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Intervention de directeur général de l'AFSSAPS

Réunion du 15 février 2012 à 10h00
Commission des affaires sociales

directeur général de l'AFSSAPS :

S'agissant des prothèses PIP, le directeur général de la santé et moi-même avons remis le 1er février au ministre chargé de la santé un rapport comportant une analyse chronologique des faits de 1996 à 2012. Nous avons souhaité faire preuve d'une transparence totale sur des faits objectifs. Cette nouvelle règle de travail marque un changement majeur. Pour des fabricants ayant des comportements de gredins, et qui savent comment dissimuler leurs fraudes, on ne peut se contenter de certifications accordées par des sociétés d'audit extérieures. Il faut faire preuve en ce domaine de la même vigilance et de la même rigueur que pour les médicaments eux-mêmes, et prévoir aussi des sanctions en cas de manquements, car il en est toujours qui essaient de profiter des failles du système. Bien que cela n'ait pas été le cas pour PIP, beaucoup de ces sociétés, créées ici un jour, disparaissent soudain avant de renaître ailleurs – 800 médicaments distribués en France seraient concernés. Nous devons inspecter ces sociétés, les contrôler et les faire fermer sans délai si nécessaire.

L'Agence nationale de la sécurité du médicament contribue bien entendu à la lutte contre les médicaments contrefaits ou frelatés, distribués hors des circuits traditionnels, notamment sur internet. Nous travaillons en ce domaine en collaboration avec l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP). Des contrôles effectués dans nos laboratoires sur des lots saisis à partir de commandes passées sur la Toile ont révélé que certains de ces médicaments contenaient des substances extrêmement dangereuses. Notre action en ce domaine, menée conjointement avec les services spécialisés de la police, doit se renforcer. Contrôler de façon planifiée des fabricants malhonnêtes ou solliciter d'eux la transmission de données d'assurance qualité ne sert à rien, car tricher est leur art. Il faut travailler en synergie avec tous les acteurs et ne se priver d'aucun moyen, comme cela a été le cas pour PIP, où c'est sur dénonciation que l'un de nos inspecteurs a pu découvrir une fraude d'une ampleur considérable.

Notre vigilance ne doit jamais se relâcher. Nous contrôlons aujourd'hui tous les fabricants de prothèses, de façon inopinée et en prélevant nous-mêmes les échantillons de matériau qui seront analysés. Qu'un premier contrôle n'ait révélé aucune anomalie ne suffit pas. Il faut en refaire régulièrement, d'autant qu'à l'heure de la mondialisation, les sociétés sont très mouvantes. Il n'est pas impossible que des prothèses commercialisées aux États-Unis, ayant reçu l'aval de l'agence américaine et présentant toutes les garanties nécessaires, le soient ultérieurement sur le marché européen sous la même marque, sans être du tout composées du même matériau, ayant été fabriquées à l'Île Maurice par exemple avant d'être importées en Europe. La mondialisation exigerait que toutes les agences de sécurité sanitaire du monde coordonnent leur action. Il faut à tout le moins coopérer au niveau européen. La libre circulation des marchandises impose que tous les États membres effectuent des contrôles et en assument la responsabilité de façon coordonnée.

Un dispositif médical implantable n'est pas un produit banal. S'il est de mauvaise qualité, les conséquences peuvent en être dramatiques pour les patients. Il faut de plus en assurer le suivi tout au long de sa vie, car le dispositif lui aussi vieillit. Les incidents n'arrivent bien souvent qu'après des années, d'où la nécessité d'imposer aux firmes ce suivi, en sus de celui assuré par l'agence.

Une refonte de notre dispositif de vigilance sanitaire s'impose. Elle prendra du temps. Nous y travaillons. N'attendons pas une troisième catastrophe sanitaire, après celle du Mediator et des prothèses PIP, pour constater ses carences.

La procédure actuelle de notification des événements indésirables est trop compliquée. Les médecins ne savent pas bien ce qu'ils doivent déclarer et à qui. Ils ont du mal à distinguer ce qui relève de la matério-vigilance, de la pharmacovigilance, de la biovigilance, de l'hémovigilance… Les professionnels doivent pouvoir déclarer de manière simple un effet secondaire qu'ils ont observé, sans qu'il leur appartienne de l'imputer à telle ou telle cause ni de l'inscrire à telle ou telle case d'un formulaire. Peut-on reprocher aux chirurgiens d'avoir sous-notifié les ruptures de prothèses PIP quand il n'est obligatoire de déclarer que les effets indésirables létaux – il n'y en a pas eu, fort heureusement – et les « événements graves inattendus » ? Il n'est pas « inattendu » qu'une prothèse rompe. La complexité des formulaires est dissuasive. Dans le même temps, nous ne regardons que ce qui y a été noté. Nous surveillons en quelque sorte le marché : c'est si nous constatons plus d'ennuis avec une marque de prothèse donnée que nous organisons un contrôle plus approfondi. Que quinze chirurgiens déclarent un souci qu'ils ont pu rencontrer ne modifie pas les statistiques à l'échelle de cent mille, mais cela doit suffire à lancer des investigations complémentaires. D'où l'intérêt que tous les événements indésirables soient déclarés.

