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Intervention de Gilles Carrez

Réunion du 6 février 2008 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du plan :

Au préalable, je voudrais saluer la qualité des relations de travail qui unissent notre assemblée, en particulier la commission des finances, à la Cour des comptes. Cela va bien au-delà de votre rapport annuel, monsieur le premier président, puisque nous travaillons ensemble de façon continue, que ce soit dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle et des missions spécifiques que vous exercez au titre de l'article 58 de la LOLF, ou dans le cadre d'un travail quotidien non formalisé, mais qui tend à se développer, et auquel j'attache beaucoup d'importance, réunissant les rapporteurs spéciaux, les rapporteurs pour avis et les différents conseillers et magistrats de la Cour des comptes qui se penchent sur les mêmes sujets.

Les dépenses fiscales deviennent pour nous une préoccupation majeure, à la fois du point de vue de l'efficacité de la dépense publique et du rétablissement de nos comptes publics. Ces dépenses fiscales sont pourtant récentes, puisqu'elles n'ont été formalisées et organisées qu'à la fin des années 1970. Ce n'est que dans la loi de finances pour 1980 qu'apparaît, à l'article 32, la notion de dépenses fiscales, qui fait l'objet d'un fascicule spécial annexé à la loi de finances, ayant vocation à tenter d'évaluer les dépenses fiscales dans le cadre des « Voies et moyens. »

Près de trente ans plus tard, ces dépenses fiscales sont devenues un enjeu absolument essentiel, à la fois du point de vue de la maîtrise budgétaire, de la simplification de notre fiscalité et de l'équité de la loi fiscale.

En matière de maîtrise budgétaire, je donnerai un exemple très récent. En 2007, pour la première fois, la réalisation de l'impôt sur le revenu est inférieure de plus d'un milliard d'euros à ce que nous avions prévu en loi de finances initiale, ce qui n'était jamais arrivé au cours des dix dernières années. La raison de ce phénomène est que les niches fiscales sont en train de miner littéralement un certain nombre de recettes de l'État. On a vu ainsi exploser des dépenses non évaluées, résultant notamment de mesures de défiscalisation relatives aux économies d'énergie ou aux énergies renouvelables dans le logement. Il en est de même de la prime pour l'emploi, sous l'effet de la baisse du chômage.

En ce qui concerne la simplification de la fiscalité, il est évident que la multiplication des dispositions dérogatoires, au nombre de plusieurs centaines actuellement, rend notre législation fiscale absolument incompréhensible.

Enfin, pour ce qui est de l'équité, nous avons introduit avec le plafonnement des impôts par rapport aux revenus – ce qu'il est convenu d'appeler le « bouclier fiscal » – un principe qui me paraît essentiel, selon lequel l'impôt ne doit pas revêtir un caractère confiscatoire. Mais qui dit plafond doit également dire plancher.

Il ne serait pas normal qu'un contribuable qui bénéficie de revenus confortables puisse, à coup d'utilisation de niches fiscales diverses et variées, s'exonérer complètement du paiement de l'impôt. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.) C'est pour nous une préoccupation majeure. C'est pourquoi, avec Pierre Méhaignerie, Didier Migaud et l'ensemble des commissaires, nous réfléchissons au plafonnement des niches fiscales, voire à la notion d'impôt minimal.

En effet, dans le budget 2008, qui s'élève à un peu plus 300 milliards, les dépenses fiscales représentent à elles seules 73 milliards d'euros. Et l'on compte 486 types de dépenses fiscales. En outre, et c'est une singularité française, les dix premières dépenses fiscales constituent 40 % du coût total. Plus préoccupant encore, la dynamique s'accélère. Par exemple, entre 2007 et 2008, la progression des dépenses fiscales est de 7 % alors que celle des crédits budgétaires n'est que de 1,6 % en vertu de la règle de la croissance zéro en volume. Autre chiffre qui donne à réfléchir : en valeur absolue, la progression des dépenses fiscales en 2008 par rapport à 2007 représente 5 milliards d'euros, c'est-à-dire à elle seule la totalité de la marge autorisée par la règle précitée. Ces exemples montrent qu'il nous faut absolument réagir.

