande, le Danemark, ont réussi à être parmi les plus développés du monde. Toutes les analyses qui ont porté sur le succès de ces pays montrent l'importance du facteur confiance.
Je pense que l'effondrement de la confiance que nous observons aujourd'hui est profondément dû au sentiment d'injustice. Et cet effondrement est inquiétant pour la croissance : l'indicateur de confiance des ménages établi par l'INSEE est en effet retombé à son plus bas niveau des quinze dernières années, au moment où la croissance a connu un ralentissement considérable.
Alors que devait s'instaurer un cercle vertueux confiance-croissance, on assiste à un cercle vicieux où la montée des inquiétudes engendre une croissance en berne. Au mois de juillet dernier, Mme Lagarde était intarissable sur le « choc de croissance », et je reconnais que vous étiez plus prudent, monsieur le ministre, mais aujourd'hui vous n'en parlez plus. Cette année ce n'est pas un point de croissance supplémentaire que nous constatons, c'est un demi-point de croissance en moins, et ce sera vraisemblablement la même chose l'année prochaine. Quand je dis un demi-point en moins, c'est par rapport à vos prévisions, mais si on compare avec nos partenaires européens, c'est un point de croissance en moins ! Vous aviez prévu une croissance située entre 2 % et 2,7 % ; elle sera cette année vraisemblablement de l'ordre de 1,8 % et cela malgré le rebond du troisième trimestre. J'ai entendu Mme Lagarde dire à la radio, un matin du mois de novembre, que la croissance était très forte au troisième trimestre. Je me suis naturellement alors précipité sur les données statistiques – c'est un vieux réflexe de conjoncturiste – en me disant que je m'étais peut-être trompé dans les analyses que je développais en juillet et qu'il y avait peut-être un véritable rebond. Or, la croissance du troisième trimestre correspondait très exactement à la prévision faite par l'INSEE deux mois plus tôt et qui conduisait à une croissance de 1,8 % pour cette année.
Tous les indicateurs de conjoncture dont nous disposons – l'indicateur de confiance des ménages, la consommation des ménages en produits manufacturés au mois d'octobre – montrent une forte chute, et l'économie française s'enfonce malheureusement dans une croissance faible. Pour l'année prochaine, celle-ci risque de s'établir autour de 2 %. Ce n'est ni un choc de croissance ni une rupture ; c'est la continuité dans la croissance molle que connaît la France depuis 2002.
Sur la croissance, nous avons entendu deux discours opposés : celui d'un Président volontariste, qui voulait aller chercher le point de croissance avec les dents, et celui de ses ministres, selon lesquels la croissance était le résultat de la conjoncture internationale, de la situation européenne. Bref, on se demandait quel était le pouvoir de la politique économique sur la croissance française.
Je pense que si notre pays connaît cette panne de croissance, c'est qu'il y a un fossé considérable entre le discours volontariste du Président de la République et la réalité de votre politique économique. En effet, pour l'instant, et cela risque d'être encore plus vrai l'an prochain, votre politique économique n'a eu aucun effet sur la croissance. Certains disent que c'est la conjoncture internationale. Il est vrai que la croissance française suit le cycle économique européen – elle est forte quand la croissance européenne est forte et plus faible quand la croissance européenne est faible –, mais sans avoir le même rythme, et cela peut changer complètement la configuration de la croissance française. Bien sûr, au cours des vingt dernières années nous avons eu le même cycle, mais entre 1997 et 2002 la croissance de la France a été entre un demi-point et un point plus élevée que celle de ses partenaires européens, et cela change tout. Alors que la croissance européenne était d'un peu plus de 2 %, la croissance française était de 3 %. À partir de 2002, c'est l'inverse qui s'est produit : la croissance française est devenue presque systématiquement plus faible que la croissance européenne. Elle n'a pratiquement jamais atteint 2 %. En 2007, elle est de 1,8 % alors que celle de nos partenaires européens est de 2,6 % pour la zone euro et de 2,8 % pour l'ensemble de l'Europe.
