Au cours des trois dernières décennies, les crises successives ont été autant d'éclatement de bulles spéculatives, dont nous nous sommes relevés – si l'on peut dire – par une thérapeutique publique unique : l'allocation massive de liquidités par les autorités monétaires à des taux dérisoires, voire négatifs.
Parallèlement, la faillite des instruments pervers de dissimulation du risque n'a pas conduit à la prohibition de ces instruments, mais à leur sophistication.
Au début 2008, plusieurs mois après le début de la crise des subprimes, les avertissements les plus lourds, les plus clairs, les plus autorisés se sont fait entendre sur l'ampleur de la crise et l'incapacité d'en sortir par les moyens désormais inopérants des taux d'intérêts et de l'injection massive de liquidités : on peut citer George Soros ou le livre – remarquable et prophétique – de Charles R. Morris publié en février 2008.
Longtemps sourd à ces avertissements et pratiquant la politique de l'autruche, la crise d'octobre a permis au discours gouvernemental voire présidentiel d'opérer un demi-tour spectaculaire dont je salue ici la lucidité en soulignant cependant que l'on en tire finalement assez peu de conséquences dans l'action concrète.
La cause profonde de la crise, c'est à l'évidence le gonflement insensé d'une masse spéculative internationale essentiellement libellée en dollars, à travers des instruments hallucinants de dissimulation des risques et de transformation desdits risques en taux de rémunération élevés. J'invite M. Goulard à compléter son information s'agissant du risque de diffusion en Europe de la crise des subprimes, pour un montant équivalent au montant américain.
Prétendre, comme on le fait aujourd'hui, résoudre la crise par de nouvelles injections de liquidités, une timide réglementation des marchés, et une transformation des États en prêteurs et en garants de dernier ressort est profondément irréaliste.
Premièrement, nous ne parviendrons pas à réglementer réellement car la résistance sera d'autant plus forte que la réglementation remet en cause des intérêts colossaux portés par toute une technostructure financière, qui jouit d'un niveau de vie supérieur à tout ce que le monde a jamais connu.
Par ailleurs, des États entiers vivent de la richesse artificielle de cette technostructure, pas seulement les îles ou les enclaves telles que Dubaï ou Singapour, mais de grandes nations telles que la Grande-Bretagne – pour un quart de son PIB – et ses multiples satellites off shore, voire les États-Unis – qui drainent 80 % de l'épargne disponible mondiale pour compenser leurs déficits – sans parler d'une partie non négligeable de l'Europe continentale.
Deuxièmement, il faudra bien trouver les moyens de résorber les masses flottantes actuelles. Personne ne peut aujourd'hui dresser un tableau réaliste de l'ampleur des problèmes. Compte tenu des encours atteints par certains instruments, on peut avancer des ordres de grandeur en dizaine de milliers de milliards de dollars. Il est significatif que le trillion, soit le millier de milliard, soit revenu dans l'usage courant, pour le moment dans son acception anglo-américaine, en attendant d'adopter l'acception dite à longue échelle, c'est-à-dire le milliard de milliards ! Je relève que, pour le moment, loin de vouloir limiter les masses spéculatives, les autorités monétaires partout dans le monde mettent à la disposition des spéculateurs d'hier des masses considérables de liquidités à un taux d'intérêt négatif – aux États -Unis – sur la base de contreparties dont la qualité financière décroît corrélativement à l'aggravation de la crise.