Monsieur le président, madame la ministre de la santé, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à lutter contre les incitations à la recherche d'une maigreur extrême ou à l'anorexie permettra à l'Assemblée nationale – sans doute pour la première fois, et c'est tout un symbole – de se prononcer sur cette question majeure trop longtemps occultée dans le débat public.
Au déni qui caractérise si profondément cette affection, à la souffrance et à l'isolement des malades, au sentiment d'impuissance qui envahit souvent leurs proches, il est temps, en effet, d'opposer un signe fort marquant la prise de conscience et la mobilisation des pouvoirs publics contre ce fléau.
L'extrême minceur et l'anorexie ne sont pas seulement un grand enjeu de santé publique, elles constituent aussi, comme vous l'avez très justement souligné, madame la ministre, « le symptôme d'une sorte de malaise dans la civilisation, sur lequel les médecins mais aussi les philosophes, les sociologues et les psychologues auraient beaucoup à dire et beaucoup à nous apprendre ».
Avant de vous présenter l'objet et la finalité de cette proposition de loi, je voudrais commencer par souligner très clairement ce qu'elle n'est pas.
Il ne s'agit en aucun cas de stigmatiser des malades ou encore de faire croire qu'à lui seul, un texte de loi pourrait répondre à l'ensemble des questions soulevées par cette maladie, notamment celles relatives à sa prise en charge, qui relève bien évidemment, en premier lieu, des professionnels de santé.
S'il propose de créer une nouvelle incrimination pénale, ce texte n'a pas simplement une vocation répressive, il a aussi une vocation dissuasive. Il s'inscrit par ailleurs dans la continuité d'une politique globale, équilibrée et particulièrement volontariste destinée à mieux protéger la santé des jeunes, s'agissant tout particulièrement des troubles du comportement alimentaire tels que l'anorexie ou l'obésité.
Il ne s'agit évidemment pas non plus de laisser penser que les incitations à l'anorexie, telles que celles que l'on retrouve sur certains sites Internet, ou, plus généralement, l'environnement socio-culturel seraient les seules et uniques causes de l'anorexie, tant est complexe cette maladie psychique, dont le diagnostic n'est d'ailleurs pas récent, loin s'en faut – il y a fort longtemps qu'elle a été décrite. Notre assemblée n'a évidemment pas vocation à se substituer au travail, ô combien essentiel, des médecins, des psychothérapeutes ou encore des psychanalystes pour la compréhension de cette pathologie. Il ne s'agit en aucun cas de prendre la place des équipes médicales.
En revanche, le Parlement est pleinement dans son rôle lorsqu'il entend prévenir certaines dérives afin de mieux protéger la santé des plus vulnérables, mais aussi, au-delà du problème particulier de l'anorexie, lorsqu'il s'interroge sur l'ensemble des problèmes liés aux représentations du corps, et tout particulièrement de la femme, dans notre société.
L'anorexie et la recherche d'une maigreur extrême sont en effet des problèmes majeurs en termes de santé publique car cette maladie est particulièrement grave et invalidante. Je rappelle que l'anorexie est un trouble du comportement qui se caractérise par un amaigrissement important, un rapport angoissé à l'alimentation, une obsession pour un surpoids supposé et une déformation de l'image corporelle. En France, de 30 000 à 40 000 personnes en seraient aujourd'hui atteintes, dont environ 90 % de femmes, essentiellement des jeunes filles. Les répercussions sanitaires de l'anorexie, à court ou à long terme, sont souvent très graves : ostéoporose, anémie, perte des capacités physiques et musculaires, voire détérioration des organes vitaux et problèmes cardiaques. Le taux de mortalité serait ainsi l'un des plus importants parmi les troubles psychiques : à l'échéance de dix ans, il atteindrait 5 % et avoisinerait 20 % à plus long terme.
Dès lors, la valorisation excessive de la maigreur, voire de l'anorexie, qui tend à se développer depuis quelques années apparaît extrêmement préoccupante. L'anorexie est une affection psychique, dont l'analyse des causes, sans doute multiples, est particulièrement complexe. De manière générale, certains spécialistes suggèrent que le comportement alimentaire pourrait dépendre de facteurs individuels, en particulier psychologiques, qui agissent en étroite interaction avec des facteurs environnementaux et socio-culturels.
