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Intervention de Michel Herbillon

Réunion du 15 février 2012 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Herbillon, rapporteur :

Après plusieurs mois de travaux, notre mission d'information sur les nouvelles voies du mécénat culturel présente aujourd'hui ses conclusions, adoptées à l'unanimité de ses membres, ce qui traduit l'esprit constructif qui a présidé à nos relations. Je remercie mes excellents collègues de leur contribution et de l'accueil bienveillant qu'ils ont bien voulu accorder aux propositions que je leur ai soumises. Je salue également la présence de nos éminents invités, qui ont nourri nos travaux de leur expérience, de leur témoignage et de leurs suggestions, et rappelle que nous avons auditionné soixante-six personnalités impliquées dans le domaine culturel et le mécénat.

Notre Commission des affaires culturelles et de l'éducation a décidé de créer cette mission il y a plusieurs mois, car nous avions alors été frappés par des informations apparemment contradictoires.

D'un côté, l'enquête de l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (ADMICAL) – association qui a tant oeuvré pour la promotion du mécénat –, faisant état d'une chute spectaculaire du mécénat culturel en 2010, avait suscité une forte émotion chez tous ceux qui savent l'importance pour la création et la diffusion culturelles du soutien des mécènes.

D'un autre côté, nous étions frappés par le succès d'opérations emblématiques, comme la restauration de la Galerie des Glaces à Versailles ou la souscription publique lancée pour l'acquisition au profit du musée du Louvre des Trois Grâces de Lucas Cranach, succès qui témoignaient du fait que l'intérêt des mécènes pour la culture ne se démentait pas.

C'est pourquoi la commission nous a confié, à mes collègues et à moi-même, la responsabilité d'un rapport qui dresserait un panorama du mécénat et nous éclairerait sur les modalités du soutien que la puissance publique lui accorde aujourd'hui ou pourrait opportunément lui accorder demain.

Notre rapport comporte trois parties : la première est consacrée à un état des lieux du mécénat culturel dans notre pays, la deuxième se penche sur la question de son éventuel déclin et la troisième comporte un certain nombre de propositions destinées à consolider le mécénat en France, qui reçoit d'ores et déjà un soutien public que chacun s'accorde à considérer comme exemplaire.

En guise d'introduction j'aimerais citer M. Michel Serres, selon lequel « malgré son nom glorieux, la puissance qu'on lui prête et son geste théâtral, la création ne peut pas survivre par soi-même. Elle meurt sans mécène et ne vit que de lui ».

En France, le mécénat a d'abord une définition fiscale : il s'agit du « soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une oeuvre ou à une personne pour l'exercice d'activités présentant un caractère d'intérêt général ». Cette définition repose donc sur trois piliers : don, absence de contreparties directes, intérêt général. Le mécénat se distingue donc du « parrainage » ou « sponsoring », qui consistent en « un soutien matériel apporté à une manifestation, une personne, à un produit ou à une organisation en vue d'en retirer un bénéfice direct ».

J'insiste sur la définition fiscale du mécénat, car elle me permet immédiatement de souligner que, contrairement à une idée reçue assez largement répandue, notre dispositif public de soutien au mécénat est tout à fait exemplaire et exceptionnel : en effet, depuis la loi du 1er août 2003, que nous appelons « loi Aillagon » tant par commodité que pour rendre hommage à son promoteur, le mécénat culturel bénéficie, au même titre d'ailleurs que les mécénats sportif, social ou environnemental, non d'une simple déduction des sommes versées de la base imposable, mais d'une réduction des sommes versées du montant de l'impôt dû. Cette réduction s'élève, pour les entreprises, à 60 % du montant du don, dans la limite de 0,5 % du chiffre d'affaires hors taxes et, pour les particuliers, à 66 % des sommes versées, retenues dans la limite annuelle de 20 % du revenu imposable. Petit à petit, la possibilité d'accorder aux donateurs des contreparties, à condition qu'elles présentent une disproportion marquée avec la valeur du don, a été admise.

À ce dispositif de « droit commun » s'ajoutent des mécanismes spécifiques dont vous trouverez le détail dans le rapport, le plus remarquable de ces mécanismes étant la « super réduction » d'impôt de 90 % des sommes versées par une entreprise pour l'achat d'un trésor national ou d'une oeuvre d'intérêt majeur.

