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Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Séance du 6 avril 2010 à 16h00

Résumé de la séance

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La séance

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION DE LA GRIPPE A (H1N1)

Mardi 6 avril 2010

La séance est ouverte à seize heures trente.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d'enquête)

La Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) entend M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous accueillons M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports.

M. Didier Houssin prête serment.

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

En préambule, je souhaite situer le cadre de mon action.

J'ai été nommé directeur général de la santé le 31 mars 2005. Le 31 août 2005, en pleine flambée épizootique mondiale liée au virus grippal H5N1, j'ai été nommé délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire. Outre la menace de pandémie grippale liée à ce virus, j'ai dû affronter, dès 2005, l'épidémie liée au virus chikungunya à La Réunion et l'état d'hyper-endémie lié au méningocoque B14.P1.7-16 dans la zone de Dieppe. J'ai donc été sensibilisé très tôt aux menaces épidémiques.

J'ajoute que je suis médecin et que je n'ai pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ou des dispositifs médicaux.

La campagne de vaccination contre le virus H1N1 a été inédite. J'en évoquerai successivement la programmation, l'explication et la gestion. Conformément à votre demande, je centrerai mon propos sur la manière retenue pour préparer et conduire chacune de ces actions.

Le travail de programmation d'une campagne vaccinale contre un virus grippal pandémique avait été partiellement préparé durant la période qui a précédé le 24 avril, dans le cadre de la menace liée au virus grippal aviaire H5N1. Plusieurs avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et un avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) avaient été émis ; des contrats de réservation de vaccins pandémiques avaient été mis en oeuvre ; un travail interministériel avait été lancé en 2008 sur les priorités d'accès à la vaccination ; des outils d'information à l'intention du public et des professionnels de santé avaient été élaborés.

L'éventualité, en cas de pandémie, de pouvoir proposer une vaccination avant la première vague, était cependant jugée hautement improbable.

Cette éventualité s'est toutefois présentée en 2009, en raison de la réactivité des pays d'émergence du virus et de l'OMS, en raison de la date de cette émergence – fin avril, donc au terme de la période de grippe saisonnière – et du fait que la pandémie épargna largement la métropole durant l'été. Tout cela rendait très probable la survenue d'une première vague pandémique avant la fin 2009, donc dans un délai compatible avec une campagne de vaccination préalable.

À partir de la fin du mois d'avril 2009, le travail de programmation s'est fait en plusieurs étapes. Il s'agissait d'abord d'inscrire cette tâche prioritaire en plus des missions du dispositif de gestion de crise, dès le début du mois de mai ; de définir une stratégie de vaccination et de préparer l'acquisition de vaccins, en mai et juin ; de choisir ensuite une organisation pour la campagne de vaccination, en juin et juillet, en tenant compte de nombreuses contraintes, parmi lesquelles les plus fortes étaient la présentation du vaccin en multi-doses – imposant un mode collectif d'organisation de la vaccination – et sa livraison très progressive. En août et septembre, il s'est agi de définir un ordre de priorité de la vaccination. La campagne de vaccination a été lancée en octobre, puis il a fallu, en octobre, novembre et décembre, assurer le suivi de cette campagne, en se préparant, au besoin, à sa suspension.

Cette programmation a été fondée sur l'expertise de différents organismes nationaux – l'Institut de veille sanitaire (InVS), le Comité de lutte contre la grippe (CLCG), le Haut conseil de santé publique (HCSP), l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et le Comité Consultatif national d'éthique (CCNE), dont l'avis n° 106a été formulé en février 2009 –, européens – le European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) et l'Agence européenne du médicament (EMEA) –, et internationaux – le Center for Disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta, aux États-Unis, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment.

L'expertise était large et approfondie s'agissant du choix d'une stratégie de vaccination, de la décision d'acquisition de vaccins, de la définition d'un ordre de priorité pour la vaccination, du lancement et du suivi de la campagne. Elle était en revanche peu développée concernant les aspects organisationnels de cette dernière. L'organisation mise en place en France, choisie sous forte contrainte, s'est donc surtout inspirée de certains travaux conduits dans le cadre du plan variole – il est très vite apparu que le cadre d'ensemble n'était toutefois pas applicable –, de l'organisation de la vaccination contre la méningite en Seine-Maritime ou contre la grippe saisonnière, et de l'exemple du dispositif prévu au Canada. Cette organisation a été testée avant le lancement de la campagne, dans le cadre d'exercices, afin d'affiner, par exemple, l'organisation interne d'un centre de vaccination. L'organisation a été adaptée au fil du temps, notamment pour tenir compte de l'évolution des connaissances (type de vaccins recommandés pour les femmes enceintes, entre autres), des variations d'affluence, ou afin de rendre la vaccination possible pour certaines catégories de la population (constitution d'équipes mobiles).

