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Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Réunion du 15 avril 2008 à 9h30
Combattre l'incitation à l'anorexie — Discussion d'une proposition de loi

Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l'anorexie est devenue un véritable enjeu de santé publique. C'est pourquoi je tiens d'emblée à rendre hommage à votre engagement ainsi qu'au remarquable travail accompli par votre rapporteure, Valérie Boyer, que je remercie pour sa présentation.

L'anorexie est une maladie qui n'est pas toujours reconnue comme telle. L'obsession de la maigreur, entretenue par nos modes, constitue elle-même un phénomène social récent qui rend plus difficile encore la mise en oeuvre des moyens nécessaires au traitement de cette maladie.

Le paradoxe de l'anorexie réside précisément dans le rôle qu'elle fait jouer à la volonté. L'anorexie se donne l'aspect d'une volonté pure, dont l'exercice prétend accomplir le triomphe de l'esprit, affranchi des exigences de la vie, sur le corps. La pulsion de vie est ainsi en quelque sorte absorbée par la pulsion de mort.

Les faits sont là : l'anorexie figure parmi les plus mortelles des maladies du psychisme. Le taux de mortalité à dix ans est de 5 %. Il avoisinerait les 20 % à plus long terme, car la santé de celles et ceux qui en réchappent demeure irréversiblement fragilisée.

Vous l'avez rappelé, madame la rapporteure, la France compte actuellement 30 000 à 40 000 anorexiques, en majorité des jeunes filles et des jeunes femmes. Si l'anorexie entraîne dans un premier temps amaigrissement et anémie, associés souvent à une aménorrhée, ses conséquences somatiques à moyen ou à long terme peuvent être très lourdes : perte de capacités musculaires, problèmes cardiaques, ostéoporose, notamment.

Les parcours scolaire, universitaire ou professionnel des anorexiques, leur parcours de vie enfin, sont considérablement affectés. Leur famille et leur entourage sont également suspendus à la maladie, car la nourriture et les conflits autour de l'alimentation finissent par prendre le pas sur toute autre considération.

Il reste que, si les médecins sont en première ligne pour soigner celles et ceux chez qui la maladie s'est déclarée, nous disposons de leviers pour prévenir l'apparition des premiers symptômes et agir sur les représentations susceptibles d'inciter jeunes gens et jeunes filles à tomber dans la spirale de l'anorexie.

Si la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui n'a pas pour ambition de répondre, à elle seule, à toutes les interrogations que soulève l'anorexie, elle se situe dans la perspective d'un ensemble de mesures volontaristes. Aujourd'hui, les pouvoirs publics, les acteurs de la société civile et les représentants du monde médical travaillent, tous ensemble, dans le même sens.

Dans cet esprit, le plan « Santé des jeunes », que j'ai présenté au conseil des ministres en février dernier, déploie un arsenal de mesures ambitieuses qui nous donnent les moyens de lutter contre l'anorexie sur plusieurs fronts.

Je tiens d'ores et déjà à souligner l'importance de la prévention dans ce domaine.

Les visites médicales à l'école et à l'université, qui comportent un bilan de l'état de santé physique et psychologique des enfants et des jeunes, constituent une voie d'accès privilégiée au dépistage des troubles du comportement alimentaire. Ce dépistage figurera désormais dans le référentiel des consultations médicales obligatoires chez les enfants de douze ans. Je m'y engage fermement. De même, à l'université, le dépistage et la prise en charge de l'anorexie entreront dans le contrat-cadre de partenariat en santé publique entre les ministères de la santé, de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Ces visites permettront de renforcer le dépistage aux deux moments clé d'apparition de la maladie : au seuil de l'adolescence à douze ans et à l'entrée dans l'âge adulte à l'université.

J'ai également souhaité que l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'INPES, fasse davantage porter l'accent sur le dépistage de l'anorexie et de la boulimie. D'un point de vue général, il convient de doter de guides tous les médecins, pour les aider à mieux assurer leur mission de prévention. Pour ce faire, la formation constitue l'un des piliers essentiels pour améliorer la prise en charge. À cette fin, j'ai confié au professeur Martin une mission sur la formation des professionnels de santé en matière de nutrition. J'attends prochainement la remise de son rapport, et j'examinerai les recommandations à mettre en oeuvre, avec notamment le soutien actif du ministère de l'enseignement supérieur et de Valérie Pécresse.

Je souhaite en effet que les études médicales permettent aux étudiants d'intégrer ces problématiques de santé publique. Dans cette perspective, je serai particulièrement attentive à ce que la prévention et les soins liés aux troubles du comportement soient mieux pris en compte.

Passé le stade de la prévention, l'amélioration de la prise en charge des anorexiques constitue également une priorité. C'est pourquoi j'ai demandé à la Haute autorité de santé, la HAS, de travailler à des recommandations précises pour permettre aux médecins de mieux prendre en charge cette maladie complexe. Le déni de la pathologie, quand ce n'est pas le refus de soins, retarde en effet très souvent cette prise en charge.

De nombreuses complications somatiques accompagnent l'anorexie mentale. La prise en charge requiert donc une meilleure coordination des soins somatiques et psychiatriques, ainsi qu'une articulation au long cours de l'hôpital et de la médecine de ville. Praticiens hospitaliers et médecins doivent ainsi conjuguer leur action pour un dépistage le plus précoce possible, pour un suivi des patients coordonné, mais aussi pour échanger leurs expériences à partir d'un socle commun de bonnes pratiques.

