Déposé le 27 septembre 2010 par : M. Letchimy, M. Manscour, Mme Taubira, Mme Berthelot, Mme Jeanny Marc.
Rédiger ainsi cet article :
« Les articles 21-24, 21-24-1 et 21-25 du code civil sont abrogés. ».
De manière subséquente à l'article 21-24 du code civil, les articles visés par l'amendement font référence à la notion d'assimilation qui, telle qu'elle est mobilisée ici, est devenue obsolète et n'a plus lieu d'être. Celle-ci est héritée notamment de la période coloniale, lorsqu'il était nécessaire de maintenir une frontière la plus étanche possible entre les français métropolitains, citoyens de plein droit et les ressortissants « indigènes » des colonies, « sujets » de la République française, longtemps soumis à ce titre, au code de l'indigénat adopté en 1881. Dans un contexte alors marqué par la prégnance du darwinisme impérial selon lequel les cultures extra-européenne étaient vouées à disparaître, la référence à l'assimilation permettait de s'assurer que tout « indigène » réclamant la nationalité avait bien rompu avec tout ce qui était susceptible de rappeler son appartenance à la société colonisée. Bien que la « République coloniale » faisait alors profession d'universalisme, la condition d'assimilation permettait dans les faits de maintenir le nombre de naturalisation à un niveau extrêmement faible, transformant par ailleurs toute demande de naturalisation en un parcours semé d'embûches de tous ordres. Elle permettait par conséquent de maintenir la croyance en l'étanchéité culturelle qui caractérisait les frontières entre la société métropolitaine et celles des colonisés, que ce soit en métropole même ou dans les colonies.
Telle qu'elle est mobilisée ici, la notion d'assimilation fait ainsi référence à la perception d'une humanité divisée en groupes culturels hiérarchisés en dignité, fondamentalement étrangers les uns aux autres, appréhendés comme des entités statiques et homogènes. Elle s'oppose en conséquence d'une part au principe de l'unicité de l'humanité, d'autre part au fait que les identités personnelles et collectives doivent s'appréhender dans une vision moderne comme des ensembles complexes, mouvants, susceptible de s'interpénétrer. Autrement dit, il n'est nul besoin pour s'insérer pleinement dans la société française de faire acte de rupture avec sa société d'origine.
La référence à la connaissance de la langue française renvoie, en deuxième lieu, à une inversion du processus d'intégration dans la société. La maîtrise de cette langue est un produit de l'insertion dans la société française inscrit dans le temps, d'autant plus aisé que la situation des personnes concernées est stabilisée et sécurisée. Elle ne saurait être appréhendée comme une condition préalable à l'égalité des droits, sauf à refuser par principe que des non francophones puissent devenir français, de manière parfaitement contraire à ce que fut l'histoire de l'immigration et de l'intégration en France tout au long des XIXème et XXème siècle, et à considérer que l'absence de maîtrise de la langue française soit en elle-même génératrice de troubles sociaux et individuels, ce qui relèverait d'une forme parfaitement dépassée d'ethnocentrisme. Surtout, cette référence à la connaissance de la langue française comme préalable à la naturalisation et à l'intégration de la communauté des citoyens relève d'une vision tronquée de la réalité sociale dans laquelle la connaissance de la langue française reste très inégale selon les individus. Il n'est en conséquence pas possible de définir des standards sur la base desquels seraient attribués ou non des droits civils et politiques.
La référence à la connaissance des droits et devoirs du citoyens ne fait, en troisième lieu, que conduire à multiplier les leviers potentiels permettant de refuser l'attribution de la nationalité française aux étrangers résidant de manière régulière sur le territoire français, sans que l'on comprenne bien comment l'ensemble de ces droits et devoirs pourraient être listés et appris, ni comment une telle connaissance pourrait être vérifiée.
L'ensemble de ces conditions et dispositifs ne fait enfin que multiplier les risques d'une appréciation purement subjective de la situation individuelle et des pratiques sociales des demandeurs, par les agents administratifs chargés d'administrer les dossiers de naturalisation. Cette situation, attestée par plusieurs recherches scientifiques, remet gravement en cause le principe de l'égalité de traitement des personnes ayant demandé leur naturalisation tout en conférant aux agents administratifs chargés de les administrer un pouvoir d'appréciation proprement politique (telle ou telle pratique ou croyance est-elle légitime en France ?) dont ils ne devraient pas avoir à connaître.
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