Ce travail de programmation a réclamé la mise en place d'importantes articulations entre les ministères de l'intérieur et de la santé, avec les collectivités locales, à propos des centres de vaccination et avec d'autres ministères – éducation nationale pour la vaccination des scolaires, affaires étrangères pour la vaccination des Français à l'étranger, travail et solidarité pour la vaccination en milieu de travail ou en établissement médico-social, justice pour la vaccination en établissement pénitentiaire.

Le travail d'explication touchant la vaccination a été l'un des aspects les plus difficiles de la lutte contre la pandémie grippale liée au virus H1N1. Ce travail d'explication avait été partiellement préparé (outil internet « Mon quotidien en pandémie » destiné au site pandemie-grippale.gouv.fr).

Dès le mois de mai, ce travail d'explication s'est néanmoins révélé complexe du fait de la nécessaire articulation avec l'information sur la vaccination contre la grippe saisonnière, laquelle ne pouvait être abandonnée, de l'évolution rapide des connaissances, mais aussi de nombreuses incertitudes. Parmi ces dernières, les plus importantes ont concerné l'appréciation de la gravité de la pandémie, la possibilité de disposer de vaccins ayant une autorisation d'utilisation, la date des autorisations, le calendrier de livraison des vaccins et le volume des premières quantités livrées – les calendriers ont toujours été indicatifs –, les effets indésirables liés aux vaccins – ce qui a imposé la mise en place d'un vaste plan de gestion des risques et un travail particulier de transparence conduit par l'AFSSAPS autour des questions de pharmacovigilance –, la possibilité d'utiliser une dose plutôt que deux pour la vaccination, qui ne s'est confirmée qu'en novembre 2009, l'ordre de priorité à retenir pour la vaccination et les règles relatives à l'articulation avec la vaccination contre la grippe saisonnière, qui n'ont pu être fixées qu'en septembre 2009.

Ce travail d'explication, appuyé notamment par de nombreux points presse, un site internet dédié, des courriers de la ministre et une campagne de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), a été conduit auprès des professionnels de santé, des établissements de santé et du secteur ambulatoire, auprès du grand public et de nombreux autres acteurs de la campagne – centre interministériel de crise, préfets et leurs équipes opérationnelles départementales, autres ministères, services du ministère de la santé, chefs de centres de vaccination.

Ce travail d'explication a été appuyé d'initiatives à visée d'exemple, comme la vaccination de la ministre, ou la vacation en centre de vaccination que j'ai personnellement assurée le 21 novembre.

Les explications fournies par les autorités sanitaires ont toutefois été contrariées par l'intervention sur la scène médiatique – presse ou internet –, de différents acteurs, y compris des médecins, dont les propos ont semé le doute sur l'opportunité de se faire vacciner et dont les principaux messages étaient que la pandémie grippale, moins importante que d'autres problèmes sanitaires dans le monde, ne méritait pas l'attention, qu'elle n'était pas grave, que la vaccination était inutile, que les vaccins étaient dangereux, que la vaccination était organisée de façon collective, donc mal organisée, que la campagne de vaccination était le résultat d'un complot de l'industrie pharmaceutique, ou d'un complot politique visant à porter atteinte aux libertés individuelles, voire d'un complot visant l'élimination d'une partie de l'espèce humaine.

Dans le contexte d'une crise de longue durée, la gestion de la campagne de vaccination, au sens opérationnel et logistique, a réclamé des efforts importants et soutenus de la part de nombreux acteurs.

La gestion de la campagne a suscité de nombreuses décisions au niveau du Centre interministériel de crise (CIC), pilotée par le ministère de l'intérieur. Outre l'ouverture dès le premier jour du centre de crise sanitaire, la direction générale de la santé a fait évoluer son organisation interne afin de mettre en place une équipe « projet » pour préparer la campagne, puis participer à son pilotage et à son suivi – notamment opérationnel et logistique – en lien avec l'InVS, l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS), la CNAMTS et l'AFSSAPS.