Il faut créer un portail où quiconque ayant constaté un événement indésirable pourra le déclarer de manière simple, étant entendu qu'il appartient ensuite à des spécialistes de le caractériser et de le traiter. Il n'est pas toujours facile de déterminer si tel événement survenu chez un porteur de pacemaker qui prend également des anti-arythmiques est imputable au premier ou aux seconds et relève de la matériovigilance ou de la pharmacovigilance. Le directeur général de la santé et moi-même allons faire des propositions afin que soit créé un portail, accessible à tous et aisément compréhensible.

Dans la nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament, la principale direction sera celle de la surveillance – laquelle ne se réduit pas aux différents types de vigilance. Elle mènera des investigations sur la base d'un faisceau d'indices concordants. La méthode doit être la même qu'il s'agisse d'un médicament, d'un dispositif médical ou d'un cosmétique.

S'il faut repenser l'organisation de notre dispositif, un changement de culture s'impose également. La vigilance doit s'exercer de manière proactive. Chacun sait qu'on consomme en France des quantités considérables de psychotropes, médicaments qui, s'ils sont indispensables à certains malades, présentent des dangers lorsqu'ils sont pris à long terme de manière pas toujours justifiée. Sans attendre qu'une nouvelle catastrophe soit avérée, nous avons élaboré un rapport sur le sujet qui dresse un état des lieux précis et ouvre des pistes de réflexion. Nous continuerons à être ainsi proactifs.

Il est important d'informer le corps médical des détournements d'usage dont certains produits font l'objet, ce qui peut nous amener à les retirer de la vente. Le bon usage du médicament passe par le respect de l'autorisation de mise sur le marché. Un anti-épileptique soigne l'épilepsie, il n'est pas destiné à faire maigrir, même si une prise au long cours peut diminuer l'appétit et, partant, faire perdre du poids. S'il est détourné de son indication, il y a un risque pour l'usager, sans aucun bénéfice en contrepartie. En outre, certains médicaments de cette classe sont si puissants que certains en usent pour se droguer, au risque d'une addiction, et d'autres même à des fins criminelles, par exemple pour commettre un viol. Lorsque des médicaments peuvent être aussi gravement détournés et qu'il existe une alternative thérapeutique, il est de notre devoir de les retirer du marché.

Les dispositifs médicaux, non plus que les médicaments, ne sont pas des gadgets inoffensifs : tous présentent des risques. L'agence doit faire oeuvre de pédagogie sur le sujet. Limiter les possibilités de détournement d'usage l'y aidera. Une autorisation de mise sur le marché doit être scrupuleusement respectée : elle a d'autant plus de chances de l'être qu'elle est claire, précise et actualisée. Si un médicament est contre-indiqué pendant l'allaitement, il est important que les femmes qui allaitent ne s'en voient pas prescrire, mais s'il se révèle au final qu'il ne présente pas de danger pour le bébé, il nous appartient de supprimer la contre-indication. Au service et à l'écoute des professionnels aussi, l'agence doit leur faciliter la tâche. Certes, un médecin peut prescrire en dehors de l'autorisation à bon escient pour un malade précis dans un cas précis. Mais lorsqu'une autorisation devient systématiquement détournée, c'est soit qu'elle n'a pas été adaptée comme il l'aurait fallu… soit que les médecins ne recherchent pas s'il existe un traitement alternatif.

Il importe de contrôler la publicité, parce que celle-ci vise à développer le marché d'un produit, pas à en garantir le bon usage. Aucune publicité pour un médicament ne devrait en occulter les risques. Nous n'avons pas rencontré de problèmes particuliers dans le contrôle a priori. La vraie difficulté, c'est de faire évoluer les mentalités et de convaincre les firmes que la loyauté exige qu'elles citent les risques au même titre que les bénéfices et qu'elles fassent état des seules indications de l'autorisation de mise sur le marché – ni plus ni moins. Il nous faut imposer ce code de bonne conduite. Les firmes qui, dans leur très grande majorité, travaillent aussi à l'échelle internationale, sont responsables et respectent les règles lorsqu'elles sont claires. Aux États-Unis par exemple, il n'existe pas de contrôle de la publicité, mais les sanctions sont si dissuasives que les laboratoires auto-régulent leurs pratiques. Nous n'avons donc pas d'inquiétudes en matière de contrôle de la publicité.

