Il faut le dire : le crédit est souvent une manière de compenser une politique salariale restrictive. C'est évidemment le cas aux États-Unis, où nombre de salariés connaissent une situation de surendettement chronique.
Le naufrage des subprimes n'est pas qu'un dysfonctionnement bancaire ; il est le résultat d'un besoin d'endettement des salariés combiné avec un crédit hypothécaire lié à une valeur du bien toujours anticipée à la hausse et avec des taux d'intérêt variables, dont on a le plus souvent masqué le risque aux emprunteurs. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe SRC.)
C'est, au-delà des techniques employées, la question de la part des salaires dans la valeur ajoutée qui est posée. Du côté des salaires, si l'on excepte les traders, la période est à la compression. Ainsi que nous l'a rappelé Michel Aglietta, le salaire médian n'a pas progressé aux États-Unis en termes réels depuis trente ans. En France également, la part des salaires dans la valeur ajoutée s'est stabilisée à un niveau historiquement bas dans les années 1990, parallèlement à une hausse de l'imposition et, surtout, de la part du revenu disponible des entreprises. Qui plus est, à l'intérieur des revenus du travail, on enregistre le creusement des inégalités de salaires. L'école d'économie de Paris a ainsi montré que les 0,01 % de foyers les plus aisés ont vu leur revenu réel et, dans ce revenu, leur salaire s'accroître respectivement de 42,6 % et de 51 % entre 1998 et 2005, contre 4,6 % et 4 % pour les 90 % les plus modestes.
Ces tendances sont malheureusement renforcées par une fiscalité sur le revenu de moins en moins progressive, alors que les impositions patrimoniales voient leur part de plus en plus réduite.
Cette déformation au détriment des revenus du travail est d'abord une injustice fondamentale, mais c'est aussi une faute économique grave, puisqu'elle incite à un surendettement qui se résout toujours par des faillites, pour le malheur des plus modestes.
Les détenteurs de capital ne se sont pas contentés de « mordre » sur la rémunération du travail ; ils ont aussi voulu être « sur-rémunérés » par rapport aux possibilités de l'économie. On a beaucoup parlé des rémunérations souvent exigées par « les marchés » : un rendement à deux chiffres, alors même que l'économie croissait nettement moins vite. Mais que sont « les marchés », sinon les investisseurs qui souhaitent ces rendements et les banques d'affaires qui, se livrant à une surenchère permanente, les leur promettent ?
Or il n'y a qu'une façon d'obtenir de tels rendements : créer un effet de fuite en avant sur un marché ou un autre, créer des bulles. Cela ne marche qu'un temps, comme l'économie pyramidale, qui s'achève par son effondrement. Il est en effet impossible de soutenir longtemps une distorsion de plusieurs points entre rémunération du capital et croissance économique.
Ces dernières années, encouragés par l'invention de produits sophistiqués permettant de se débarrasser du risque et produisant de forts effets de levier, les banques d'investissement et les fonds spéculatifs ont eu pour objectif de réaliser un profit maximum en un minimum de temps, le jeu étant de parvenir à se retirer au plus près du retournement. On pourrait illustrer ces comportements par le titre du film de Woody Allen : « Take the money and run ! », c'est-à-dire : « Prends l'oseille et tire-toi ! ». Mais tous n'y parviennent pas ; on passe alors du cinéma au jeu des chaises musicales – beaucoup de joueurs tombent à terre – ou à celui de la patate chaude : il faut la passer au suivant, mais le dernier finit par se brûler.
Cette course au profit à court terme a été suscitée notamment par le système de rémunération des traders, subjugués par les bonus qu'ils pouvaient atteindre. Le lien entre rémunération et valeur ajoutée du travail fourni a disparu et leur activité a été complètement déconnectée de la véritable création de richesse durable, d'autant plus facilement que, s'ils hypothéquaient leur santé par l'effet du stress, ils n'y engageaient pas leur responsabilité, puisque les bonus mirifiques n'avaient pas les malus pour pendant.