L'ÉPRUS, dont la montée en charge, peu après sa création, avait été retardée par des problèmes de gouvernance, a su jouer un rôle clé dans l'acquisition et la logistique des produits de santé – vaccins, aiguilles, seringues –, notamment grâce à la création en son sein de l'établissement pharmaceutique début 2009, et dans la gestion des ressources humaines, puisqu'il a fourni le contexte d'emploi qui a permis d'offrir un cadre juridique et de rémunération à près de 10 000 personnes.

Le rôle des préfets, mobilisés par les circulaires du 21 août et du 28 octobre 2009, a été central dans la mise en oeuvre de la campagne et dans les adaptations de son organisation, notamment lors du passage à une phase de forte affluence à compter du 18 novembre.

Les acteurs territoriaux, pour leur part, ont contribué à la gestion par la mise à disposition de personnels, de locaux adaptés, comme les gymnases, et de matériels ; certains ont mis en place un système dédié d'information de leurs administrés, voire d'organisation des prises de rendez-vous.

Les établissements de santé ont organisé une activité de vaccination en leur sein, indispensable pour certaines populations. Quant aux professionnels de santé, ils ont contribué largement au fonctionnement des centres de vaccination, puis ont pris le relais dans le secteur ambulatoire lorsque cela est devenu possible.

Enfin, le public, dont l'affluence s'est renforcée soudainement avant de faiblir à nouveau en janvier, a imposé de constantes adaptations du dispositif.

Du point de vue sanitaire, la gestion de la campagne s'est attachée particulièrement à fluidifier la logistique de distribution des vaccins afin d'éviter les ruptures importantes d'approvisionnement, à réguler les invitations à la vaccination grâce à l'envoi de bons, assuré par la CNAMTS – indispensable pour la mise en place effective d'un ordre de priorité, la sécurisation du dispositif de traçabilité et la mesure de la couverture vaccinale –, et à informer les professionnels de santé concernés, compte tenu des différents vaccins utilisés et des différentes recommandations d'utilisation. La gestion de la campagne s'est aussi efforcée d'éviter que des personnes prioritaires ne puissent pas accéder à la vaccination (édition de bons dans les centres de vaccination) et à la sécurité sanitaire de la vaccination, par une analyse des dysfonctionnements observés et la diffusion rapide de recommandations aux chefs de centres.

Enfin, grâce au dispositif de la réquisition, la gestion de la campagne a permis d'offrir un cadre d'action juridiquement sécurisé à tous les professionnels concernés.

En conclusion, je dirai que la campagne de vaccination contre le virus A (H1N1) organisée en France entre les mois d'octobre et janvier a été inédite, traduisant un effort collectif sans précédent, qui ne pouvait toutefois manquer d'interroger dans une société parfois saisie par l'individualisme. Des leçons sont à en tirer pour l'avenir de la vaccination, sur la capacité de l'État à informer et à expliquer à l'heure d'internet et sur l'aptitude du système de santé à s'organiser dans des circonstances exceptionnelles.

En mai, en août et jusque tard dans l'année, notre crainte était que la pandémie liée au virus H1N1 ne se traduise par une hécatombe. Nous avons tout fait pour l'éviter et protéger au mieux la santé des Français, la campagne de vaccination étant l'une des importantes mesures de prévention prises à cette occasion. La pandémie n'est pas terminée, mais nous nous sommes efforcés d'adapter les actions à l'évolution des connaissances, dans un contexte longtemps marqué – il l'est encore – par de grandes incertitudes. À ce jour, l'hécatombe n'a pas eu lieu. Chance inespérée ? Erreur d'appréciation ? Action efficace ? Les deux, voire les trois ? Votre commission d'enquête va pouvoir en juger.

PermalienPhoto de Marisol Touraine

Vous avez dit lors de votre audition devant le Sénat que la gestion de la pandémie avait été suivie par le Président de la République et que des arbitrages importants avaient été rendus par le Premier ministre. Pouvez-vous préciser ce qui a été défini à l'Élysée, les choix qui ont été faits au niveau du Gouvernement et les décisions qui ont été prises par la ministre de la santé ?

Dans une interview donnée au journal Libération le 3 mars 2010 et intitulée « On ne referait pas très différemment », vous dites : « J'arrive à la conclusion que notre action a été couronnée de succès. Par rapport à ce que l'on pouvait craindre, il n'y a eu, à ce stade, qu'environ 300 décès en France. » Considérez-vous que ce chiffre soit à mettre au crédit du dispositif mis en place ?