Au-delà du problème particulier de l'anorexie, la représentation du corps dans notre société soulève de nombreuses questions. La pression sociale autour de l'image du corps féminin, véhiculée notamment par les médias, contribue au développement de pratiques alimentaires et corporelles abusives qui, selon certaines analyses, pourraient même favoriser chez certaines femmes vulnérables le début de conduites alimentaires pathologiques consécutives à l'instauration d'un régime. Et comment ne pas s'interroger sur ces troubles du comportement alimentaire dans une société de consommation qui semble parfois valoriser à l'excès l'image, le contrôle de soi, la minceur, la recherche de la performance ou l'éternelle jeunesse ?
Par ailleurs, il est très préoccupant de voir se développer des incitations à une maigreur excessive de façon directe ou à travers différents médias, notamment les sites Internet « pro-anorexiques ». Les membres du mouvement « pro-ana » y font l'apologie ouverte de l'anorexie et diffusent des recommandations particulièrement inquiétantes, qui peuvent conduire certaines personnes vulnérables à adopter des comportements alimentaires dangereux. Dans les cas les plus extrêmes, des pratiques à la limite de la manipulation mentale ne sont pas sans évoquer certaines dérives sectaires.
Faut-il dès lors continuer d'observer, impuissants, le développement incontrôlé de telles pratiques, qui mettent en péril la santé, voire la vie, des plus vulnérables, le plus souvent des mineurs, et, par notre silence, consentir à l'idée que l'on puisse faire de ces corps décharnés des icônes ? La réponse est clairement « non ». C'est pourquoi il apparaît nécessaire de renforcer la lutte contre les incitations à la recherche d'une maigreur excessive ou à l'anorexie.
À cette fin, la proposition de loi prévoit d'incriminer l'incitation à la recherche d'une maigreur excessive. Ainsi, « le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l'exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé » sera puni d'une peine maximale de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
Cette formulation permet d'exclure du champ de ce nouveau délit les incitations à des pratiques alimentaires dont la finalité première n'est pas la recherche d'une maigreur excessive, telles que les jeûnes religieux, les actes à finalités thérapeutiques, les régimes diététiques ou les grèves de la faim revendicatives.
De plus, s'il apparaît que cette provocation a entraîné la mort de la personne concernée, les peines seront portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. L'échelle des peines apparaît ainsi cohérente et proportionnée à la gravité des actes commis, au regard notamment des peines prévues pour les délits de mise en danger d'autrui et de provocation au suicide.
En outre, si le délit est commis par voie de presse écrite ou audiovisuelle, les modalités de détermination des personnes responsables obéiront aux mêmes règles que celles actuellement prévues en cas de provocation au suicide.
Par ailleurs, deux amendements adoptés par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ont permis de clarifier et d'étendre le champ de la proposition de loi. Il est en effet apparu nécessaire d'introduire de nouvelles dispositions sanctionnant la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de produits, objets ou méthodes préconisés comme moyens de parvenir à une maigreur excessive et qui ont pour effet de compromettre directement la santé d'une personne. Cette infraction serait également punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
Ainsi, la proposition de loi permettra de lutter non seulement contre les provocations directes à des comportements anorexiques, c'est-à-dire visant une ou plusieurs personnes déterminées, mais aussi, de façon plus large, d'incriminer clairement la diffusion de contenus, quel qu'en soit le support, qui préconisent des moyens de parvenir à une maigreur excessive, ce qui s'appliquera donc notamment à certains sites internet « pro-ana ».
Si la création d'une sanction pénale est un symbole fort, elle n'épuise évidemment pas l'ensemble des questions liées à la prévention et à la prise en charge de l'anorexie, et plus largement des problèmes posés par les représentations du corps dans notre société. La création de ce délit n'est pas une fin en soi, elle s'inscrit au contraire dans le cadre d'une politique globale visant à renforcer la protection de la santé des jeunes, en particulier des femmes.
Dans ce sens, plusieurs actions ambitieuses ont d'ores et déjà été engagées par le Gouvernement, à travers notamment le programme national nutrition santé et la présentation, en février dernier, du plan « Santé des jeunes », qui ont pour objectif de prévenir l'adoption de certains comportements alimentaires.
Je me félicite par ailleurs de la signature, le 9 avril dernier, de la Charte d'engagement volontaire sur l'image du corps et contre l'anorexie, préparée par le groupe de travail coprésidé par le professeur Marcel Rufo, pédopsychiatre, et le sociologue Jean-Pierre Poulain,...