La prochaine fois, il faudra légiférer pour savoir comment on fait la preuve que le salarié a bien accepté que son bulletin de salaire soit dématérialisé. L'employeur devra-t-il demander un papier écrit, ou pourra-t-on dématérialiser l'accord du salarié ?
C'est un problème de logique : en cas de procédure, cette simplification n'en sera pas une, bien au contraire.
Le rapporteur est d'ailleurs lui-même si enthousiaste à cette idée qu'il écrit : « Les incertitudes techniques relatives au fonctionnement du coffre-fort électronique sont réelles mais relèvent du pouvoir réglementaire. Il nous faudra donc être vigilant sur la rédaction et la mise en oeuvre du décret. » Beau cadeau, monsieur le secrétaire d'État ! Que ferez-vous si, demain, quinze millions de salariés s'avèrent mécontents de la formule ?
Le bulletin de paie est souvent le seul document de référence dans les procédures, pour les rappels de salaires, mais également pour les classifications ou les licenciements et, au-delà de cinq ans, pour les discriminations, procédures dont la HALDE est saisie régulièrement et qui sont potentiellement les plus lourdes, plus graves que pour un licenciement abusif. Avons-nous aujourd'hui les garanties techniques et juridiques que cette initiative ne va pas aboutir à un fiasco total ?
Je sais bien que, en général, le Gouvernement ne nous écoute pas mais je voudrais faire une comparaison. J'ai débattu ici même, pendant des heures et des heures, avec M. Fillon à propos de la mise en place du dossier médical personnalisé, en 2003. Avec la même assurance que celle dont vous faites preuve aujourd'hui, il nous disait qu'il n'y avait aucun problème, que cela allait être merveilleux, qu'on allait gagner des milliards simplement grâce au dossier santé. Tout le monde se prenait à rêver de ce merveilleux outil qui permettrait au médecin, en appuyant sur un bouton, de consulter votre dossier médical et de le transmettre à un confrère. Le monde merveilleux de l'électronique allait nous faire économiser beaucoup d'argent. Dans la réalité, il s'agit probablement de l'un des plus grands fiascos administratifs de ce siècle, une véritable gabegie, comme l'ont montré de nombreux rapports. Le dispositif a créé des problèmes à tout le monde.
Aujourd'hui, compte tenu du stade de développement de l'informatique, imposer une telle mesure de dématérialisation pour les bulletins de paie n'a aucun sens, ni pour les salariés, ni même pour les entreprises. La réflexion n'est pas assez mûre. Vous ne pouvez pas prendre cette initiative sans consulter les partenaires sociaux, en l'imposant à des personnes qui ne savent même pas de quoi il s'agit. Difficulté supplémentaire, comment saurez-vous si le salarié a donné ou non son accord ? Cette question n'est pas réglée non plus.
Franchement, compte tenu des enjeux pour la vie sociale, pour les rapports entre salariés et employeurs, pour la défense éventuelle des victimes de discrimination, je crois qu'il serait prudent de retirer cet article 15 et donc de voter notre amendement n° 42 .