Ces dispositions fiscales bénéficient au mécénat sous toutes ses formes : en effet, on pense immédiatement au mécénat en numéraire, mais on oublie que se développent d'autres formes de mécénat plus méconnues, à l'instar du mécénat en nature, sous forme de mise à disposition de locaux, de matériels ou de machines, ou du mécénat « de compétences », qui consiste, pour une entreprise, à mettre son savoir-faire à la disposition de son partenaire, soit pour une prestation de service, dans le cas d'un projet déterminé, soit pour une mise à disposition de ses salariés. La restauration par Eiffage des colonnes de Daneil Buren au Palais-Royal à Paris en constitue un bon exemple et le rapport en fournit d'autres. Ce mécénat de compétences est également une forme privilégiée par les petites entreprises, dont la trésorerie peut ne pas leur permettre d'effectuer un mécénat en numéraire. Il s'agit alors d'un premier pas qui peut les conduire à développer d'autres formes de mécénat.

Qui sont les mécènes ? Ce sont bien sûr, d'abord, des entreprises. D'après l'ADMICAL, 27 % des entreprises de plus de 20 salariés sont des mécènes. Ce sont plutôt de grandes entreprises, puisque 43 % des entreprises de plus de 200 salariés sont mécènes, contre 26 % des entreprises de 20 à 99 salariés. C'est encore plus vrai dans le domaine du mécénat culturel : 37 % des entreprises mécènes interviennent dans le champ culturel, mais cette proportion atteint 50 % lorsqu'on considère les entreprises de plus de 200 salariés. Il existe donc une marge de progression intéressante pour le mécénat culturel parmi les petites entreprises, nous y reviendrons.

L'entreprise désireuse de soutenir un projet culturel peut le faire en « régie directe », c'est-à-dire sans l'intermédiation d'un tiers, telle une fondation ou une association. On note à cet égard un recours accru à ces structures d'intermédiation : en neuf ans, le nombre de fondations a augmenté de 104 %, et le nombre de fondations d'entreprise, qui représentait 6 % des fondations en 2001, en représentait 15 % en 2010. Cela traduit une évolution du mécénat d'entreprise, que nous avons résumée dans le rapport par la formule : « C'est la fin de la danseuse du président. » L'époque où un chef d'entreprise « se toquait » d'un projet qui devenait une aventure personnelle est révolue : soumise à l'accord du conseil d'administration et à l'approbation du personnel, la démarche de mécénat participe d'une stratégie d'image, de fidélisation des salariés, de construction d'une identité, d'intégration dans l'environnement local, ce qui explique qu'elle soit de plus en plus formalisée.

Les fondations drainent également un important mécénat des particuliers, qui connaît un regain remarquable dont témoigne le succès des souscriptions lancées par la Fondation du patrimoine. Ce renouveau du mécénat populaire s'est également manifesté à l'occasion des opérations lancées par le château de Versailles, « Adoptez un arbre », à la suite de la dévastation du paysage arboré lors de la tempête de 1999, « Adoptez un banc » ou « Adoptez une statue ». Il manifeste un attachement fort à ce qui constitue à la fois une valeur refuge, c'est-à-dire le patrimoine, et une singularité française, c'est-à-dire son exception culturelle.

Du côté des bénéficiaires, trois traits marquants méritent d'être soulignés : les grandes institutions parisiennes « tirent leur épingle du jeu » plus facilement que les plus petites institutions, a fortiori lorsque celles-ci se situent en région. Si le musée du Louvre a reçu 26 millions d'euros en 2009 au titre du mécénat, les musées nationaux des Alpes-Maritimes reçoivent entre 60 et 80 000 euros par an. En outre, on prétend souvent que le spectacle vivant est le parent pauvre du mécénat culturel. Ce n'est pas tout à fait exact. Les difficultés concernent en réalité la création contemporaine, et le théâtre de l'Odéon ou le théâtre de Chaillot ont plus de mal à séduire que la Comédie française. En tout état de cause, dans un contexte budgétaire difficile, le mécénat présente un aspect crucial pour les institutions culturelles. Dans une course aux mécènes de plus en plus concurrentielle, la recherche de fonds se professionnalise et mobilise des équipes spécifiques, chargées d'établir une stratégie mais aussi de réfléchir, en lien avec le projet culturel et les priorités patrimoniales et de conservation, à des projets « clés en main » propres à séduire des mécènes potentiels.

J'en viens maintenant à une question qui était à l'origine de la création de notre mission : le mécénat culturel est-il en baisse ?