Ce qui s'est passé aux États-Unis s'est transmis au monde, via un système dérégulé et le transfert du risque. Les établissements de crédit européens ont eux-mêmes peu pratiqué le crédit hypothécaire, à l'exception de l'Espagne. La France y a échappé de peu, puisqu'en 2004, le ministre des finances y voyait une solution miracle : il s'agissait, comme aux États-Unis, de permettre à ceux qui ont des revenus modestes de garantir leur emprunt par la valeur de leur logement. Heureusement, cette voie n'a pas été suivie. Quant aux taux d'intérêt variables, la commission des finances a mandaté l'un de ses membres, Frédéric Lefebvre, dans le cadre d'une mission d'information, pour suivre de près la façon dont les banques gèrent les dossiers en difficulté. Un nouveau point doit être fait très prochainement devant la commission des finances.
Si les banques françaises ne se sont pas lancées massivement dans ce type de crédit, elles ont développé une activité dite « d'investissement », ou de trading, notamment pour leur compte propre, dans le but d'obtenir des rendements beaucoup plus importants que ceux que leur assuraient leurs activités traditionnelles. À cette fin, elles se sont fournies abondamment en produits dont on a vu combien ils étaient toxiques. On a voulu faire oublier que plus de rendement, c'est toujours plus de risque.
Devant tant de suivisme, d'incompétence parfois, ou de cynisme et d'âpreté au gain, on peut estimer que ces banques ne sont pas moins fautives que leurs homologues américaines.
La crise financière s'est transformée en crise bancaire, en crise de liquidité, avant de devenir une crise de solvabilité. Sans revenir sur le contenu des mesures qu'il a fallu prendre à court terme pour écarter le risque d'un effondrement du système financier, je veux redire combien les parlementaires présents au comité de suivi du plan français de garanties apportées aux banques doivent examiner de très près ce qui va être fait et la manière dont se conduisent les banques.
Le choix du Gouvernement de souscrire, via la société de prises de participation de l'État, pour dix milliards et demi d'euros de titres super-subordonnés à des émissions des principaux établissements bancaires a fait débat. Certains d'entre nous étaient favorables à une prise de participation dans le capital de ces établissements, ce qui aurait permis de mieux s'assurer de l'orientation qu'ils donnaient à leur activité et d'attribuer à l'État une part du « retour à meilleure fortune » constaté dans le cours des actions, en faisant reposer une partie du coût du sauvetage sur les actionnaires des banques. Le dispositif choisi n'est pas celui-là. En tout état de cause, il ne doit pas avoir pour conséquence de permettre aux banques de profiter de mesures de renflouement sans contrepartie. À ce stade, et au vu de ce que nous constatons sur le terrain, l'inquiétude et les interrogations demeurent.
Jour après jour, en effet, il nous est rapporté que les banques ont sensiblement resserré le crédit, faisant ainsi peser des menaces sur le tissu économique de notre pays. Jusqu'ici, les chiffres communiqués ne montrent qu'une légère diminution de la distribution du crédit, mais ils datent du deuxième trimestre de cette année. Depuis, tout évoluant très rapidement – l'extrême rapidité de « l'effet domino » est une caractéristique de cette crise –, il semble que la situation se soit dégradée. Selon les chiffres du troisième trimestre donnés par la Banque de France, plus des trois quarts des banques ont durci leurs critères : « quelque peu » pour 44 % d'entre elles et « sensiblement » pour 33 %. Pour le dernier trimestre, plus des deux tiers d'entre elles ont l'intention de resserrer à nouveau leurs critères d'attribution. Cela n'est pas acceptable. On nous a assez dit que nos banques étaient solvables ; il ne s'agit donc pas pour elles, dans la situation qu'elles ont contribué à créer, de reconstituer des marges, mais de faire leur travail de financement de l'économie.
En ce qui concerne la réforme du système financier international, je renvoie aux travaux de la commission des finances, qui vient de publier un rapport d'information sur le sujet, et au document élaboré en commun avec le Sénat, qui fait un point sur ce qu'il conviendrait de faire. Nous poursuivrons nos travaux pour apporter, sur des sujets précis, les propositions les plus concrètes possible. Je souligne simplement que nous avons mis au premier plan de nos préoccupations la question des paradis fiscaux.