Comment expliquez-vous le décalage entre votre objectif initial – une vaccination massive de la population – et le résultat de la campagne – 6 millions de personnes vaccinées seulement ?

Vous semblez considérer que le choix d'une vaccination dans des centres collectifs a été fait en raison du conditionnement des vaccins. Ne fallait-il pas procéder autrement, en demandant à l'industrie pharmaceutique de conditionner les vaccins en fonction des choix opérés en amont ?

Vous avez dit que des interventions médiatiques sur internet avaient troublé l'opinion et qu'il fallait en tirer les conséquences pour la communication gouvernementale. Est-ce à dire qu'à aucun moment le Gouvernement ne s'est interrogé sur les modalités d'une communication de crise dans une société démocratique où l'information est libre et circule ?

PermalienPhoto de Guy Lefrand

Quel rôle ont joué les experts et l'OMS dans l'évolution de la gestion de cette crise ? En d'autres termes, les décisions ont-elles été prises en fonction des risques présentés par l'OMS ?

Le Gouvernement a, semble-t-il, perdu une bataille, celle de la communication. Quelles sont les causes de cet échec, quel rôle a joué internet et quelles leçons en tirez-vous ? Comment expliquez-vous le rejet, tant par le grand public que par une partie des professionnels de santé, de la gestion de cette crise ?

D'après vous, de quelle nature était la relation qui s'est instaurée entre le Gouvernement et l'industrie pharmaceutique ?

Enfin, la décision sur le conditionnement des vaccins en multi-doses a eu des effets en cascade, affectant notamment l'adhésion des professionnels de santé. Aurait-il pu en être autrement ?

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

Quand et comment a-t-il été décidé de valider la stratégie de vaccination globale ? De quelle façon le nombre de vaccins à commander a-t-il été calculé? Comment expliquez-vous le refus initial des laboratoires de livrer des vaccins unidose ?

Enfin, il semble que les relations entre le ministère de l'intérieur et celui de la santé n'aient pas été optimales. Pensez-vous qu'elles aient été de nature à gêner l'information du grand public ?

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Vous avez dit que le choix du conditionnement en multidoses était lié à un problème de délai. Quelle était la différence de délai annoncée par les laboratoires pour fournir des vaccins unidose ?

Il sera d'autant plus intéressant d'entendre votre réponse à la dernière question du rapporteur que vous êtes le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire.

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Madame Touraine, je n'ai pas participé à l'ensemble des réunions qui se sont tenues autour du Président de la République, mais je crois savoir qu'elles étaient destinées à l'information de celui-ci et des ministres concernés. En dehors de la décision concernant l'acquisition de matériels de réanimation et de dispositifs d'oxygénation extracorporelle, les décisions formellement visibles ont été prises principalement au niveau du Premier ministre : acquisition des vaccins – décision prise le 3 juillet –, gratuité de la vaccination, aspect non obligatoire, ordre de priorité, élargissement de la prise en charge des cas du secteur hospitalier au secteur ambulatoire – décision prise le 22 ou 23 juillet. Les décisions relevant du secteur sanitaire, comme le rôle des établissements de santé dans la vaccination, ont été prises par la ministre de la santé. La plupart des décisions étant de nature interministérielle, elles ont été en grande partie validées par le centre interministériel de crise, présidé par les ministres ou par leurs directeurs de cabinet.

Si j'ai dit lors d'une interview – interview que j'avais acceptée parce que la ministre m'en avait donné l'autorisation – que notre action avait été couronnée de succès, je n'ai pas voulu dire que c'était un succès sur toute la ligne : le nombre de décès a été relativement peu élevé si on le compare à celui de pandémies antérieures, alors que ce phénomène naturel, qui dure encore, aurait pu avoir des conséquences extrêmement graves. Est-ce le résultat de la chance ou est-ce lié aux actions menées par les pouvoirs publics et les professionnels concernés ? On ne peut pas écarter l'hypothèse que ce qui a été fait pour retarder le processus – fermetures de classes en septembre et octobre, élargissement des recommandations en matière d'hygiène, traitement précoce de certains malades par antiviraux, vaccination d'un certain nombre de personnes – ait eu un effet bénéfique. Une évolution spontanée de la pandémie aurait-elle eu des conséquences plus graves ? Il est difficile de répondre à cette question.

