Comment prétendre que le droit d'expression de chaque membre du Parlement, dont le Conseil constitutionnel a rappelé l'importance le 9 avril dernier, est maintenu, s'il n'est prévu que deux minutes pour exposer un point de vue un tant soit peu argumenté, qu'il s'agisse d'une opinion divergente ou de celle d'un député non inscrit ? Tant qu'on y est, pourquoi ne pas descendre à quelques secondes et ne pas considérer qu'un borborygme ou une exclamation peut valoir expression personnelle ?
Si le droit d'amendement en commission et le droit d'expression ne sont pas garantis par les dispositions prévues dans notre règlement, alors qu'il s'agit de droits constitutionnels, il nous faut donc en revenir à l'idée – au demeurant de bon sens – de l'exercice du droit d'amendement en séance publique. Compte tenu de la rédaction proposée pour le futur règlement, du cadrage et de la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril dernier, il nous faut donc interroger de nouveau la constitutionnalité du dispositif du « temps législatif limité » qui, en vérité, remet en cause l'exercice du droit constitutionnel d'amendement en séance.
En effet, l'article 44, alinéa 1, de la Constitution proclame que « ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». La Constitution est claire : il n'appartient pas au règlement de notre assemblée de restreindre davantage le droit d'amendement en séance, au-delà du cadre fixé par la loi organique. Or, l'article 17 de la loi organique dispose que « les règlements peuvent déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion ».
Il faut donc nous arrêter sur ce que nous entendons par « discussion », car « sans discussion » ne veut pas dire « sans présentation » du contenu par son auteur. Selon le Larousse, une discussion est un « échange de propos, débat au cours duquel deux ou plusieurs personnes examinent une question » ; on peut aussi se référer au second sens de « discussion », qui est « l'action de faire l'examen critique de quelque chose ». Dans tous les cas, la « discussion » d'un amendement implique bien la prise de parole d'un second orateur, en plus de l'auteur de l'amendement qui en fait une simple « présentation ».
Or la nouvelle rédaction de l'article 55 du règlement tend à empêcher un député appartenant à un groupe dont le temps de parole est épuisé de faire une présentation orale de son amendement avant que celui-ci soit mis aux voix. Nous pouvons donc en conclure que si, dans le considérant 40 de sa décision du 9 avril 2009, le Conseil constitutionnel a relevé que le constituant avait prévu que les amendements ne puissent pas être discutés lors de la séance publique, il n'a aucunement validé comme entrant dans le cadre constitutionnel et organique le fait que le règlement de notre assemblée empêche l'auteur d'un amendement d'en faire une simple présentation orale, non suivie d'une discussion, avant sa mise aux voix.
Le président et rapporteur de la commission des lois reconnaît lui-même, sans l'avouer explicitement, la faille de son dispositif, puisque son rapport cite, page 128, le secrétaire d'État aux relations avec le Parlement lors de l'examen de la loi organique au Sénat : « L'article 13 n'entend nullement porter atteinte au temps dont disposent les parlementaires pour présenter leurs amendements. » Mais le rapporteur a un point de vue contraire sur le sens de la loi organique et considère qu'il serait « contraire à la logique » de la loi de « permettre aux auteurs d'amendements qui ont épuisé leur temps de parole de présenter eux-mêmes leurs amendements ».
Le président de la commission estime que l'exposé des motifs qui doit accompagner tout amendement est « une forme de présentation suffisante de l'amendement ». Voilà qui serait une nouveauté dans nos usages, mais qui nécessiterait que l'exposé des motifs des amendements soit reproduit tel quel au Journal officiel, s'il a valeur de présentation de l'amendement ; et pour ce faire, il devrait – au minimum – être lu dans l'hémicycle. Mais le nouveau règlement ne prévoit pas de telles dispositions.
