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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 17 janvier 2008 à 15h00
Grenelle de l'insertion — Déclaration du gouvernement et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Lors du lancement du Grenelle de l'insertion, vous avez dit, monsieur le haut-commissaire : « Le Grenelle permettra d'organiser la discussion entre l'ensemble des acteurs qui contribuent à l'insertion pour améliorer la performance globale des politiques d'insertion. »

Que faut-il entendre par « performance globale des politiques d'insertion » ? S'agit-il de réduire le nombre d'allocataires assistés ou d'améliorer le niveau de vie des plus faibles ? D'améliorer l'accès aux soins ou de travailler sans contrainte ?

À une politique de clair-obscur, j'aurais préféré des objectifs simples comme l'augmentation des minima sociaux de 50 % sur cinq ans, qui est le préalable à une fusion des prestations. Il faudrait également une allocation d'autonomie pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, qui constituerait une première étape vers un revenu d'existence pour toutes et tous. Nous affichons notre volonté d'aller vers une société de pleine activité, où le travail salarié ne soit plus qu'une composante, parmi d'autres, d'un revenu lié à une activité d'utilité sociale.

J'ai trois remarques à vous faire, monsieur le haut-commissaire.

Premièrement : le Grenelle de l'insertion part du présupposé que seul l'emploi peut répondre aux problèmes sociaux, qu'il serait un préalable à la prise en compte des problèmes de santé, de logement, de mobilité, et que celui qui en serait privé ne pourrait prétendre à rien. Loin de moi l'idée qu'il faudrait négliger l'emploi. En tant que membre de l'Alliance Villes Emploi, je ferai d'ailleurs des propositions précises à ce sujet, mais, en tant que maire, je me dois de rappeler sans cesse l'aspect cumulatif des inégalités : pas d'argent, c'est peu d'éducation, peu de soins, le « mal-logement » et la « malbouffe » assurés.

La vraie question du Grenelle devrait donc être : comment assurer les droits fondamentaux à tous ceux qui vivent sur un même territoire ? Pour reprendre l'emprunt « copié-collé » du Président de la République à Edgar Morin, l'enjeu est de construire une politique de civilisation. Il faut en effet façonner une société où chacun puisse concilier à son gré son temps de travail et son temps de vie pour soi, accroître son autonomie, tout en ayant un revenu et des droits garantis.

Votre politique de flexibilité, de lutte contre les 35 heures ou d'application de franchises médicales va évidemment à l'encontre de cet objectif. Elle le contraire d'une politique de civilisation, à moins qu'il ne s'agisse d'imiter la civilisation américaine, en tout cas celle de M. Bush, qui a institutionnalisé la précarité.

Deuxième remarque : l'urgence est de lutter contre le basculement dans la pauvreté alors que se multiplient les travailleurs pauvres : ils sont déjà plus d'un million. De nombreux salariés restent pauvres et mal logés, car ils sont très peu payés ou travaillent à temps partiel, ou bien connaissent des alternances répétées de chômage et d'emploi. Face à une telle situation, les propositions du Gouvernement sont, pour certaines inappropriées, pour d'autres insuffisantes. Toutes renvoient à un traitement spécifique des difficultés qui, faute de mesures globales, maintiendra durablement de nombreuses personnes dans l'exclusion. Le Grenelle de l'insertion devrait commencer par définir le seuil en dessous duquel il n'est pas possible de vivre dignement.

Troisième remarque : la multiplication des Grenelle ne permet de discuter des politiques publiques transversales. Or ce sont les plus pauvres qui subissent à la fois la précarité sociale et la précarité environnementale. Ce sont eux qui vivent dans des logements mal isolés et roulent dans des voitures qui consomment beaucoup d'énergie. Ils subissent ainsi une sorte de « double peine ». Qui plus est, les avantages consentis le sont souvent sous forme de déductions d'impôt, impôt que les plus pauvres ne paient pas directement.

Ensuite, parler de l'insertion sans évoquer le développement du tiers secteur de l'économie sociale et solidaire est un non-sens. Tout le monde sait qu'il concerne des centaines de milliers d'emplois d'utilité sociale.

