…prévoit d'ores et déjà toutes les incriminations nécessaires pour mise en danger de la vie d'autrui ou incitation au suicide, situations auxquelles, ne soyons pas naïfs, on peut effectivement se trouver confronté. Il n'y a donc pas besoin de cette loi ! La mise en danger de la vie d'autrui, je le répète, est déjà inscrite dans le code pénal et il suffirait, madame la ministre, que vos services arrivent à convaincre les procureurs de faire usage de cette incrimination et que des moyens réels existent pour que des poursuites pénales puissent être engagées dans les cas juridiquement fondés.
Ce texte est donc inutile puisqu'il ne traite pas l'essentiel du problème en raison de la confusion qu'il entretient sur les causes de cette maladie, causes qui ne tiennent pas tant à l'influence de la société sur les jeunes que, plus fondamentalement, à leurs difficultés en termes de santé mentale, ce qui n'est pas vrai de l'obésité, comme le montre, là aussi, la littérature scientifique internationale. En effet, si, pour une part, l'obésité trouve son origine dans un trouble du comportement alimentaire qui a les mêmes racines que pour l'anorexie, en revanche, pour une part beaucoup plus substantielle, elle est le fruit d'une pression environnementale et économique si forte qu'on peut parler d'épidémie à propos de cette pathologie. Il est dès lors parfaitement légitime d'intervenir, en légiférant en termes de santé publique, sur le cadre environnemental dans lequel s'inscrivent les problèmes d'obésité et, comme nous le demandons depuis plusieurs années, il serait même souhaitable d'agir pour que l'environnement commercial ne pèse plus sur les jeunes en les poussant à devenir obèses. Il est donc inexact d'assimiler les deux maladies.
Un des aspects de votre projet de loi concerne un autre débat, celui des modèles sociaux. Or il n'y a pas de liaison nécessaire entre pathologie et normalité, en l'occurrence le normal et le pathologique ne se rejoignent pas. Il est vrai que l'interrogation sur la normalité mérite un débat : vaut-il mieux être maigre que gros ? que nous dit la société à ce sujet ? C'est en ce sens que je trouve positive la charte qui a été signée et qui se place, précisément, sur le terrain du débat social. Si je prends l'exemple italien, qui met en avant la question des mannequins en situation d'anorexie, il ne s'agit pas tant de lutter contre l'incitation à l'anorexie que contre, à la fois, le développement de normes sociales stigmatisantes et le fait d'exposer, pour des raisons commerciales, des personnes en grande souffrance, les campagnes commerciales relevant du voyeurisme tout en constituant un déni de compassion au regard de ce qu'elles sont. Il s'agit d'une question posée à la société et non du simple fait qu'en montrant une personne anorexique on chercherait à promouvoir l'anorexie. Ce qui est choquant dans de telles campagnes, c'est qu'on se sert de la souffrance d'autrui pour une démarche commerciale. C'est donc bien sur le plan éthique et non, en premier lieu, sur celui de la santé mentale, que nous trouvons justifiée la condamnation de ce type de campagnes commerciales.
De la même façon, il est parfaitement légitime de lutter dans la publicité contre des formes de stigmatisation éventuelle visant des personnes trop maigres ou, ce qui est le cas le plus fréquent, trop grosses – je reprends des termes simples. Nous devons être attentifs à ce que les normes sociales ou les comportements culturels ne stigmatisent pas des personnes.
Madame la ministre, madame la rapporteure, votre intuition n'est pas exacte, même s'il est parfaitement légitime d'insister sur la gravité de cette maladie qu'est l'anorexie et sur l'acuité de la souffrance qu'elle révèle chez les jeunes et qu'elle produit dans leurs familles : en ce sens, il est bon de mettre en oeur du débat social et, plus largement, au sein de la culture de la société, toute attitude de stigmatisation. En revanche, nous avons l'impression que, du fait même de son inutilité, cette nouvelle incrimination pénale, loin de résoudre le problème posé par l'anorexie, n'est qu'un simple exutoire venant masquer les véritables causes, enfouies dans notre société, de la montée, d'abord chez les jeunes, mais pas seulement, des comportements violents, y compris contre soi-même – automutilations, suicide ou toxicomanie. Je reconnais bien volontiers qu'aucun d'entre nous n'a de solution toute faite. Toutefois, il ne faudrait pas que votre projet de loi – c'est un des reproches que je lui fais –, tout en n'apportant aucune solution, nous éloigne des éléments nous permettant de comprendre les difficultés, voire les drames auxquels les jeunes sont confrontés. Ce texte masque les insuffisances à cet égard de la politique de santé publique et d'offre de soins, du reste difficile à mettre en oeuvre. Je ne suis pas de ceux qui disent qu'il suffit d'appuyer sur un bouton pour pouvoir disposer, sur le territoire national, au double plan quantitatif et qualitatif, des structures de soins adéquates. Je le répète : la mise en oeuvre d'une telle politique reste difficile. Toutefois, plutôt que de dépenser notre énergie, notamment celle des parlementaires, à donner de fausses réponses à de mauvais diagnostics, il vaudrait mieux l'utiliser pour tenter de faire comprendre à la société dans son ensemble que notre jeunesse a trop souvent des problèmes de santé mentale, eux-mêmes trop souvent mal dépistés et mal traités. Non seulement l'offre de soins est insuffisante, mais nous ne portons pas non plus sur les jeunes un regard suffisamment juste. (Mme Catherine Coutelle et Mme Marisol Touraine applaudissent.)