De même, le président de la commission se targue dans son rapport de rétablir l'ancienne rédaction de l'article 55 du règlement, conçue dans le cadre du temps limité qui s'appliquait avant 1969 et toilettée depuis 1994. Mais même dans le cadre du temps limité d'avant 1969, il y avait « présentation » de l'amendement avant le vote. En effet, l'ancienne rédaction – que je ne soutiens pas sur le fond, cela s'entend – prévoyait néanmoins que l'amendement devait être « lu » et pas uniquement « appelé » par le président de séance. Là encore, nous voyons que l'actuelle modification du règlement ne prévoit pas les conditions de présentation d'un amendement qui serait mis aux voix sans discussion et ne respecte pas en cela le cadre fixé par la loi organique.
Parce que la rédaction proposée pour le règlement ne tient pas compte du texte de la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 2009 qui, si elle valide la loi organique du 15 avril 2009 relative à l'application de l'article 44 de la Constitution, ne vaut pas blanc-seing donné à la majorité UMP pour réécrire à sa guise le règlement de l'Assemblée nationale ; parce qu'elle ne garantit pas l'exercice inconditionnel du droit d'amendement en commission, en ne prévoyant pas expressément la non-concomitance absolue avec la séance publique et entre elles des réunions des huit commissions permanentes ou d'éventuelles commissions spéciales saisies au fond, y compris en cas d'engagement de la procédure simplifiée ; parce que, dans le même temps, la nouvelle procédure du « temps législatif limité » ne garantit pas l'exercice du droit individuel d'amendement en séance dans le cadre de la loi organique, dans la mesure où elle introduit une limitation allant au-delà dudit « cadre de la loi organique », contrairement à l'article 44, alinéa 1, de la Constitution ; il y a tout lieu de considérer la présente proposition de modification du règlement de l'Assemblée nationale comme non conforme à l'article 44 de la Constitution et au cadre déterminé par la loi organique.
Et parce que, sur le fond, la rédaction du règlement qui nous est proposée vise, premièrement, à réduire la prise de parole des députés du groupe d'opposition minoritaire de la Gauche démocrate et républicaine dont je suis membre et qui réunit des députés du parti communiste, du parti des Verts, du parti de gauche, des partis ultramarins et des républicains apparentés ; deuxièmement, à limiter drastiquement le temps de parole des députés du groupe le plus nombreux de l'opposition, à savoir le groupe SRC, réunissant des députés du parti socialiste, du parti radical de gauche et des députés citoyens apparentés ; troisièmement, à empêcher la prise de parole et l'exercice du droit d'amendement des députés du groupe minoritaire de la majorité, le Nouveau Centre ; quatrièmement, à empêcher la prise de parole et l'exercice du droit individuel d'amendement – droit constitutionnel – de l'ensemble des députés et au premier chef de ceux n'appartenant à aucun groupe, parmi lesquels les députés du Mouvement démocrate et du parti « Debout la République » ; cinquièmement, et alors que cette rédaction fait la part belle aux prises de parole du groupe UMP qui relaie les mots d'ordre de l'Élysée et qui bénéficie des temps non décomptés exercés ès qualités, à priver de parole les voix dissidentes qui cherchent à émerger au sein du groupe UMP en fonction des enjeux, privant un député de la faculté d'intervenir en son âme et conscience, sans mandat impératif.
Sur tous nos bancs, le respect de la diversité politique, le principe de libre délibération sans mandat impératif et le droit d'expression de la représentation nationale sont menacés, comme l'est notre capacité future à exercer nos mandats de parlementaires, dans les matières législatives. N'en déplaise à nos collègues de l'UMP, nous avons tous été élus en remportant l'élection législative dans notre circonscription au suffrage universel direct ; ce qui rend la représentation nationale, composée de l'ensemble de ses membres, tout aussi légitime que le Président de la République.
Et rappelons que « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » sont proclamées à l'article 4 de notre Constitution. Je vous demande donc solennellement, au nom des députés de la Gauche démocrate et républicaine, de voter cette exception d'irrecevabilité sur la proposition de modification de notre règlement, dont l'inconstitutionnalité est démontrée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)