L'agence est chargée de veiller d'abord à la sécurité – safety first, dirais-je. Un médicament, même bon marché, peut être dangereux. Elle évalue les médicaments sous l'angle de leur sécurité et de leur rapport bénéficesrisques avant de leur accorder une autorisation de mise sur le marché. La Haute Autorité de santé évalue, elle, le service médical rendu (SMR) ainsi que l'amélioration de ce service (AMSR), desquels dépendra le taux de remboursement du médicament. C'est le Comité économique des produits de santé (CEPS) qui, sur la base de ces travaux, en détermine le prix. Si le rapport bénéficesrisques est régulièrement réévalué, la tâche de la Haute Autorité et du comité en sera facilitée puisqu'ils pourront travailler sur la base de données objectives et actualisées.

J'en viens aux génériques. L'une de leurs raisons d'être est qu'ils sont moins chers que les princeps. Les génériqueurs déposent parfois leurs demandes d'autorisation de mise sur le marché des mois avant l'expiration du brevet du produit princeps et souhaiteraient que nous examinions leur dossier, voire contrôlions leur publicité, avant même qu'ils n'aient débuté leur production. Il faut être raisonnable et ne pas brûler les étapes. Pour le reste, nous veillons à l'équité dans la délivrance de ces autorisations, de façon à éviter toute distorsion de concurrence entre marques.

Le véritable problème avec les génériques est la perte de confiance dont ils font aujourd'hui l'objet. Le seul moyen d'endiguer le phénomène est de garantir que leur sécurité est identique à celle des princeps. Elle est même supérieure dans certains cas, un nouveau produit étant souvent mieux étudié et fabriqué dans de meilleures conditions. Lorsqu'il existe des doutes, il faut s'attacher à les lever. Nous nous y efforçons à l'échelle européenne. Certains génériques injectables, qu'on n'évalue pas au motif qu'il n'y a pas d'autre différence avec le princeps que la forme d'administration, alors qu'ils sont fabriqués avec des techniques de fermentation de levures les rapprochant de produits de biotechnologies, sont davantage des produits biosimilaires que des génériques stricto sensu. Nous essayons de faire évoluer la réglementation européenne à ce niveau, notamment pour les antibiotiques, médicaments particulièrement précieux.

Pour le reste, il est vrai qu'il peut être déroutant pour les médecins, les pharmaciens et les patients, là où n'existait auparavant qu'un ou deux produits, d'en avoir du jour au lendemain à disposition des dizaines, d'autant que chaque fabricant tente parfois de manière agressive d'imposer le sien – ils se livrent une concurrence féroce. Une certaine pédagogie est nécessaire de façon que prescripteurs et distributeurs ne soient pas noyés.

S'il faut se féliciter que le prix des médicaments puisse diminuer, il n'en faut pas moins prendre garde. Quand le prix de certains d'entre eux devient dérisoire, les laboratoires en abandonnent la fabrication et des sous-traitants, parfois peu scrupuleux, s'en arrogent alors le monopole et les font fabriquer dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes. Pourquoi s'il est meilleur que le princeps, un générique injectable ne pourrait-il pas coûter aussi cher, voire plus cher ? Il faut des mécanismes incitatifs pour que continuent d'être produits selon de bonnes pratiques certains médicaments indispensables, bien que peu rentables. Cette préoccupation est mondiale. Est-il acceptable que le prix de certains traitements des leucémies de l'enfant soit tombé si bas que plus aucun laboratoire ne veut les fabriquer ? Le prix d'un médicament doit être fixé aussi en fonction de son intérêt pour la santé publique.

La médecine évolue vers des traitements personnalisés. Pour développer un médicament utilisable sans danger chez le petit enfant ou la femme enceinte pour une affection courante, un laboratoire doit consentir des investissements considérables, tant en recherche que sur le plan industriel. On ne peut pas exiger de lui ensuite qu'il le vende beaucoup moins cher qu'un autre qu'il aurait développé en-dehors de ces indications. Les situations orphelines, si je puis les qualifier ainsi, appellent la même attention et les mêmes exigences que les maladies orphelines. Or, loin d'être incitatifs, les mécanismes actuels auraient même l'effet inverse.

S'il existe un soupçon de toxicité d'un produit pour les femmes enceintes, nous devons le faire savoir, de façon à empêcher qu'elles puissent y être exposées. Toute situation n'exige pas de recourir à un médicament. Une révolution culturelle est nécessaire, chez les patients d'abord, avides de médicaments, mais aussi chez les médecins, rarement réticents à en prescrire. Il faut valoriser d'autres stratégies thérapeutiques que médicamenteuses car les risques ne pourront jamais être tous écartés.