En 2003, le Conseil des impôts, devenu depuis le Conseil des prélèvements obligatoires, animé, rappelons-le, par la Cour des comptes, a remis un remarquable rapport sur la dépense fiscale. Il en ressortait un constat sévère et deux conclusions : d'une part, ces dépenses fiscales sont très mal évaluées et, d'autre part, leur efficacité est souvent très incertaine.

L'article 51 de la loi organique nous a permis de progresser puisqu'il faut désormais chiffrer les dépenses fiscales dans le cadre des programmes annuels de performances et les rapports annuels de performances. Ces chiffrages ne sont cependant pas satisfaisants puisque 20 % des dépenses fiscales demeurent non chiffrées et la moitié des 80 % restants ne font l'objet que d'ordres de grandeur qui se révèlent toujours largement dépassés.

Par ailleurs, l'instauration d'une nouvelle dépense fiscale est souvent perverse. En effet, celle-ci ne coûte en général pratiquement rien la première année, et à peine plus la deuxième. Mais, ensuite, les coûts explosent. Prenons l'exemple de la transformation des crédits budgétaires pour le financement de l'accession sociale à la propriété en crédit d'impôt. Le prêt à taux zéro est financé, non pas sur des crédits budgétaires, mais sur une dépense fiscale, une économie d'impôt sur les sociétés au niveau des banques. Celles-ci paient moins d'impôt sur les sociétés pour prêter à taux zéro. La mesure a coûté 200 millions d'euros la première année. Mais, cinq ans plus tard, nous en sommes à 1 milliard d'euros.

Pour toute nouvelle dépense fiscale, il faudra donc prévoir une évaluation pluriannuelle et un chiffrage. La dépense fiscale s'apparentant à un crédit budgétaire, il faudrait aussi que nous disposions d'indicateurs de performances, d'efficacité. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Je sais que la Cour des comptes travaille sur ce sujet. Dès la loi de finances 2007, elle a proposé, pour une douzaine de dépenses fiscales, un certain nombre d'indicateurs de performances. Le Gouvernement vient d'ailleurs de s'engager, par une circulaire, il y a quelques jours, à nous présenter, à l'occasion de l'examen de la loi de règlement de 2007 prévu en juin prochain, un travail d'évaluation sur quelques très grosses dépenses fiscales.

Par exemple, l'instauration du taux de TVA à 5,5 % pour les travaux dans les logements a-t-elle permis de créer les emplois escomptés, a-t-elle été gagée par de nouvelles recettes ? La mesure est a priori positive. Encore faut-il l'évaluer avec le recul nécessaire. Il en est de même pour les exonérations liées au capital de l'assurance-vie, pour les réductions d'impôt pour emploi salarié à domicile, pour le crédit d'impôt au titre du développement durable.

Monsieur le Premier président, vous le voyez, le champ est vaste et le travail à accomplir est urgent. Nous devons absolument nous astreindre à maîtriser la prolifération des dépenses fiscales. En effet, plus la norme de dépense proprement dite est rigoureuse, plus il est tentant pour les administrations et les ministres de contourner cette norme par le biais de dépenses fiscales, d'exonérations en tout genre. Ils compensent ainsi le rationnement des crédits budgétaires. Il faut être très attentif à cela.

Dès la loi de finances pour 2009, nous pourrions donc intégrer dans la norme de dépenses une partie de la dépense fiscale. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Je sais que la Cour des comptes propose cette mesure que je souhaite défendre cet après-midi à la tribune. En 2008, nous avons intégré les prélèvements sur recettes, et cela a constitué un vrai progrès. Monsieur le Premier président, vous qui êtes toujours d'une grande sévérité – ce que nous admettons parfaitement –, vous l'avez d'ailleurs salué dans votre rapport. Pour 2009, pourquoi ne pas introduire sur la ligne des prélèvements sur recettes une partie de la dépense fiscale, soit dans la norme elle-même soit dans une norme spécifique ?

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