Lorsque la vaccination peut être conduite, elle constitue une bonne méthode de prévention, si tant est qu'elle survienne largement avant l'apparition du phénomène épidémique. Nous avons tenté de déclencher la campagne le plus rapidement possible afin de ne pas être pris de vitesse ; de ce point de vue, le succès n'est pas total puisque la vaccination a débuté quelques semaines seulement avant le pic épidémique.

Il est certain que nous aurions préféré disposer d'un conditionnement du vaccin en unidose, ce qui aurait permis d'organiser la campagne comme nous le faisons contre la grippe saisonnière. Les industriels nous ont tous répondu de la même manière : organiser le flaconnage de quantités aussi importantes requérait un délai supplémentaire minimum de deux mois. Compte tenu de l'extrême pression temporelle à laquelle nous étions soumis, il n'a pas été jugé raisonnable d'attendre.

Il faudra effectivement tirer toutes les conséquences de la conduite de la communication de crise. Une veille sur internet était assurée par le service d'information du Gouvernement et nous avions, dans le cadre de la préparation à une pandémie grippale, déjà mis en place un site. Mais nous n'étions pas suffisamment armés pour battre en brèche les argumentaires et les rumeurs qui se sont développés sur le réseau. Le CDC d'Atlanta et la Food and Drug Administration (FDA) disposent d'équipes qui ont pour seule tâche de suivre Facebook ou Twitter et de réagir dès l'apparition de signaux inquiétants. Nous avons encore des progrès à faire en ce domaine. Toutefois, l'intervention de l'État sur internet – anonyme ou non – dans un cadre de gestion de crise pose problème pour la démocratie.

Monsieur Lefrand, on peut critiquer le rôle des experts, dire que leurs estimations étaient erronées, mettre en avant la question des déclarations d'intérêts, et pointer les liens que certains entretiendraient avec l'industrie pharmaceutique. Malgré tout, je crois que nous avons eu la chance de disposer d'un dispositif réactif. La mobilisation rapide de l'InVS, du HCSP et de l'AFSSAPS nous a permis de ne jamais nous trouver en situation de perdition. Il convient de saluer le travail des organismes d'épidémiologie, l'évaluation par l'AFSSAPS des vaccins en développement et l'installation des dispositifs de pharmacovigilance, grâce auxquels nous avons pu suivre en sécurité la mise en place des vaccins.

Je ne pense pas que l'on puisse faire grief à l'OMS de sa réactivité. Quelques années plus tôt, nous avions été confrontés au SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), qui s'était propagé en quelques jours sur la surface du globe et le manque de réactivité des Chinois avait été pointé du doigt. Nous ne pouvons que nous féliciter de la rapidité de réaction de l'OMS.

S'agissant de la vaccination, nous avons perdu la bataille du nombre. Sans qu'il s'agisse d'une obligation, l'idée était que chaque personne souhaitant se faire vacciner puisse l'être, selon un ordre de priorité. Nous aurions aimé avoir une couverture vaccinale semblable à celles obtenues en Suède, en Norvège ou au Canada, mais il se trouve que la population française ne s'est pas montrée assez inquiète, craignant peut-être davantage le vaccin. La comparaison doit être faite avec la Suède. Au Canada, en raison d'un climat différent, la crainte de la pandémie était bien plus importante et les résultats obtenus en matière de vaccination bien plus élevés.

Il est difficile d'extraire la gestion d'un tel phénomène de son environnement sociétal, politique et médiatique. De la même manière, la réaction des individus vis-à-vis de la vaccination traduit leur perception des positions politiques ou médiatiques, elles-mêmes fluctuantes. Les professionnels de santé n'échappent pas à ce contexte – ils sont eux aussi connectés à internet – et leur opinion est influencée par les diverses informations en circulation. Pour autant, il convient de s'interroger sur les raisons qui ont conduit un nombre significatif d'entre eux à envisager de dissuader leurs patients de se faire vacciner ou même à affirmer qu'ils ne recommanderaient pas la vaccination. Comment obtenir l'adhésion des professionnels de santé dans une situation critique ? C'est l'une des questions que nous devons nous poser pour l'avenir.

Vous m'avez interrogé sur les liens avec l'industrie pharmaceutique, thème sur lequel enquête plus particulièrement la commission sénatoriale. Trois arguments invalident l'hypothèse selon laquelle le Gouvernement aurait été manipulé.