D'où vient cet écart entre la croissance française et la croissance européenne ? Ce qui détermine la force, la stabilité de la croissance, c'est la progression du pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages. Or, entre 1997 et 2002, cette progression a toujours été comprise entre 3,2 % et 3,5 %. Il y a donc eu une croissance très stable et très forte du pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages parce que des emplois ont été créés – 400 000 par an – et que le revenu individuel a connu une hausse. Puis cette croissance s'est effondrée après 2002. Elle a connu des fluctuations entre 1 % et 2 % parce qu'il n'y avait ni création d'emplois ni hausse du revenu disponible individuel. Vous pourrez le vérifier, pendant toutes les années qui ont suivi 2002 ni les créations d'emplois ni l'augmentation du revenu individuel n'ont été une seule fois à la hauteur de ce qu'elles étaient de 1997 à 2002.
Dans tous les débats économiques que nous avons eus, vous avez longuement évoqué la question des heures supplémentaires et le Président de la République en a rajouté en proposant le rachat des RTT sans d'ailleurs préciser à quel taux il se ferait. Ce taux sera-t-il celui des heures supplémentaires ou celui des heures normales ? La différence est importante. Nous avons posé la question à M. Fillon, mais il n'y a pas répondu, au point que nous nous demandons ce que cherche le Gouvernement avec ce rachat. Je pense qu'il cherche à remettre en cause la durée légale du travail. Vous faites deux erreurs.
Vous faites une première erreur en ne vous adressant pas à ceux qui ont besoin de travailler plus pour gagner plus, à savoir les chômeurs auxquels vous tournez le dos avec cette mesure et le million de salariés qui sont à temps partiel – 80 % des femmes voudraient travailler plus, mais ce ne sont pas elles qui décident de leur durée de travail.
Vous faites une seconde erreur dans la mesure où, en pratiquant cette politique, vous tournez le dos aux créations d'emplois sans stimuler l'augmentation du pouvoir d'achat. En effet, contrairement à ce qui a toujours été dit dans la partie droite de cet hémicycle, la réduction du temps de travail a créé massivement des emplois. Un rapport du ministère de l'emploi et de la solidarité, publié lorsque M. Fillon était à sa tête, montre que la réduction du temps de travail a créé entre 300 000 et 400 000 emplois, et cela sans nuire à la compétitivité de notre pays. Je rappelle qu'à cette époque celle-ci était forte, car la France avait des excédents extérieurs. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Depuis trois ou quatre ans, la compétitivité s'est très fortement dégradée. Nous avons 30 milliards de déficit extérieur, situation sans précédent depuis que les statistiques du commerce extérieur existent.
Et si les 35 heures ont créé des emplois, c'est parce qu'elles se sont appuyées sur une négociation au coeur de laquelle était l'emploi. Je rappelle que le coût des 35 heures, dont vous parlez toujours, c'est le coût des allégements de cotisations que nous avons faits en les conditionnant par la création d'emplois, et qu'ils remplaçaient les vôtres, ceux de M. Balladur et de M. Juppé notamment, qui n'étaient conditionnés par rien. Il faut conditionner les allégements de cotisations à des négociations. Nous, nous l'avons fait pour les négociations en faveur de l'emploi et nous vous disons depuis six mois d'appliquer ce principe pour celles en faveur du pouvoir d'achat. J'observe que, au moins là-dessus, le Président de la République nous a entendus puisque c'est ce qu'il a proposé.
Sur les 35 heures, vous faites une erreur historique. En effet, depuis plus d'un siècle, dans tous les pays, la durée annuelle du travail a été divisée par deux, et même plus. Si on remonte aux origines de la révolution industrielle, elle a presque été divisée par trois. Corrélativement, sur la même période, la productivité horaire du travail, c'est-à-dire le nombre de biens produits pendant une heure de travail, a été multipliée par vingt. Autrement dit, les deux composantes historiques du progrès économique sont la réduction annuelle du temps de travail et l'augmentation des gains de productivité, donc des salaires.