S'agissant du RSA, il ne doit pas devenir le cache-sexe d'une politique sociale se réduisant comme peau de chagrin. Les 35 millions d'euros qui lui ont été consacrés doivent être comparés aux 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux consentis aux plus riches. Ne pouvant plus utiliser cette manne distribuée aux nantis, vous allez ponctionner un peu plus les collectivités, principalement les communes et les départements. L'Assemblée des départements de France a raison de s'en inquiéter car ils devront assumer cette nouvelle charge au détriment des autres politiques sociales.

L'autre risque, c'est d'enfermer les bénéficiaires dans la spirale du travail précaire. En mai 2005, un rapport d'étude du Sénat avertissait déjà : « Le soutien très important apporté par le RSA dès les premières heures d'activité fait craindre des pressions à la baisse sur les salaires, et un renforcement du recours par les entreprises à des emplois à temps partiel. » L'auteur de ce rapport ? Mme Valérie Létard, l'actuelle secrétaire d'État à la solidarité ! Elle avait bien raison de souligner de telles insuffisances.

Pour limiter les effets pervers du RSA, il était prévu de l'expérimenter pendant trois ans. Mais sa généralisation fin 2008 ne permettra pas son évaluation. Déjà appliqué dans plus de quarante départements, le RSA sera généralisé sans que l'on ait pris le temps d'en mesurer les effets. C'est donc le contraire de l'expérimentation sociale dont vous étiez jusqu'ici le défenseur attitré, monsieur le haut-commissaire. Malheureusement, vous êtes passé à la culture du résultat, c'est-à-dire du « court-termisme ».

Enfin, comme l'Alliance Villes Emploi le préconise, je souhaiterais que le Gouvernement s'appuie sur les outils qui ont fait leurs preuves dans la lutte contre l'exclusion. Les plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi, les PLIE, plates-formes territoriales de coordination des politiques d'inclusion, ont atteint leur objectif : le retour à l'emploi des publics qui en sont le plus éloignés. Voici quelques chiffres nationaux qui le prouvent : sur 303 968 personnes concernées entre 2000 et 2006, on compte 105 285 sorties positives, soit par CDI, soit par des CDD de plus de six mois, soit encore par une formation qualifiante. Avec un taux de réussite de 46 %, les PLIE ont démontré leur efficacité en tant qu'outil local de la politique d'inclusion active.

Pour la mise en oeuvre du RSA en partenariat avec les départements, je ferai trois propositions.

Premièrement, l'État doit inciter les départements à s'appuyer sur les PLIE. C'est pourquoi je demande leur cofinancement par l'État en l'assortissant de contrats d'objectifs : articulation des PLIE et des maisons de l'emploi, indicateurs mesurant le retour à l'emploi, l'ingénierie de projets, ou encore la concrétisation du partenariat. Les PLIE sont le seul dispositif de retour à l'emploi des publics éloignés du marché du travail qui ne bénéficient pas d'un tel cofinancement.

Deuxièmement, dans le cadre du plan d'inclusion active, le rôle de coordination des politiques d'insertion par les PLIE doit être déterminant.

Enfin, il faut, comme nous l'avons fait à Bègles, prévoir des clauses d'insertion pour tous les marchés publics. Afin d'assurer une meilleure cohérence et coordination des dispositifs d'insertion, un niveau de collectivité devrait être désigné chef de file de la gouvernance. La loi de décentralisation du RMI de décembre 2003 en a confié la mise en oeuvre aux conseils généraux, mais il serait préférable que la gouvernance : coordination des dispositifs, des parcours, de la formation, du retour à l'emploi, soit confiée à l'échelon de proximité que sont les intercommunalités, c'est-à-dire aux EPCI, qui s'appuieraient sur les PLIE et les maisons de l'emploi.

Monsieur le haut-commissaire, vous avez choisi un chemin difficile en apportant votre caution à une politique de rupture libérale, en contradiction avec vos valeurs. Vous estimez que vous pourrez construire une sorte d'îlot de bien-être pour les pauvres dans un océan de précarité. Libre à vous de faire un tel choix. Je vous souhaite bonne chance, vous en aurez besoin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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