En effet, comment remettre un système à l'endroit si cette question n'est pas réglée ? À quoi servent une réglementation des établissements de crédit, une nouvelle définition des normes comptables, un encadrement des rémunérations, si un pan entier de l'économie financière – je parle de 5 000 à 7 000 milliards d'euros – reste soustrait à tout contrôle ? Les actions à mener le sont à tous les niveaux : au niveau mondial, évidemment, l'OCDE étant un échelon d'action pertinent – et je salue ici l'initiative des ministres du budget de l'Allemagne et de la France, qui ont relancé ses travaux –, mais aussi au niveau européen – en révisant, par exemple, la directive sur la fiscalité des revenus de l'épargne – et au niveau national. À ce dernier égard, les propositions du Gouvernement contenues dans le projet de loi de finances rectificative me laissent sur ma faim, car je n'y ai vu ni l'ébauche du service d'enquêtes fiscales judiciaires que nous espérions, ni de mesures concernant les prix de transfert, qui permettent à des entreprises d'échapper à l'impôt du pays de production.
Troisième sujet : celui des seuils déclenchant la mise en oeuvre des dispositifs anti-délocalisations fiscales. Modifiés en 2004 à l'initiative du ministre des finances, et fortement critiqués, ils doivent faire l'objet d'un bilan. Ce sont des questions sur lesquelles nous aurons certainement l'occasion de revenir au cours de la discussion du collectif budgétaire.
Revenons à la situation économique dans la zone euro et en France. Plusieurs pays de la zone sont d'ores et déjà en récession et si la France y échappe ce trimestre, elle s'en rapproche, ce qui m'amène à insister sur deux points. Premièrement, la menace de credit crunch ne pèse pas seulement sur les entreprises mais aussi sur les ménages. Faute de réponse en termes de pouvoir d'achat direct, la remise en cause de leur accès au crédit pourrait s'avérer dramatique : il y a, en France, comme aux États-Unis, des travailleurs pauvres qui gagnent moins de 60 % du salaire médian, soit moins de 890 euros, et qui ne peuvent décemment subvenir à leurs besoins alors qu'ils ont un revenu d'activité. Le nombre de travailleurs pauvres en France est estimé à 1,7 million de personnes si l'on considère les ménages et à 3,5 millions de personnes si l'on considère le revenu individuel d'activité.
Là encore, nous entendons, dans nos circonscriptions, des récits de plus en plus nombreux et douloureux : nos concitoyens – et tous ne sont pas, loin de là, des travailleurs pauvres – nous disent qu'ils ne peuvent survivre sans crédit. C'est que le travail partiel et le fractionnement des emplois se sont beaucoup développés, et que le SMIC est peu élevé pour un coût de la vie qui a augmenté. Car si les salaires ont augmenté nominalement, le pouvoir d'achat, lui, s'est contracté à cause de l'inflation qui a porté, au cours de l'année 2008, sur des produits de base, les produits alimentaires et l'énergie, mais aussi à cause des prix de l'immobilier qui sont devenus insupportables, pour les acquéreurs comme pour les locataires.
Les acquéreurs potentiels subissent maintenant le resserrement de l'offre de crédit et la très forte diminution de l'offre de vente, les propriétaires ne voulant plus se dessaisir de logements à des prix en baisse. En conséquence, le niveau des transactions immobilières s'est effondré en l'espace de quelques mois. Les locataires ne sont pas mieux lotis, l'offre de logements sociaux étant toujours déficiente et le poste « loyer » restant le plus important de leur budget.
Le deuxième point sur lequel je voudrais appeler votre attention est la situation de l'emploi. Les chiffres ont commencé à être inquiétants au mois d'août dernier, lorsqu'on a enregistré 41 000 inscriptions supplémentaires à l'ANPE. L'emploi salarié a baissé de 0,1 % au troisième trimestre, après un recul de 0,2 % au deuxième trimestre. Pour l'ensemble de la zone euro, les perspectives se sont singulièrement assombries : la population au chômage, qui représentait 7,5 % de la population active en 2007 – son niveau le plus bas depuis 25 ans – devrait passer, en moyenne, à 8,4 % en 2009 et 8,7 % en 2010.
