… qui affirmait, il y a plus d'un siècle, un principe que je souhaite, ici, vous rappeler pour en montrer la modernité, et indiquer en quoi la proposition de résolution qui nous est soumise y déroge.
Tout d'abord, Léon Duguit disait que le règlement est la loi interne de chaque assemblée. En avance sur son temps, il affirmait que le règlement ne peut contenir aucune disposition contraire à la Constitution. À une époque où l'on prétendait que notre assemblée pouvait « tout faire sauf changer un homme en femme », sa conception d'une norme suprême s'imposant au législateur était très moderne. Il défendait aussi l'idée que l'initiative parlementaire appartient à tout député. Il arguait que le droit d'initiative comprend « naturellement le droit d'amendement, c'est-à-dire le droit de proposer des modifications partielles aux projets du gouvernement ou aux propositions parlementaires ».
Un siècle et deux Républiques plus tard, son propos est toujours actualité. En effet l'article 26 du projet de résolution institue la possibilité d'un temps maximal d'examen et son corollaire : un temps de parole limité par groupe politique transformé en temps minimum identique. Cette disposition est critiquable pour au moins trois raisons.
Tout d'abord, ce temps limité n'est pas mis en relation avec le temps global disponible. En commission des lois, la majorité a fait valoir que ce temps limité existait ailleurs. Comparaison ne vaut pas raison : ladite procédure n'est pas mise en rapport avec le temps effectif global disponible pour la discussion par session. Ainsi, au Royaume-Uni, ce temps par session est d'environ 700 heures, dont 650 au profit des textes gouvernementaux. Si un tel temps y existe, il y est justifié par le fait qu'une fois passée la session, en l'absence d'adoption, la discussion repart à zéro !
Si le principe d'un tel délai était adopté pour une loi, un temps maximal par session pourrait et devrait être prévu ; on pourrait alors proposer qu'un projet de loi non adopté dans la session fasse l'objet d'un nouvel examen complet, ce qui justifierait a contrario le principe d'un « temps-guillotine ».
En outre, cette disposition ne respecte pas l'équilibre du pour et du contre. Les députés s'opposant à un projet ou à une proposition devraient avoir le même temps de parole que la majorité ou l'ensemble des députés soutenant le projet lors de la discussion au fond ; cette égalité ne sera pas assurée puisque le rapporteur pourra intervenir en séance publique sur des amendements qui n'auront pas été examinés par la commission ; il s'exprimera à titre personnel – ou plutôt partisan – en échappant au temps limitativement distribué.
Enfin, cette disposition va priver chaque député du droit effectif de présenter ses propres amendements. Dans l'hypothèse où son groupe aura épuisé le temps imparti, le député ne pourra plus défendre son amendement ; dans ce cas, les amendements seront simplement appelés et les députés voteront après avoir entendu l'avis du Gouvernement et celui de la commission.
Au-delà de cet aspect fondamental auquel contrevient cette proposition de résolution, je veux revenir sur le refus qui nous a été opposé de faire valoir, dans notre règlement à tous, un principe que reconnaît désormais la Constitution, à savoir la parité.
Le groupe socialiste a déposé deux amendements visant à ce que la configuration du bureau de l'Assemblée et celle du bureau des commissions respectent non seulement la configuration politique de l'Assemblée – ce qui a été rappelé à plusieurs reprises aujourd'hui –, mais aussi, autant que possible, le principe de parité hommes femmes. L'article 1er de notre Constitution dispose en effet : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. »
Eh bien, ces amendements, que j'ai défendus aux côtés de mes collègues – masculins – du groupe socialiste, ont été rejetés par l'UMP, au motif que c'est aux groupes politiques de faire prévaloir la parité. C'est avec ce type de raisonnement, mes chers collègues, que le pouvoir reste très masculin. Dans une assemblée, les élus doivent se trouver à égalité.
Ce ne sont pas seulement les qualités ou la volonté de ceux qui gouvernent qui sont importantes – je pense à la prudence, au courage, à la générosité –, c'est le système de gouvernement lui-même qui doit montrer l'exemple.
J'ai le regret de vous le dire ici : notre assemblée ne donne pas le bon exemple ! Je terminerai donc en regrettant, monsieur le rapporteur, que cette proposition de résolution, qui est notre loi interne, soit, pour reprendre une idée de Duguit, si éloignée de la justice !