Déposé le 30 novembre 2009 par : M. Tian, M. Luca.
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le 8° bis de l'article 706-73 est ainsi rétabli :
« 8° bis Délits d'escroquerie commis en bande organisée prévus par l'article 313-2 du code pénal ; ».
2° À l'article 706-1-3, les mots : « 313-2 (dernier alinéa) » sont supprimés.
3° La première phrase du premier alinéa de l'article 706-96 est complétée par les mots : « , ou de données numériques ou informatiques dont les supports se trouvent dans un lieu privé. ».
Cet amendement vise à rendre à nouveau applicables à l'escroquerie organisée l'ensemble des procédures et moyens d'investigations applicables à la criminalité et à la délinquance organisées, dont la possibilité d'une garde à vue prolongée et les perquisitions nocturnes.
La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a fait entrer, sur un amendement voté à l'unanimité des groupes politiques et avec avis favorable du Gouvernement suite au Rapport n° 3529 de l'Assemblée Nationale sur les moyens de contrôle des organismes sociaux, l'escroquerie commise en bande organisée dans le champ de la délinquance organisée, pour laquelle la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité avait prévu des mesures d'investigation particulières, adaptées à la gravité et à la complexité des crimes et délits qu'elle énumère à son article 1er. (Article 706-73 du code de procédure pénale).
Cependant, la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption a abrogé cette mesure et a créé l'article 706-1-3 du code de procédure pénale qui reprend le délit d'escroquerie en bande organisée parmi ceux qui justifient des procédures particulières mais restreint les moyens d'investigation. Ces procédures sont en effet les mêmes que celles autorisées par l'article 706-73, à l'exception notable de la garde à vue étendue jusqu'à quatre jours et des perquisitions de nuit.
Il est proposé de revenir sur cette dernière modification législative pour rétablir le texte de mars 2007. Il s'agit d'une rédaction de l'article 706-73 du code de procédure pénale qui redonne à la Justice et aux services d'enquête toutes les armes nécessaires en matière de grandes escroqueries commises en bandes organisées. On ne comprendrait en effet pas pourquoi, pour des infractions particulièrement graves et difficiles à prouver, impliquant souvent de nombreux co-auteurs et complices, les enquêteurs qui pouvaient jusqu'à novembre 2007 utiliser la plénitude des moyens mis à disposition par la loi, seraient contraints de revenir au même régime de garde à vue et de perquisitions que pour un simple vol à la roulotte.
En effet, l'intégration de ce délit, qui comprend notamment les fraudes à la TVA et les fraudes sociales qui coûtent chaque année des milliards d'euros à la collectivité, dans le champ de l'article 706-73 du code de procédure pénale donnerait aux services de police et de douane des moyens réellement efficaces pour lutter contre ces délits particulièrement complexes.
Pour la recherche de telles infractions, qui couvrent tant la fraude à la TVA que les fraudes sociales de grande ampleur, notamment les réseaux distribuant les « kits Assedic », la prolongation de la garde à vue est une mesure indispensable pour permettre le démantèlement des organisations en cause.
En effet, lorsque faisant suite notamment à une perquisition au cours de laquelle des quantités considérables de documents sont saisis (comptabilités, dont des comptabilités informatiques, factures, documents commerciaux, statuts), il est nécessaire pour les officiers de police ou de douane judiciaire de procéder à leur exploitation dans de brefs délais qui, pour une efficacité optimale, doit être réalisée au cours de la garde à vue. Ces preuves sont plus utilement et efficacement opposées au mis en cause lorsqu'elles sont présentées rapidement pour explication, c'est-à-dire lors de la garde à vue. Ces escroqueries sont réalisées à travers des mécanismes complexes et opaques pour lesquels la dimension internationale constitue souvent un élément supplémentaire de difficulté, se traduisant par exemple par la nécessité de recourir à un interprète.
Dans les réseaux constitués de nombreuses personnes, l'existence d'un délai possible de garde à vue de 96 heures permet également d'interpeller un maximum de mis en cause sans possibilité pour leurs complices, arrêtés en premier, de les prévenir dès leur sortie de garde à vue si celle-ci intervient au bout de 48 heures dans le cadre juridique actuel. C'est une condition de l'efficacité des investigations.
Il s'agit par ailleurs d'une demande générale des services concernés.
La référence à l'escroquerie en bande organisée dans l'article 706-73 permet également, aux termes du 14° de ce même article, la mise enoeuvre de la procédure applicable à la criminalité organisée pour le blanchiment du produit de cette infraction. On sait la difficulté pour les services d'enquête d'apporter la preuve du blanchiment. Il est donc nécessaire de prévoir des procédures particulières pour assurer l'efficacité de la lutte contre le blanchiment, lorsque les sommes en cause proviennent de fraude organisée à la TVA ou aux organismes sociaux.
En outre, la référence au blanchiment constitue un élément essentiel d'efficacité de la coopération internationale, laquelle demeure trop souvent inactive lorsqu'il s'agit d'une simple escroquerie.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision 2004-492 DC, a retenu deux critères qui peuvent justifier, pour certaines infractions graves, le recours à des mesures d'investigation spéciales, telles que définies dans le nouvel article 706-73 du code de procédure pénale, créé par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 déférée :
- Le caractère grave de l'infraction recherchée : ainsi il note que les infractions recherchées et listées dans le nouvel article sont passibles des peines les plus lourdes : des infractions passibles de la réclusion criminelle à perpétuité (torture, trafic de stupéfiant, enlèvement, …) jusqu'aux infractions passibles de cinq à dix ans d'emprisonnement (aide au séjour irrégulier, blanchiment, association de malfaiteurs) ;
- La complexité et la difficulté de l'affaire : le Conseil constitutionnel relève que « la difficulté d'appréhender les auteurs des infractions mentionnées tient à l'existence d'un groupement ou d'un réseau dont l'identification, la connaissance et l'identification posent des problèmes complexes ».
