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Intervention de Christian Descheemaeker

Réunion du 7 février 2012 à 17h45
Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-france

Christian Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes :

La Cour a rédigé le rapport de novembre 2010 sur les transports ferroviaires régionaux en Île-de-France à partir de trois sources : le contrôle organique de la RATP, dont le rapport, datant d'octobre 2009, a été adressé à la Commission des finances de l'Assemblée nationale ; le contrôle du Transilien, de juin 2010 ; et la synthèse d'un contrôle sur le STIF, en novembre 2009, par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France. En outre, la commission des finances de l'Assemblée nationale avait commandé une étude sur la « soutenabilité » de la dette de la RATP.

Depuis 2010, la situation a quelque peu évolué ; certaines de nos observations ont été prises en compte. Par ailleurs, la Cour procède au contrôle sur des marchés d'acquisition de rames supplémentaires, du point de vue de la RATP comme de la SNCF, mais, dès lors qu'elle n'a pas terminé son rapport, je n'y ferai pas allusion.

Enfin, je signale pour l'anecdote que je me déplace en métro depuis des décennies. Ayant présidé pendant six ans la chambre régionale des comptes d'Île-de-France, j'ai effectué quotidiennement le trajet reliant les Hauts-de-Seine à la Seine-et-Marne, via Paris, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis. En d'autres termes, je suis un fidèle utilisateur de la ligne A, ce qui signifie, non que le rapport exprime mon opinion personnelle, mais que je connais assez bien le sujet sur lequel il porte.

La Cour a constaté d'abord l'inadaptation du réseau. Dans Paris, le réseau central du métro est exceptionnellement dense, puisque le nombre de stations excède largement celui d'autres villes comparables. En revanche, celui de la banlieue est inférieur à celui des autres métropoles étrangères. Si la création du RER, en 1969, a amélioré la situation, elle a aussi compliqué le schéma, en faisant apparaître des lignes cogérées par la RATP et la SNCF. En outre, les investissements ont marqué le pas pendant vingt ans, ce qui explique en grande partie les problèmes actuels.

La Cour observe ensuite que la qualité du service s'est dégradée. Si les premiers contrats conclus entre les opérateurs et le STIF ont fait apparaître des indicateurs de régularité, leurs chiffres sont souvent en décalage avec la perception des usagers. Jadis, on ne comptabilisait pas dans les retards, les suppressions des trains qui allongent pourtant l'attente sur le quai. Aujourd'hui encore, ces indicateurs semblent perfectibles, surtout si l'on veut s'en servir pour calculer les bonus ou les malus affectant la rémunération pour les opérateurs et leurs agents dont la Cour regrette le caractère trop peu incitatif. Par ailleurs, les usagers se demandent comment des bonus peuvent être versés, alors qu'ils constatent chaque jour des difficultés dans les transports.

Le rapport pointe en troisième lieu la lourdeur de l'organisation institutionnelle. En Île-de-France, le STIF est quasiment l'unique autorité organisatrice, mais les grands acteurs sont nombreux. Il s'agit de la RATP, de la SNCF, des propriétaires et des gestionnaires d'infrastructures, dont la RATP, Réseau ferré de France (RFF), l'État et, depuis la loi du 3 juin 2010, la Société du Grand Paris (SGP), auxquels s'ajoutent à présent les autorités de régulation. À cette lourdeur s'ajoute le fait qu'en raison d'une culture et d'une organisation très différentes, la RATP et la SNCF ont du mal à se coordonner. Le cas de l'aiguillage coexploité par la RATP, la SNCF et RFF frise la caricature. Heureusement que la France est le pays de Descartes !

La Cour regrette que les données comptables restent opaques, malgré les progrès intervenus dans l'exécution des contrats passés avec le STIF pour 2008-2011. Les chiffres qui permettraient d'évaluer le coût du transport collectif ne figurent pas dans les comptes rendus annuels d'exploitation. Or, si l'on ne connaît pas le taux de remplissage des trains, des métros ou des tramways, comment savoir si une ligne est saturée ? Ni la SNCF ni la RATP ne fournissent à l'autorité organisatrice le coût complet par ligne, alors même que la SNCF met ces chiffres à notre disposition pour la province. Cette imprécision tient peut-être à celle du mot Transilien, appellation très vague qui ne correspond ni à une branche ni à une filiale. En tant qu'usager, habitué à ce qu'on a appelé longtemps les « trains de banlieue », j'ai eu du mal à comprendre qu'il s'agissait d'un concept plaqué sur une entreprise.