La France devrait se situer, comme en matière de déficit public et de dette, parmi les pays les moins performants : selon les prévisions de la Commission européenne, elle devrait connaître un taux de chômage de 9 % en 2009 et de 9,3 % en 2010. Elle se situerait parmi les tout derniers pays de l'Union, suivie seulement de la Slovaquie et de l'Espagne, qui avait fait de l'immobilier le moteur de sa croissance.
Face aux difficultés que notre pays va devoir affronter, il me paraît devoir insister sur quatre directions à prendre, quatre priorités.
La première priorité est de tout faire pour que les banques, en contrepartie des mesures de sauvegarde qui leur ont été accordées et qui sont garanties par l'ensemble de la communauté nationale, alors même qu'elles sont responsables, pour partie, du désastre que nous connaissons, financent convenablement l'économie. Je souhaite, monsieur le ministre, que la commission des finances, qui a entendu René Ricol en octobre dernier sur la crise financière internationale, l'entende prochainement en sa qualité de médiateur national du crédit.
La deuxième priorité est de tout faire pour donner aux entreprises les moyens de financer leur développement dans le cadre d'une nouvelle politique industrielle. À cet égard, le fonds stratégique d'investissement qui vient d'être créé peut constituer une partie de la réponse. Mais à ce jour, on ne sait s'il est un fonds souverain à la française, une arme anti-crise, un moyen d'aider des entreprises qui pourraient être la proie de prédateurs, un outil de financement des entreprises en croissance, une aide aux restructurations nécessaires, un substitut aux banques défaillantes, ou tout cela à la fois, ce qui ne paraît pas soutenable au vu des 20 milliards dont il sera doté, dont seulement 6 milliards d'argent frais.
Le Parlement a besoin d'obtenir des précisions à ce sujet car il ne saurait être question d'augmenter à nouveau de 3 milliards d'euros l'endettement public et de réorienter les investissements de la Caisse des dépôts, placée sous sa protection, sans une vision claire de l'objectif recherché.
La troisième priorité est de tout faire pour mettre en oeuvre une véritable politique du logement – mais les crédits de la mission logement pour 2009 diminuent. Je sais que des crédits vont être débloqués par la Caisse des dépôts pour se substituer aux promoteurs qui ne sont plus en état de financer des programmes en cours. L'objectif porte sur 30 000 logements. Cependant, il s'agit de la Caisse des dépôts et non pas de l'État. Par ailleurs, ces 30 000 logements ne sont pas des logements « en plus », mais des logements qui étaient déjà prévus. Or le manque de logements est criant, dans toutes les catégories, et notamment dans le secteur du logement social. Il est donc nécessaire de conforter cette priorité.
La quatrième priorité est de tout faire pour contrecarrer la dégradation de la situation de l'emploi et les précarités qui s'annoncent. Un niveau de chômage de 9 %, lorsqu'on dénombre déjà près de 2 millions de travailleurs pauvres, ce n'est pas tenable.
En conclusion, pour mener ces politiques, il faut en avoir les moyens, ce qui pose à nouveau la question des marges de manoeuvre budgétaire. Vous parlez, à juste titre, du logement et de l'emploi, mais vous ne dites rien des moyens à votre disposition. La pénurie est telle qu'il faut savoir revenir sur les politiques qui ne marchent pas et redéployer les moyens correspondants, comme nous l'imposent les difficultés présentes et à venir. D'autres politiques sont possibles : les annonces faites par le président des États-Unis récemment élu, Barack Obama, et par Gordon Brown en sont l'illustration. Elles sont aux antipodes de la politique conduite dans notre pays. Ce devrait être, monsieur le ministre, un sujet d'interrogations et de remises en cause pour vous et votre gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)