L'enquête de l'ADMICAL montre que la culture est désormais supplantée par le sport et passe du statut de deuxième à celui de troisième champ d'intervention privilégié des mécènes. La culture et le patrimoine mobiliseraient 380 millions d'euros, mais ce budget serait en forte baisse par rapport à 2008, où le mécénat dédié à la culture était estimé à 975 millions d'euros.

Malheureusement, il n'existe pas de recensement précis de la dépense fiscale associée au mécénat culturel ni d'évaluation officielle et complète de ce mécénat. Les chiffres dont nous disposons ne sont que ceux des opérateurs du ministère de la culture à l'exclusion de ceux des autres opérateurs culturels. Si ces chiffres indiquent une baisse du mécénat culturel, cette baisse n'est pas d'aussi grande ampleur que celle dont fait état l'enquête de l'ADMICAL.

Nous avons le sentiment qu'il convient sans doute de relativiser l'ampleur de cette désaffection. Le mécénat culturel souffre, comme les autres formes du mécénat, des effets de la crise économique que nous traversons.

En outre, il ressort de toutes les auditions que le mécénat culturel devient plus difficile à « assumer » pour les entreprises, dans un contexte de crise : la culture est perçue comme un luxe, auquel il serait presque indécent de se consacrer, d'où le développement relativement plus important du mécénat social ou environnemental.

Ce malaise peut, peut-être en partie, expliquer les résultats de l'enquête ADMICAL. Ces résultats reposent, en effet, sur une base déclarative. Les 749 entreprises sollicitées dans le cadre de l'enquête quantitative ont pu classer leurs opérations dans d'autres domaines que celui du mécénat culturel, notamment dans le domaine du mécénat social. Ce biais méthodologique traduit également une évolution importante du mécénat avec l'émergence d'un mécénat « croisé », qui associe à un mécénat culturel « traditionnel » en faveur du patrimoine ou de la création des actions de démocratisation culturelle destinées notamment à faciliter l'accès à la culture des publics qui en sont éloignés.

Cette impression est confortée par les chiffres de l'ADMICAL, qui montrent que 22 % des entreprises ont apporté leurs concours à la fois dans les domaines du sport et de la culture et 15 % dans les domaines de la culture et du social.

On peut regretter cette évolution au motif qu'il ne s'agirait plus de mécénat culturel « pur ». Ce n'est pas le cas de la mission, qui estime que la démocratisation de l'accès à la culture est un objectif à part entière et pleinement légitime de la politique culturelle.

On peut également relativiser la baisse du mécénat culturel au regard des sommes collectées par les grandes institutions : ainsi, en 2009, dans un contexte de baisse générale des sommes collectées au titre du mécénat par les opérateurs du ministère de la culture, certains grands musées ont enregistré une hausse de leur collecte, comme par exemple le musée du Louvre ou le musée d'Orsay.

Enfin, l'enquête d'ADMICAL ne retrace pas le mécénat des particuliers et le mécénat étranger, qui se développent.

J'en viens maintenant aux préconisations de notre mission : il ressort de nos auditions que notre système d'incitation fiscale fait l'objet d'une appréciation unanimement positive. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Les propositions de notre rapport visent donc à consolider ce dispositif, sans faire le « grand soir » du mécénat culturel.

Comment renforcer notre exemplarité et maintenir notre avance ? Nous avons identifié trois axes :

Le premier objectif est de mieux connaître et faire connaître le mécénat culturel.

Nous estimons que des travaux d'évaluation tant du mécénat culturel que de la dépense fiscale qui y est attachée doivent être conduits par le ministère de la culture et le ministère chargé du budget. Ils permettraient d'« objectiver » certaines tendances et d'affiner le pilotage de la politique de soutien au mécénat culturel.

En outre, il faut mieux faire connaître et valoriser le mécénat et les mécènes. Le ministère s'y essaie, avec son cercle des mécènes, mais nous avons pensé à une opération d'information et de pédagogie à l'égard de nos concitoyens qui pourrait prendre une forme plus large. Pourquoi ne pas imaginer une « nuit des mécènes » diffusée sur une chaîne du service public ?

Le deuxième objectif que nous avons identifié est celui d'une réaffirmation des valeurs du mécénat.

Dans un contexte de raréfaction des sources de financement public, la « course » aux mécènes peut contribuer à instaurer des rapports de force qui peuvent ne pas toujours tourner à l'avantage des bénéficiaires.