Premier argument : les industriels ne tiennent pas le premier maillon de la chaîne, qui permet de faire remonter les informations depuis les cabinets ou les hôpitaux et de qualifier la situation. Les organismes d'épidémiologie, par nature, ne sont pas liés aux firmes pharmaceutiques. Celles-ci ne sont pas en mesure de laisser accroire que l'on est confronté à une pandémie lorsque tel n'est pas le cas.

Deuxième argument : si les 35 producteurs mondiaux s'étaient entendus pour monter une affaire de cette ampleur, ils se seraient préparés à la production massive de vaccins et à un conditionnement en unidose.

Troisième argument : si l'industrie avait tenu dans sa main les experts de l'AFSSAPS et de l'EMEA, elle ne leur aurait jamais laissé dire en octobre qu'une seule dose de vaccin suffisait.

La thèse du complot, national ou international, ne tient pas !

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'interrogation porte davantage sur les liens, plus apparents, que les experts entretiennent avec les différents laboratoires.

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

M. Door m'a interrogé sur le processus de décision. La direction générale de la santé interrogeait les organismes d'expertise compétents pour avoir un avis. L'avis fourni, elle formulait une préconisation à l'attention de la ministre. La décision était alors validée dans le cadre du ministère, en interministériel ou par le Premier ministre. Puis la direction générale de la santé, dans le cadre de la CIC, avec les autres ministères, la mettait en oeuvre.

Les exercices de préparation à l'éventualité d'une pandémie avaient montré début 2009 qu'il était important de passer rapidement en posture interministérielle. Le plan pandémie avait désigné le ministère de l'intérieur comme pilote, du fait de son dispositif préfectoral. L'organisation interministérielle s'est révélée un choix heureux car nous nous sommes trouvés confrontés dès le premier jour à des problèmes touchant à l'organisation des aéroports, à la police des frontières, à la douane, aux affaires étrangères et à la santé.

PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

Monsieur le président, je ne pense pas que la logique d'une commission d'enquête soit d'entendre un discours global et théorique – que nous connaissons déjà –, mais d'inviter la personne auditionnée à répondre de façon précise à des questions précises. Faute de quoi, nous aurons tous perdu notre temps et nous resterons sur notre faim.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'allais justement proposer à nos collègues de formuler les questions les plus concises possible afin que M. Houssin puisse y répondre de manière brève et précise.

Monsieur Houssin, vous avez dit que l'on ne pouvait exclure le fait que la campagne de vaccination ait eu des effets bénéfiques. Quel a été le taux de mortalité en Pologne, pays où il n'y a pas eu de campagne de vaccination ?

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Mme la ministre a répondu à cette question devant la commission d'enquête sénatoriale. Il est difficile de recenser précisément le nombre de décès liés à la grippe H1N1 – il existe toujours une partie invisible – et nous connaissons mal la situation sanitaire polonaise. Du point de vue méthodologique, il ne semble pas rigoureux de comparer la Pologne et la France. J'ajoute que le gouvernement polonais avait clairement l'intention d'organiser une campagne, mais que des contraintes diverses l'en ont empêché.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Cela revient à dire que l'on ne peut jamais évaluer l'efficacité d'une campagne de vaccination.

PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

Quels sont les noms des experts qui se sont prononcés pour une vaccination générale ?

Vous avez dit que les décisions sur la stratégie vaccinale s'étaient appuyées sur des considérations d'ordre sanitaire, psychosocial et politique. Qui a pris quel type de décisions ? Quelles ont été les recommandations d'ordre sanitaire ? Sur quelle base les réflexions psychosociales ont-elle été élaborées ? À quel moment la décision politique a-t-elle été prise ?

PermalienDider Houssin

Les avis formulés par le CLCG et par le HCSP ont été, dans la quasi-totalité des cas, votés à l'unanimité, ou à une très grande majorité et une abstention. Je peux vous communiquer les comptes rendus de ces réunions.

PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

Je précise ma question. Si vous interrogez un expert comme Bruno Lina, il vous dira que le HCSP, où siège une majorité de représentants de l'administration, n'a fait que valider une décision qui était déjà prise. En d'autres termes, si les experts se sont ralliés à une décision administrative, car elle ne comportait pas d'inconvénient majeur, aucun ne peut affirmer qu'il a recommandé une vaccination générale. Par ailleurs, est-il sérieux d'affirmer que votre position éthique était de permettre à chacun de se faire vacciner, alors que cette position n'était pas compatible avec un calendrier qui prévoyait dix-huit mois de vaccination ?