Ces deux critères apparaissent résumés dans le considérant 6 ainsi rédigé : « si le législateur peut prévoir des mesures d'investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d'une gravité et d'une complexité particulières, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, c'est sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que les restrictions qu'elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n'introduisent pas de discriminations injustifiées. »
Lorsque ces deux critères sont réunis, sous le contrôle du juge, les Conseil considère que les mesures particulières que sont notamment la sonorisation des locaux privés, la garde à vue prolongée, les perquisitions de nuit et les interceptions « ne portent une atteinte excessive ni au secret de la vie privée, ni à aucun autre principe constitutionnel ». Il rappelle que « l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, ne saurait autoriser l'utilisation [des procédures spéciales] que dans la mesure nécessaire à la recherche des auteurs d'infractions particulièrement graves et complexes. »
La loi de 2004 ne prévoyait pas, dans la liste initiale de l'article 706-73, le délit d'escroquerie commis en bande organisée, défini par l'article 313-2 du code pénal. Le Conseil constitutionnel ne s'est donc pas prononcé explicitement sur la possibilité de faire figurer ce délit parmi ceux qui pourraient constitutionnellement figurer à cet article. Cependant le délit d'escroquerie en bande organisée prévu au dernier alinéa de l'article 313-2 répond aux deux critères retenus par le Conseil lors de sa décision de 2004, la gravité et la complexité ; il est en effet passible de dix ans d'emprisonnement (et 1 million € d'amende) et la difficulté d'enquêter sur de telles affaires ne peut être mise en doute, notamment lorsqu'il s'agit de fraudes transnationales à la TVA ; par ailleurs, le Conseil saisi de la question de l'intégration dans le champ de l'article 706-73 du crime de vol organisé, d'extorsion, de destruction et détérioration, d'aide au séjour d'un étranger en situation irrégulière, a considéré que « ces infractions sont susceptibles, pour la plupart, de porter une atteinte grave à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » (cf. cons. n°16) et que « les infractions retenues ont suffisamment graves et complexes pour que le législateur ait pu fixer des règles spéciales de procédures pénales » (cf. cons. n° 19) ;
De plus, lors de la loi du 5 mars 2007, qui a ajouté le 8°bis aux crimes et délits listés à l'article 706-73, le Conseil constitutionnel, saisi d'autres articles, n'a soulevé aucune objection (décision n° 2007-553) ; il n'a en revanche pas été saisi de la loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 qui a transféré le délit d'escroquerie en bande organisée dans un nouvel article du code de procédure pénale, l'article 706-1-3, qui prévoit lui-même des mesures d'investigation spéciales.
Il résulte donc des décisions successives du Conseil constitutionnel que rien ne permet de considérer comme inconstitutionnelle l'inclusion de l'escroquerie en bande organisée dans la liste des crimes et délits qui justifient des mesures particulières d'investigation, y compris celles de garde à vue prolongée et de perquisitions de nuit. Ces dernières mesures, très efficaces, ne semblent pas, à la lecture de la décision 2004-492 DC, être regardées par le juge constitutionnel comme plus intrusives que celles qui restent possibles pour l'escroquerie en bande organisée dans le cadre juridique actuel de l'article 706-1-3, et notamment l'infiltration d'agents enquêteurs dans l'organisation ou la sonorisation du domicile, des lieux de travail et des véhicules, avec intrusion sans l'assentiment ni l'information des personnes visées par l'enquête.
Il semble donc opportun et juridiquement fondé de réintégrer le délit d'escroquerie dans la liste de l'article 706-73 du code de procédure pénale au même titre que les infractions financières de blanchiment, dans un souci de lisibilité et de simplicité du code de procédure pénale, le régime spécial étant motivé par la circonstance particulière de bande organisée et non pas par le caractère purement financier de l'escroquerie qui n'apparaît pas toujours, notamment lorsque les escroqueries portent sur la remise de biens ou la tromperie sur les qualités des choses.
Il s'agit également de revenir sur un recul dans ce domaine, peut-être issu d'une erreur rédactionnelle au moment de l'élaboration du projet de loi de novembre 2007, tout comme une erreur s'était glissée, toujours au sujet de l'escroquerie en bande organisée, quant à la suppression de la possibilité de dissoudre les personnes morales déclarées coupables de cette infraction.
Il faut parallèlement supprimer ce délit de la liste de l'article 706-1-3 (sans abroger totalement cet article qui prévoit notamment les délits de corruption).
Par ailleurs, dans le cadre de l'amélioration de la procédure relative aux infractions les plus graves, afin de les prévenir, il convient de parfaire le dispositif de surveillance en matière de criminalité organisée en y intégrant, à côté des enregistrements sonores et vidéos les enregistrements informatiques et numériques. Ces moyens sont en effet de plus en plus utilisés par les délinquants et la procédure criminalité organisée doit prendre en compte cette évolution, ce qui était un oubli de 2004 que cet amendement vient combler.
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