En effet, la reconnaissance de la possibilité d'accorder des contreparties a pu constituer un « déclic » dans la démarche de nombreux mécènes. Il convient d'être extrêmement attentif à l'ampleur et à la nature de ces contreparties, non seulement par souci de respecter les règles juridiques et fiscales encadrant le mécénat, mais aussi dans le but de ne pas dévoyer ses valeurs. Cette question s'est notamment posée avec l'apparition de demandes de « nommage » de la part des mécènes, en particulier au Louvre, mais d'autres exemples ont été rapportés à la mission. Ces dérives sont contraires aux valeurs du mécénat, lequel doit d'abord consister en un soutien désintéressé à une oeuvre ou à une institution afin de permettre à celle-ci de financer les priorités qu'elle a elle-même établies.

L'élaboration de chartes éthiques, pour laquelle le musée du Louvre, le musée du Quai Branly et l'ADMICAL font figure de pionniers, nous a paru très prometteuse. Nous proposons donc d'inciter à la conclusion de telles chartes par un bonus fiscal, qui pourrait être accordé dès lors que les libéralités sont consenties à des structures qui se sont dotées d'une charte éthique agréée par le ministère de la culture. Nous n'envisageons pas pour l'instant d'établir un « malus » pour ceux qui n'en seraient pas dotés, afin de ne pas pénaliser les plus petites structures. Nous souhaitons toutefois que le ministère de la culture conduise une réflexion sur l'élaboration d'une charte type, qui constituerait un socle minimal susceptible d'être enrichi au cas par cas et qui aurait vocation à être promue et diffusée par les directions régionales des affaires culturelles.

Nous proposons également de mieux encadrer le mécénat de compétences, reprenant en cela des préconisations de la Cour des comptes.

Enfin, le troisième groupe de propositions a pour but d'explorer les pistes de développement du mécénat culturel.

De façon non exhaustive, je vous présenterai rapidement quatre propositions.

Nous proposons tout d'abord d'accompagner l'embellie du mécénat des particuliers : afin d'améliorer la reconnaissance susceptible de leur être témoignée, nous suggérons d'augmenter le plafond des contreparties qui peuvent leur être offertes, de 60 à 200 euros.

Ensuite, les petites et moyennes entreprises constituent un important vivier de mécènes : nous proposons donc d'améliorer et de renforcer les structures d'accompagnement mises en place par le ministère, en partenariat avec les chambres de commerce et d'industrie, l'ordre des experts-comptables et les chambres des notaires, pour mieux informer les PME et également les aider à structurer leur démarche.

En outre, ouvrent droit à une réduction d'impôt de 60 % les versements effectués par les entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, dans la limite de 0,5 % du chiffre d'affaires. En raison du plafond unique appliqué au montant annuel des versements, cette disposition s'avère nettement plus favorable aux grandes entreprises réalisant un chiffre d'affaires élevé qu'aux petites et moyennes entreprises : une petite entreprise de services réalisant un chiffre d'affaires d'un million d'euros ne pourra bénéficier de la réduction d'impôt de 60 % que dans la limite d'un versement de 5 000 euros. Ce plafond impose également des limites aux contreparties susceptibles d'être offertes à ces mécènes.

L'inadaptation de ce plafond au cas des PME fait l'objet d'un constat absolument unanime. La mission propose de retenir l'option d'un relèvement à 1 % du plafond pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions d'euros, ce qui a le mérite de la simplicité et de la lisibilité. Cette préconisation pourrait faire l'objet d'une proposition de loi.

Notre dernière proposition vise à étendre la réduction d'impôt en faveur des trésors nationaux et des oeuvres d'intérêt majeur. Lors de son audition, M. Jean-Jacques Aillagon a insisté sur l'intérêt que revêtirait la mise en oeuvre de la proposition qu'il avait formulée dans son rapport au Conseil économique, social et environnemental, Une nouvelle dynamique pour les politiques de conservation du patrimoine monumental, d'une extension de cette réduction particulièrement incitative aux opérations de restauration du patrimoine. La mission fait sienne cette proposition novatrice, qui doit permettre d'orienter le mécénat vers un patrimoine dont l'état est préoccupant. Ce dispositif devrait, contrairement à celui en faveur des trésors nationaux, concerner également les particuliers.

Pour conclure cette rapide présentation, je souhaite rendre hommage aux nombreux mécènes qui manifestent, y compris dans la période difficile que nous traversons, leur attachement à l'exception culturelle française. Je forme le voeu que notre contribution permette à toutes leurs initiatives de continuer à prospérer.

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