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Intervention de Dominique Maraninchi

Réunion du 15 février 2012 à 10h00
Commission des affaires sociales

Dominique Maraninchi, directeur général de l'AFSSAPS :

Ma culture et ma pratique de médecin m'ont habitué à effectuer des arbitrages entre bénéfices et risques. Même si l'agence est d'abord motivée par la sécurité, elle doit ménager l'intérêt des patients, tout en minimisant les risques et en maximisant les bénéfices. J'espère en faire l'agence du bénéfice en santé. Sans méconnaître la limite des actions que nous avons entreprises, je considère que le changement souhaité par le législateur est possible, et j'ai l'honneur de me porter candidat pour le mettre en oeuvre.

J'ai été nommé à la tête de l'AFSSAPS – sans votre vote mais avec votre approbation – pendant l'affaire du Mediator. Cette crise sanitaire a profondément remis en cause la sécurité du médicament et des produits de santé, tout comme la confiance dans l'État et dans l'expertise du corps médical. Au cours des Assises du médicament, les parties en présence ont pu s'exprimer, ce qui nous a permis de dresser un état des lieux et de formuler des propositions. Puis il a fallu décider de l'avenir de l'agence et, plus largement, du dispositif de sécurité des produits de santé. Enfin, vous avez voté, fin décembre, la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Pendant cette année, ma responsabilité a été de enclencher des actions pour rétablir la confiance en interne et de prendre des décisions légitimes afin de répondre aux attentes de la société.

La loi nous impose d'installer la transparence. L'AFSSAPS a été la première agence en Europe à diffuser l'enregistrement intégral et le compte rendu des débats des commissions d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Dès lors, toute la société a su qui y participait et comment ils se déroulaient. Si les industriels qui fabriquent les produits examinés en étaient exclus, les experts ont exprimé, au vu de tous, leurs avis et leurs réserves, ce qui a favorisé le retour de la confiance, tout en accélérant le processus de décision. Nous avons appliqué votre décision de supprimer tout conflit d'intérêts entre ceux qui fabriquent et ceux qui jugent les produits. Cette situation a déclenché une crise, puisque certains experts ont préféré démissionner, parfois de façon retentissante, mais, dès lors qu'ils ont choisi leur camp, la situation est devenue plus saine.

Après l'affaire du Mediator, nous nous sommes demandé si parmi les 5 000 médicaments commercialisés en France, quelques-uns n'étaient pas susceptibles de présenter des risques aussi graves. En matière de vigilance, il faut adopter une démarche proactive si l'on veut régler les problèmes en amont. Nous avons présenté à notre conseil d'administration et à la presse un programme transparent tendant à réviser l'équilibre entre les bénéfices et les risques des principales substances commercialisées en France. Un algorithme permet désormais de vérifier que les produits commercialisés depuis longtemps apportent toujours un bénéfice aux patients, et qu'ils ne comportent pas de risques qui n'avaient pas été détectés lors de leur mise sur le marché.

L'agence doit aussi corriger le texte régissant la bonne pratique du médicament, dont elle a la charge au niveau européen. La mission était difficile, puisque, renonçant à sa mission traditionnelle, qui était d'arbitrer une concurrence entre industriels, il lui a fallu réévaluer le rapport bénéficesrisques pour de très nombreux médicaments. Cette démarche originale l'a conduite à retirer cinq médicaments du marché en 2011, alors que, depuis sa création, en 1995, elle n'en avait retiré que quinze. En matière d'analyse des substances présentes dans les médicaments, elle a accompli en 2011 près du tiers du travail effectué depuis 1995. Pour mener à bien cette tâche considérable, l'agence, qui emploie un millier de personnes, a pu compter sur la mobilisation de chacun.

La démarche concerne également les médicaments récents. Après quelques années d'observation, une expertise publique menée en interne, avec la collaboration de la Caisse nationale d'assurance maladie et des médecins traitants, nous a permis de retirer du marché sans solliciter l'avis des industriels, des médicaments potentiellement innovants, dont les risques étaient supérieurs aux bénéfices. Dans un souci de transparence, nous avons invité des représentants de l'Association française des diabétiques à s'exprimer devant les experts, retransmis des enregistrements vidéo et présenté en séance une étude de notoriété internationale. Rendue de manière simple et transparente, notre décision a rencontré l'assentiment des professionnels de santé, sans que les malades ne se sentent pénalisés.

Il est légitime d'informer non seulement les patients, mais aussi ceux qui prescrivent et ceux qui distribuent les biens de santé. Avec les médecins, nous recourons à la technique du warning, utilisée aux États-Unis par la Food and Drug Administration (FDA). Nous vérifions aussi que, sitôt prévenus, ils changent de comportement. Ainsi, avant même que nous ne prononcions la suspension de l'Actos, nous avions adressé une lettre argumentée à tous les médecins, ce qui avait fait chuter sa consommation de 60 %.

