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Intervention de Didier Houssin

Réunion du 6 avril 2010 à 16h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports :

Madame Touraine, je n'ai pas participé à l'ensemble des réunions qui se sont tenues autour du Président de la République, mais je crois savoir qu'elles étaient destinées à l'information de celui-ci et des ministres concernés. En dehors de la décision concernant l'acquisition de matériels de réanimation et de dispositifs d'oxygénation extracorporelle, les décisions formellement visibles ont été prises principalement au niveau du Premier ministre : acquisition des vaccins – décision prise le 3 juillet –, gratuité de la vaccination, aspect non obligatoire, ordre de priorité, élargissement de la prise en charge des cas du secteur hospitalier au secteur ambulatoire – décision prise le 22 ou 23 juillet. Les décisions relevant du secteur sanitaire, comme le rôle des établissements de santé dans la vaccination, ont été prises par la ministre de la santé. La plupart des décisions étant de nature interministérielle, elles ont été en grande partie validées par le centre interministériel de crise, présidé par les ministres ou par leurs directeurs de cabinet.

Si j'ai dit lors d'une interview – interview que j'avais acceptée parce que la ministre m'en avait donné l'autorisation – que notre action avait été couronnée de succès, je n'ai pas voulu dire que c'était un succès sur toute la ligne : le nombre de décès a été relativement peu élevé si on le compare à celui de pandémies antérieures, alors que ce phénomène naturel, qui dure encore, aurait pu avoir des conséquences extrêmement graves. Est-ce le résultat de la chance ou est-ce lié aux actions menées par les pouvoirs publics et les professionnels concernés ? On ne peut pas écarter l'hypothèse que ce qui a été fait pour retarder le processus – fermetures de classes en septembre et octobre, élargissement des recommandations en matière d'hygiène, traitement précoce de certains malades par antiviraux, vaccination d'un certain nombre de personnes – ait eu un effet bénéfique. Une évolution spontanée de la pandémie aurait-elle eu des conséquences plus graves ? Il est difficile de répondre à cette question.

Lorsque la vaccination peut être conduite, elle constitue une bonne méthode de prévention, si tant est qu'elle survienne largement avant l'apparition du phénomène épidémique. Nous avons tenté de déclencher la campagne le plus rapidement possible afin de ne pas être pris de vitesse ; de ce point de vue, le succès n'est pas total puisque la vaccination a débuté quelques semaines seulement avant le pic épidémique.

Il est certain que nous aurions préféré disposer d'un conditionnement du vaccin en unidose, ce qui aurait permis d'organiser la campagne comme nous le faisons contre la grippe saisonnière. Les industriels nous ont tous répondu de la même manière : organiser le flaconnage de quantités aussi importantes requérait un délai supplémentaire minimum de deux mois. Compte tenu de l'extrême pression temporelle à laquelle nous étions soumis, il n'a pas été jugé raisonnable d'attendre.

Il faudra effectivement tirer toutes les conséquences de la conduite de la communication de crise. Une veille sur internet était assurée par le service d'information du Gouvernement et nous avions, dans le cadre de la préparation à une pandémie grippale, déjà mis en place un site. Mais nous n'étions pas suffisamment armés pour battre en brèche les argumentaires et les rumeurs qui se sont développés sur le réseau. Le CDC d'Atlanta et la Food and Drug Administration (FDA) disposent d'équipes qui ont pour seule tâche de suivre Facebook ou Twitter et de réagir dès l'apparition de signaux inquiétants. Nous avons encore des progrès à faire en ce domaine. Toutefois, l'intervention de l'État sur internet – anonyme ou non – dans un cadre de gestion de crise pose problème pour la démocratie.

Monsieur Lefrand, on peut critiquer le rôle des experts, dire que leurs estimations étaient erronées, mettre en avant la question des déclarations d'intérêts, et pointer les liens que certains entretiendraient avec l'industrie pharmaceutique. Malgré tout, je crois que nous avons eu la chance de disposer d'un dispositif réactif. La mobilisation rapide de l'InVS, du HCSP et de l'AFSSAPS nous a permis de ne jamais nous trouver en situation de perdition. Il convient de saluer le travail des organismes d'épidémiologie, l'évaluation par l'AFSSAPS des vaccins en développement et l'installation des dispositifs de pharmacovigilance, grâce auxquels nous avons pu suivre en sécurité la mise en place des vaccins.

Je ne pense pas que l'on puisse faire grief à l'OMS de sa réactivité. Quelques années plus tôt, nous avions été confrontés au SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), qui s'était propagé en quelques jours sur la surface du globe et le manque de réactivité des Chinois avait été pointé du doigt. Nous ne pouvons que nous féliciter de la rapidité de réaction de l'OMS.

S'agissant de la vaccination, nous avons perdu la bataille du nombre. Sans qu'il s'agisse d'une obligation, l'idée était que chaque personne souhaitant se faire vacciner puisse l'être, selon un ordre de priorité. Nous aurions aimé avoir une couverture vaccinale semblable à celles obtenues en Suède, en Norvège ou au Canada, mais il se trouve que la population française ne s'est pas montrée assez inquiète, craignant peut-être davantage le vaccin. La comparaison doit être faite avec la Suède. Au Canada, en raison d'un climat différent, la crainte de la pandémie était bien plus importante et les résultats obtenus en matière de vaccination bien plus élevés.

Il est difficile d'extraire la gestion d'un tel phénomène de son environnement sociétal, politique et médiatique. De la même manière, la réaction des individus vis-à-vis de la vaccination traduit leur perception des positions politiques ou médiatiques, elles-mêmes fluctuantes. Les professionnels de santé n'échappent pas à ce contexte – ils sont eux aussi connectés à internet – et leur opinion est influencée par les diverses informations en circulation. Pour autant, il convient de s'interroger sur les raisons qui ont conduit un nombre significatif d'entre eux à envisager de dissuader leurs patients de se faire vacciner ou même à affirmer qu'ils ne recommanderaient pas la vaccination. Comment obtenir l'adhésion des professionnels de santé dans une situation critique ? C'est l'une des questions que nous devons nous poser pour l'avenir.

Vous m'avez interrogé sur les liens avec l'industrie pharmaceutique, thème sur lequel enquête plus particulièrement la commission sénatoriale. Trois arguments invalident l'hypothèse selon laquelle le Gouvernement aurait été manipulé.

Premier argument : les industriels ne tiennent pas le premier maillon de la chaîne, qui permet de faire remonter les informations depuis les cabinets ou les hôpitaux et de qualifier la situation. Les organismes d'épidémiologie, par nature, ne sont pas liés aux firmes pharmaceutiques. Celles-ci ne sont pas en mesure de laisser accroire que l'on est confronté à une pandémie lorsque tel n'est pas le cas.

Deuxième argument : si les 35 producteurs mondiaux s'étaient entendus pour monter une affaire de cette ampleur, ils se seraient préparés à la production massive de vaccins et à un conditionnement en unidose.

Troisième argument : si l'industrie avait tenu dans sa main les experts de l'AFSSAPS et de l'EMEA, elle ne leur aurait jamais laissé dire en octobre qu'une seule dose de vaccin suffisait.

La thèse du complot, national ou international, ne tient pas !

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