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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 22 mai 2008 à 9h30
Pluralisme dans les médias audiovisuels — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, notre assemblée est appelée ce matin à examiner une proposition de loi déposée par le groupe SRC et dont l'objet est d'intégrer dans les médias audiovisuels les interventions du Président de la République – ainsi que celles de ses collaborateurs – au sein du temps de parole réservé à l'exécutif.

La « communication […] est libre », comme l'indique l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Est-il possible de faire plus simple ? Ce principe, qui est au coeur de cette loi fondatrice pour les médias français, est un élément essentiel de la garantie des libertés publiques dans notre pays. Le même article précise que cette liberté doit respecter notamment le « caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion ».

Le respect de ce principe fait partie des missions confiées au Conseil supérieur de l'audiovisuel. À cet égard, le pluralisme est un objectif de valeur constitutionnelle, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 septembre 1986. Le Conseil a d'ailleurs précisé que « le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie » et ce aussi bien dans le cadre du secteur public de l'audiovisuel que dans celui du secteur privé. Le Conseil ajoute que « l'objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs […] soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire les objets d'un marché ».

De fait, la notion de pluralisme revêt deux aspects. Il peut être externe ; il s'agit alors de la pluralité des opérateurs de médias et de la nécessité – selon nous – de lutter contre l'hyperconcentration qui s'opère actuellement au profit d'un petit nombre de groupes industriels et financiers dont la plupart dépendent des commandes de l'État. La proposition de loi ne traite pas directement de cette question, même s'il y a évidemment beaucoup à dire. Dans une période où la presse vit une mutation économique et technique difficile, il conviendrait que l'indépendance et la liberté éditoriales des équipes rédactionnelles à l'égard des actionnaires des organes de presse soient mieux garanties. De la même façon, une réforme de la procédure de désignation des membres du CSA, associant l'ensemble des groupes parlementaires des deux assemblées, s'impose.

Le pluralisme peut également être interne ; dans cette acception, il tend à ce qu'un opérateur assure, au sein de ses programmes, l'équilibre et la diversité des points de vue et des opinions. Parmi les « courants de pensée et d'opinion », le pluralisme politique a une place particulière. En effet, la démocratie repose sur l'exercice du suffrage universel auquel « les partis et groupements politiques concourent », comme le prévoit l'article 4 de la Constitution. C'est sur ce deuxième aspect que porte la proposition de loi aujourd'hui soumise à votre examen.

Hormis le cas des périodes électorales, pour lesquelles le code électoral prévoit précisément les règles applicables, la mission du CSA en matière de respect du pluralisme est définie de manière peu précise par l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986, lequel prévoit simplement que le CSA « assure le respect » du pluralisme. Le même article ajoute que le CSA doit relever, mois par mois, le temps de parole des responsables des partis politiques.

La prise en compte de l'équilibre des temps de parole n'a que légèrement évolué dans le temps : la règle dite des « trois tiers » a disparu en 2000, au profit d'un « principe de référence », qui en est, avouons-le, très proche. La règle des « trois tiers » est issue d'une directive du conseil d'administration de l'ORTF du 12 novembre 1969, laquelle prévoyait que, « dans la présentation des points de vue, l'équilibre entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent, lorsqu'il ne sera pas obtenu en un seul jour et au cours de la même émission, devra l'être sur une période raisonnablement calculée ».

Cette formulation a servi de base à l'analyse classique des temps de parole en « trois tiers » : un tiers pour le Gouvernement, un tiers pour la majorité parlementaire, étant entendu que les membres du Gouvernement qui s'expriment en tant que responsables de partis relèvent de cette catégorie, et un dernier tiers pour l'opposition parlementaire. L'adoption du principe de référence n'a pas eu pour conséquence de modifier les parts respectives des temps d'intervention des trois catégories préexistantes. Si les « partis non représentés au Parlement » ont, au moment du passage au principe de référence, acquis le droit à un « accès équitable aux programmes audiovisuels », leur temps de parole ne représente, dans les faits, que 3,5 % du total du temps d'expression politique.

Le temps de parole du Président de la République n'a, quant à lui, jamais été décompté pour l'application de la règle des trois tiers ou du principe de référence. Cet état de fait a notamment été contesté devant le Conseil d'État en 2005. Dans sa décision du 13 mai 2005, la juridiction a affirmé que, compte tenu de « la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du Chef de l'État dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics », le Président de la République « ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique ». Cette décision est fondée sur la place qui est celle du Chef de l'État. Or, chers collègues, c'est bien de cela qu'il s'agit de débattre aujourd'hui. Qui pourrait contester que le rôle du Président de la République a évolué dans sa nature comme, en conséquence, la manière d'apparaître du Président lors de ses interventions télévisées ? La parole présidentielle n'est manifestement plus empreinte de cette rareté qui lui donnerait un caractère si particulier.

D'ailleurs, et j'appelle en particulier, sur ce point, l'attention de nos collègues de la majorité, le Comité constitutionnel, présidé par M. Édouard Balladur, a lui-même constaté cette évolution. En proposant que les interventions du Chef de l'État soient prises en compte dans le temps de parole de l'exécutif, le rapport du Comité constitutionnel pointait l'« anomalie » – une de plus – que représentait le décompte actuel des temps de parole, soulignait que cette situation était la traduction d'une conception dépassée du rôle du Chef de l'État, nous invitant de fait à modifier la loi du 30 septembre 1986. C'est précisément ce que nous sommes amenés à faire aujourd'hui à travers l'examen de cette proposition de loi.

Afin d'en légitimer le dépôt et l'examen, votre rapporteur souhaite vous montrer à quel point ce constat est largement corroboré par l'analyse statistique des temps de parole du Président de la République.

En commission des lois, un député de la majorité m'a fort justement suggéré de comparer le temps de parole de l'actuel Chef de l'État à celui de ses prédécesseurs. Il ressort des données publiques du CSA que la part du temps de parole du Président de la République entre 1989 et 2005 était en moyenne de 7 % du temps global des interventions politiques.

J'ai effectué les calculs sur la base des données du CSA pour le second semestre de 2007, soit sur une période suffisamment longue. Le Président de la République a disposé de 13,3 % du temps de parole politique dans les journaux télévisés, les magazines d'information et les programmes de divertissement – ce chiffre s'élèvant à 15 % si l'on prend en compte les interventions de ses collaborateurs. Cette proportion atteint même 21,4 %, et 23 % avec les interventions de ses collaborateurs, si l'on ne prend en compte que les seuls journaux télévisés. Nous sommes passés du simple au double !

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