Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, l'anorexie est une maladie grave, qui touche très durement nombre de jeunes filles, mettant en danger leur santé, et souvent leur vie.
Plutôt que de parler d'entrée de fléau ou de drame pour la société, je veux d'abord penser aux malades et à leurs familles qui, pendant des années, vivent dans une inquiétude perpétuelle, sans même savoir comment remplir ce qui est en définitive le premier devoir de qui fonde une famille : nourrir son enfant. Je pense aussi aux difficultés des équipes soignantes – car cette maladie n'est pas facile à soigner, et ceux qui sont impliqués dans ce combat font preuve, en dépit des difficultés, de beaucoup de courage ; j'imagine que certains d'entre vous ont déjà été en contact avec ces équipes et savent la violence de la confrontation avec le malade.
Je ne crois pas que l'anorexie puisse être considérée comme un problème de nutrition, ni que sa cause réside en un phénomène d'imitation. Ce texte repose sur un raisonnement défectueux parce qu'il confond un problème de société – celui, j'y reviendrai, de la définition de la norme sociale : les maigres et les gros – et une maladie, l'anorexie. D'ailleurs, comme vous le savez, un des symptômes de l'aggravation de la maladie est son alternance avec des cycles de boulimie : cela prouve bien qu'on est loin de la logique d'imitation dont parlent certains.
Il n'est pas interdit de se référer à la littérature médicale pour essayer de comprendre l'anorexie. Il existe deux approches principales.
L'approche clinique perçoit l'anorexie comme un trouble du comportement alimentaire et, dans le cadre plus général des troubles de la santé mentale, comme un des comportements à risque dont sont de plus en plus victimes les adolescents des pays développés. Il s'agit donc d'abord et avant tout d'une maladie psychique. Or il convient de faire preuve de prudence sur ces questions : ce n'est pas la première fois que des problèmes de santé mentale interpellent douloureusement notre société et que l'on risque d'y apporter des réponses fausses.
L'autre approche est celle de la santé publique – c'est celle de l'OMS. Les travaux de Mme Marie Choquet, épidémiologiste spécialisée dans la santé des adolescents, montrent que les comportements de ce type résultent d'une montée de la violence en tant que pathologie sociale, due à l'évolution non contrôlée des modes de vie de nos sociétés contemporaines.
Cette violence s'exprime chez les filles par une tendance plus grande au suicide, à l'automutilation et à l'anorexie : elles la tournent plus volontiers contre elles-mêmes que les garçons qui, au contraire, auront plutôt tendance à diriger les troubles et le métabolisme de cette violence vers l'extérieur au travers de comportements d'addiction – notamment par le recours à la drogue – ou sociopathiques, lesquels s'expriment parfois dans la délinquance.