Durant cette année houleuse, nous avons modifié la gestion de l'agence, car toute gestion est au service d'un projet, or le nôtre avait changé avant même le vote de la nouvelle loi. Dès lors que la feuille de route que j'avais reçue du Gouvernement m'imposait de garantir la sécurité des patients de manière transparente, il fallait mettre fin au cloisonnement de l'agence, dont les directions, indépendantes, ne collaboraient pas en vue de prendre des décisions de sécurité sanitaire. Je l'ai restructurée en fusionnant et en croisant les directions de métiers et de produits, afin d'assurer un continuum de vision et de décision sur tous les produits de santé. Commencé en juin 2011, ce travail, qui a bénéficié, lui aussi, d'une forte participation interne, aboutira courant 2012. Il faut nécessairement du temps pour restructurer le travail de quelque 1 000 personnes et susciter leur adhésion à de nouvelles méthodes et à un nouvel objectif.

L'agence pouvait craindre que certaines de ses décisions ne soient remises en cause par les tribunaux administratifs, mais elle a gagné de nombreux référés, qui ont validé ses choix, lui permettant de modifier en profondeur la distribution et le contrôle des produits de santé. Cette manière d'ajuster les bénéfices des produits à la sécurité du malade était nouvelle, du moins en France. Grâce à la loi que vous avez votée, notre pays est désormais à l'avant-garde de l'Union européenne, car on ne peut être transparent dans un État membre sans l'être aussi dans tous les autres. L'Agence européenne des médicaments (European Medicines Agency, EMA), qui est en train de se restructurer, réfléchit au moyen d'utiliser les déclarations d'intérêts établies à notre initiative. Au centre des débats et des arbitrages, nous avons placé la sécurité des patients telle qu'elle se mesure dans la vie réelle, et non par des études, qui, bien que scientifiques, ne portent que sur un nombre limité de personnes, et demeurent peu représentatives en termes de risques et de bénéfices.

L'AFSSAPS, qui a été exposée durant cette année, le restera sans doute, car une agence de sécurité doit vivre dans l'insécurité, en conservant un état d'esprit de veille, d'attention et de réactivité pour répondre aux requêtes.

L'affaire du Mediator est à présent dans les mains de la justice. Celle-ci a mené des investigations approfondies, notamment en ordonnant une perquisition dans nos locaux. Elle pourra donc déterminer les responsabilités de chacun.

Les deux grandes crises sanitaires que nous avons vécues se sont soldées de la même manière, puisque, grâce à l'AFSSAPS, qui est au service des patients, le Mediator et les prothèses PIP ont été retirés du marché – celles-ci ne l'ont pas été dans tous les pays. Mais son travail ne s'arrête pas là. L'agence assurera le suivi de ses décisions auprès des victimes, qu'elle accompagnera, dans les limites de ses capacités. L'affaire des prothèses PIP a ouvert une crise profonde. Il a fallu restructurer non seulement la direction de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques, mais toute notre organisation.

Nous ne pouvons être efficaces qu'en équilibrant l'enregistrement des produits et leur surveillance, et en articulant nos capacités et nos moyens d'inspection et de contrôle. Seule une synergie interne et pilotée, relayée par des responsables au niveau de la direction générale comme de chaque direction, permet une prise en compte globale. Dans le cas des prothèses PIP, il fallait d'abord repérer le danger, et nous avons peut-être été trop lents à le faire. Il fallait ensuite trouver les informations et, celles-ci obtenues, continuer les recherches. Quand un rapport d'inspection a été déposé, il faut examiner ses suites et vérifier que les anomalies observées ont été corrigées. Chaque fois que nos laboratoires pointent une distorsion, il faut enquêter pour aller plus loin. Enfin, on doit examiner la qualité de toutes les autres prothèses. En ce sens, la crise sanitaire aura modifié notre organisation et notre stratégie.

Dans le droit-fil de la loi, mon ambition est d'arbitrer le changement de manière effective, réaliste et dynamique. Loin de moi l'idée d'adopter je ne sais quelle intransigeance terroriste à l'égard du risque. Il faut seulement procéder à l'arbitrage entre bénéfices et risques en rendant à chaque acteur sa responsabilité et en assumant la nôtre. Une firme qui a reçu une autorisation de mise sur le marché et distribue un produit doit assumer toute sa responsabilité en matière de sécurité. Notre travail est non d'écouter son point de vue mais de l'interroger et d'obtenir des réponses. La loi nous permet de le faire, dans l'intérêt des patients. Il faut à présent appliquer la même démarche à tous les produits de santé.

Loin d'être isolée, notre pays doit jouer un rôle moteur en Europe. À partir d'un détail dont les conséquences sanitaires pouvaient être dramatiques, l'AFSSAPS a alerté, en France comme à l'étranger, les patientes et les professionnels qui, s'ils n'avaient pas attendu la décision de police sanitaire pour déclarer des effets indésirables, nous auraient fait gagner deux ans. Dans l'affaire des prothèses PIP, il y avait tromperie et dissimulation, preuve qu'il faut adopter une démarche d'investigation. En cas de doute sur une société qui délivre des produits de santé, on ne peut pas s'en tenir à ses déclarations lorsqu'elle assure avoir corrigé un problème. Il faut les vérifier. À présent, notre interpellation est devenue mondiale. Nous sommes fiers que la Commission européenne ait pris la mesure de sa responsabilité et de celle de chaque pays, pour garantir la sécurité des produits sanitaires. C'est sur cette base que je soumets ma candidature pour mettre en oeuvre le projet de loi que vous avez voté.

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