Les médicaments ne sont pas une marchandise comme une autre. Certaines classes sont même très dangereuses. Les prescripteurs doivent aider les patients à prendre conscience qu'un médicament n'est jamais prescrit à bon escient que pour une personne donnée à un moment donné et pour une durée limitée ! La durée des traitements est une préoccupation majeure. Par souci de simplification ou pour éviter des consultations répétées, l'assurance maladie a fait la promotion des conditionnements pour trois mois. C'est beaucoup pour certains médicaments ! L'agence souhaite inciter à une nouvelle approche, plus frugale.

Elle ne recommandera jamais l'usage d'un médicament hors autorisation, sauf dans le cadre d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU), que la récente loi a d'ailleurs mieux encadrée. Si le bénéfice est avéré, il n'y a aucune raison que l'autorisation ne soit pas étendue. Dans le cas contraire, il faut savoir s'arrêter. Il appartient à l'agence d'adapter ainsi ses décisions en fonction des observations au fil du temps, ce n'est pas le plus facile.

Comment remobiliser les personnels de l'agence après la réorganisation ? Des changements étaient indispensables. Il y a des responsables, j'espère qu'ils ne sont pas coupables, la justice se prononcera. Nous avons supprimé les anciennes directions. Ceux qui étaient à leur tête sont partis, non qu'ils aient failli, mais parce que cette organisation en directions, indépendantes les unes des autres et qui ne collaboraient pas, était dangereuse.

Je tiens à féliciter et à remercier l'ensemble des personnels qui, en dépit d'une certaine perte de repères, inévitable entre une ancienne structure en train de disparaître et une nouvelle n'étant pas encore en place, se sont pleinement mobilisés au service du changement et sont restés tout à leur tâche. Davantage d'analyses de rapport bénéficesrisques ont été effectuées en 2011 que pendant les cinq dernières années : c'est dire le travail accompli ! Au moment où on exige d'eux qu'ils modifient leurs méthodes de travail, il importe qu'ils se sentent soutenus par le nouvel encadrement.

Nous avions fait appel à des candidatures internes pour participer à des groupes de travail sur le changement. C'était une erreur – que j'assume – car se sont alors révélées des ambitions qui n'allaient pas de pair avec les compétences nécessaires et soulevaient des problèmes déontologiques. Cela a suscité un émoi que je comprends. Des règles ont été fixées. La première est déontologique. Si on fait appel à une personne ayant travaillé dans l'industrie, il faut s'assurer qu'elle a rompu tout lien. Il n'est pas faux, vous l'aviez fait remarquer, que beaucoup de personnes employées à l'agence ont un conjoint qui occupe de hautes responsabilités dans l'industrie pharmaceutique. Il faut à cet égard lever toute ambiguïté et j'assume pleinement mes responsabilités sur ce point. La deuxième règle est de s'assurer des compétences scientifiques des personnes dans le champ concerné. La troisième est de vérifier leur aptitude au management. L'ancien directeur du médicament avait sous sa responsabilité 480 personnes, alors qu'il était aussi deux semaines par mois à Londres…

Nous avons mis en place plusieurs équipes d'une cinquantaine de personnes, chargées de suivre un produit tout au long de sa vie, de l'octroi de son autorisation de mise sur le marché au contrôle de sa publicité. La tâche doit s'en trouver facilitée. Des gains de productivité sont possibles par ces simples changements, mais il faut aller plus loin en faisant travailler ensemble toutes les équipes à l'analyse aussi bien des bénéfices que des risques, car il faut veiller à une comparaison équilibrée entre les deux. Les équipes « produit » devront présenter à nos commissions des dossiers bien instruits et transparents sur le rapport bénéficesrisques. J'espère que la sortie des décrets d'application, qui permettront la mise en place effective de la nouvelle agence, sera l'occasion pour les personnels de se mobiliser encore davantage autour de ces nouvelles valeurs. Je n'ai aucun doute sur ce point, le travail ayant toujours été fait, même au pic de la crise. Toute réorganisation, par les changements qu'elle implique, mineurs ou plus importants, suscite des inquiétudes. Mais, cette réorganisation était indispensable. Comme vous l'aviez fait remarquer, la longévité à certains postes avait pu conduire à une moindre vigilance. C'est tout l'intérêt de changer de poste au sein de l'institution ou de s'ouvrir aux pratiques d'autres agences. Cette gestion des ressources humaines n'est pas la part la plus simple de la tâche du directeur général de l'agence, je l'avoue, mais elle en fait partie.

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