Les recommandations de bonnes pratiques nous permettront également d'envisager les parcours de soins les plus appropriées. Actuellement les prises en charge en hospitalisation sont effectuées dans divers services spécialisés en fonction de la symptomatologie, de l'âge et de l'existence de complications : médecine interne, psychiatrie, pédiatrie, endocrinologie, maisons des adolescents avec hospitalisation. Les maisons des adolescents ont en effet un rôle crucial à jouer pour aider au repérage de cette pathologie, pour orienter les personnes dépistées, pour les prendre en charge ou les accompagner, voire pour les hospitaliser lorsque ces structures sont adossées à des centres hospitaliers. À cet égard, je souscris à l'objectif clairement désigné par la défenseure des enfants, Mme Versini, d'une maison des adolescents par département d'ici à la fin de la législature.

Je veux également rendre un hommage appuyé à l'action de certaines pionnières, notamment à Mme Bernadette Chirac, et à l'établissement La maison de Solenn, qui fait figure, à juste titre, de centre de référence.

Les causes de cette maladie sont protéiformes et mal connues. Seule la conjugaison d'actions plurielles, venues de plusieurs directions, nous permettra de mettre en oeuvre une démarche cohérente et efficace pour combattre l'anorexie.

C'est pourquoi je me réjouis de pouvoir compter aujourd'hui sur l'engagement volontaire des professionnels de l'image du corps dans notre pays. Des représentants du monde de la mode, des médias et de la publicité ont travaillé ensemble pendant un an, sous la direction du pédopsychiatre Marcel Rufo et du sociologue Jean-Pierre Poulain, avec des experts et des représentants des associations. Je viens de signer une charte d'engagement volontaire avec les représentants des acteurs économiques membres de ce groupe de travail ; elle marque un tournant dans la prise de conscience générale que requiert la lutte contre l'anorexie.

La charte « Anorexie – Image du corps » distingue deux populations à risque.

La première comprend les professionnels qui vivent de l'image de leur corps : mannequins, danseurs, professionnels de la diététique ou de l'esthétique. Ces personnes sont soumises, dans l'exercice de leur métier, à des contraintes évidentes. Notre responsabilité est de tout faire pour éviter que l'obéissance à de telles règles de vie ne porte préjudice à leur santé.

La deuxième catégorie de population est beaucoup plus large. Il s'agit de jeunes personnes, en grande majorité des jeunes filles, tiraillées entre le désir de se conformer aux canons esthétiques de notre temps, mais aussi de se distinguer, de s'opposer et de sortir du rang.

Par cette charte, les professionnels s'engagent à faire évoluer les comportements et à refléter, dans les représentations qu'ils en donnent, la diversité des morphologies dans notre société. Le succès récent de certaines campagnes publicitaires mettant en scène des formes de beauté différentes, de tous âges, a prouvé aux publicitaires le potentiel d'une telle démarche. Les annonceurs savent aujourd'hui qu'ils ont tout à gagner à mettre en valeur des beautés plurielles plutôt que stéréotypées.

Ils s'engagent également à ne pas stigmatiser les physiques hors normes et les personnes qui souffriraient de surpoids. Il est d'autant plus nécessaire que nous adoptions sur ce point un comportement exemplaire que le prestige de la mode française, mais aussi de notre culture et de notre qualité de vie, rayonne à travers le monde et nous oblige à la responsabilité.

Nos exigences éthiques pourraient aussi bien, d'ailleurs, stimuler l'imagination des créateurs. Nous pourrions ainsi universaliser nos valeurs tout comme nous exportons nos modes.

Pour autant, je n'ai pas souhaité assigner des objectifs irréalistes aux rédacteurs des magazines – nous savons bien qu'un grand nombre de nos concitoyens ne sont pas satisfaits de leur poids. J'ai simplement demandé aux représentants des organes de presse de s'engager à assortir leurs propositions de régimes de conseils sanitaires avisés, appelant chacune et chacun à la mesure et alertant les lecteurs contre toute dérive possible.

Je travaille actuellement, avec Xavier Bertrand, à donner un contenu prescriptif aux visites médicales imposées aux jeunes mannequins adultes ou mineurs âgés de plus de seize ans. Le respect de seuils précis de poids et d'indice de masse corporelle sera ainsi requis pour défiler.

Notre propos ici n'est pas de tendre un doigt accusateur vers les responsables supposés de l'anorexie, milieux de la mode, des médias ou de la communication. Nous devons en revanche nous mobiliser vigoureusement contre un phénomène récent : l'apparition sur Internet de sites « pro-ana », dont Mme la rapporteure faisait état à l'instant, sites encourageant l'anorexie et travestissant cette maladie pour lui donner les atours d'une supposée éthique – avec un h...

Grâce à certains de vos collègues de l'Assemblée, je pense à Valérie Boyer mais également à Pascale Gruny, que je remercie, elle aussi, pour son remarquable travail, vous êtes désormais bien au fait du contenu de ces sites, de ces blogs, de ces forums où des jeunes filles, et ceux qui les manipulent, rédigent des journaux intimes à l'adresse d'Ana, personnification de l'anorexie. Ces sites représentent un danger réel pour leurs lecteurs, fragilisés et malades.

Face à ce qui constitue une réelle menace pour la santé et l'ordre public, j'ai la conviction que nous devons prendre des mesures dissuasives et interdire tout propos incitant à des restrictions alimentaires déréglées. Cette interdiction ne devra pas se limiter à Internet, mais concerner tous les médias.

À la suite du décès de deux jeunes mannequins sud-américains, l'Espagne s'est rapidement dotée d'une législation protectrice visant à lutter contre l'anorexie. Mais ces événements datent maintenant de quelques années ; la proposition de loi présentée par Valérie Boyer, mûrement réfléchie et rédigée à froid, ne procède donc, je tiens à le souligner, d'aucun désir de céder à l'urgence de l'actualité.

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