Pour disposer de chiffres utilisables, il faudra procéder à de nombreuses facturations entre branches de l'établissement public, pour la traction, l'entretien du matériel roulant, des gares, du réseau de distribution, la sûreté et la lutte antifraude. Pour l'heure, la Cour considère qu'elle ne dispose pas d'informations suffisantes et directement exploitables. Les sommes en jeu étant considérables, il faudrait alourdir les pénalités financières sanctionnant la non transmission de données.

La Cour pointe également l'augmentation sensible des coûts de fonctionnement. La rémunération que le STIF verse à la RATP et à la SNCF en complément des recettes tarifaires croît plus vite que l'inflation. Certes, l'offre est plus importante aujourd'hui, puisque les plages horaires du week-end sont plus étendues, mais le coût unitaire du transport augmente indépendamment du volume, du fait d'une hausse des coûts de fonctionnement.

Enfin, le RER souffre d'un sous investissement. Longtemps, la SNCF a sacrifié la desserte de la banlieue parisienne à la construction du TGV. Quant à la RATP, elle a connu un épuisement financier après le chantier de METEOR, qui a coûté plus cher que prévu, et celui du nouveau tramway parisien. De plus, la Régie est lourdement endettée. De ce fait, l'investissement dans le RER a été insuffisant, même si un rattrapage est amorcé.

J'en viens à nos recommandations. Il faut d'abord faire prévaloir la clarté des coûts et des performances, afin que le STIF puisse exercer pleinement ses compétences. L'objectif n'a rien d'irréalisable. Pour peu qu'on adopte certaines conventions, comme il en existe dans toute comptabilité analytique, le STIF disposera d'un instrument de pilotage. À défaut, il devra se contenter de considérations vagues et risquées.

En second lieu, il faut rattraper le sous investissement, en privilégiant l'existant. Pour autant, la Cour n'ignore pas le besoin d'infrastructures nouvelles pour répondre à la demande, bien qu'elle n'ait pas travaillé sur les projets de grands investissements. En tout état de cause, on constate chaque jour sur les lignes A, B ou D, des retards supérieurs à trente minutes imputables à des incidents. Si nombre d'entre eux sont liés à des suicides, à des malaises de voyageurs ou au vandalisme, les postes de commande sont aussi trop anciens, l'automatisation est insuffisante et le matériel roulant dépassé. Il est donc urgent d'investir dans l'existant, au lieu de laisser vieillir un matériel dont la durée de vie est déjà dépassée. Il n'y a pas lieu de s'étonner quand des caténaires prévues pour durer trente ans, mais en service depuis plus de trente-cinq, viennent à se casser ! Les solutions sont admises, mais, pour renouveler les matériels et les équipements qui relèvent à la fois de la SNCF et de RFF, les deux entreprises doivent coopérer. Même si la situation est plus simple à la RATP, le matériel est également souvent périmé.

Un sérieux effort doit être consenti pour abaisser les coûts de fonctionnement. La Cour souligne l'importance de réaliser des gains de productivité. À cet égard, les projets de la SNCF comme ceux de la RATP pourraient être plus ambitieux.

La Cour n'a certes pas de légitimité en matière technique. Il reste toutefois bien difficile d'admettre que l'interconnexion soit si souvent suspendue à Nanterre, et que l'organisation n'ait pas évolué depuis des années. À la Gare du nord, où l'interconnexion est censée avoir disparu en novembre 2009, les arrêts durent toujours. On annonce qu'elle sera effectivement supprimée à Nanterre Université, mais j'ai quelques doutes à ce sujet. D'ailleurs, j'ai un peu de mal à comprendre qu'un conducteur de la RATP ne puisse pas conduire sur le réseau de la SNCF, alors qu'un chauffeur routier anglais qui arrive en France accepte de rouler à droite, sans qu'il soit nécessaire de le remplacer.

Au-delà de l'aspect technique, on peut s'interroger sur la coexploitation des lignes A et B. Certes, il s'agit d'un legs de l'histoire, mais rien n'a empêché que la ligne de Sceaux soit gérée, au sud, par la RATP, et, au nord, par la SNCF. Si deux entreprises exploitent les lignes A et B, pourquoi ne pas confier l'une à la RATP et l'autre à la SNCF ? Mais, pour l'instant, cette solution simple n'a pas été retenue.

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