PermalienDider Houssin

Les comptes rendus vous donneront une idée de la façon dont étaient organisées les délibérations. Je ne pense pas que le CLCG et le HCSP aient suivi une quelconque instruction de l'administration. Je leur adressais un courrier de saisine où étaient posées un certain nombre de questions, auxquelles ils répondaient sur un papier où figuraient également les votes. Ces documents, qui retracent les réunions des mois d'avril, mai, juin et juillet, sont à votre disposition. Cela dit, que les experts se sentent aujourd'hui « sous pression » et critiqués, et que cela puisse influer sur certaines prises de position, je ne dirai pas le contraire !

La campagne n'était pas prévue pour durer dix-huit mois. Le dimensionnement du dispositif, au niveau des centres de vaccination, avait été calculé de manière que l'on puisse effectuer la vaccination en quatre mois, dans le cas d'une appétence particulière de la population. Peut-être était-ce trop long encore, mais il fallait tenir compte de contraintes d'organisation très importantes.

S'agissant de l'acquisition des vaccins, deux stratégies se présentaient à nous : une stratégie « santé publique » consistant à vacciner de façon suffisamment large pour bloquer l'épidémie avant qu'elle ne survienne, ce qui était assez peu probable compte tenu de ce que l'on pouvait craindre de la cinétique de celle-ci ; une stratégie de protection individuelle consistant à encourager les personnes à se faire vacciner. Chacune des options conduisait à dimensionner un stock de vaccins, qu'il fallait acquérir suffisamment tôt. La décision politique la plus importante a été celle du 3 juillet, lorsque le Premier ministre a validé l'acquisition de 94 millions de doses.

PermalienPhoto de Bernard Debré

Combien de traitements antiviraux avez-vous achetés et qu'en avez-vous fait ? Les publications montrent que les antiviraux ne sont pas efficaces sur la mortalité : tout au plus réduisent-ils de quelques heures la symptomatologie, lorsqu'ils sont administrés rapidement.

Pouvez-vous confirmer qu'en sus de la commande de 94 millions de doses de vaccin, l'ÉPRUS a reçu l'instruction de poser une option pour 30 millions de doses, ce qui fait un total de 124 millions de doses ?

Je crois savoir que les grippes de type H et N ne nécessitent qu'une injection de vaccin. Pourquoi a-t-il été décidé de vacciner deux fois contre la grippe A (H1N1) ? Mais cette question est sans doute idiote puisque l'on a, par la suite, changé d'avis et décidé de ne vacciner qu'une fois.

Pourquoi les Américains ont-ils disposé avant nous d'un vaccin s'administrant par injection nasale, conditionné de manière différente ?

Combien faut-il vacciner de personnes pour stopper une épidémie ? Je n'ai jamais entendu dire qu'il fallait vacciner deux fois toute une population !

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Effectivement, les antiviraux n'ont pas fait la preuve d'une très grande efficacité contre la grippe saisonnière. En revanche, cinq ou six publications montrent que, parmi les personnes atteintes du virus H1N1 et hospitalisées, celles qui ont reçu des antiviraux dans les premières quarante-huit heures ont développé des formes moins graves et présenté un taux de létalité plus faible.

PermalienPhoto de Bernard Debré

Il y a des publications qui affirment le contraire !

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Je n'en ai pas vu beaucoup !

C'est l'avis unanime du CLCG, rendu le 12 novembre, qui nous a conduits à modifier la recommandation, afin d'inciter les médecins à prescrire plus largement les antiviraux.

PermalienPhoto de Bernard Debré

Combien de traitements antiviraux avez-vous achetés ?

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Nous avions acquis, dans le cadre de la préparation à une pandémie grippale, notamment liée à un virus H5N1, un stock de 33 millions de traitements. La seule acquisition d'antiviraux en 2009 concerne quelques centaines de milliers de doses de Tamiflu pédiatrique.

Effectivement, nous avons pris une option sur une trentaine de millions de doses dans le cas où il serait nécessaire de vacciner en deux fois l'ensemble de la population. Pourquoi en deux fois ? Nous avions affaire à un virus grippal d'un type nouveau – une recombinaison inhabituelle de composants d'origines aviaire, porcine et humaine. Or, dans le cas du H5N1, également nouveau, l'immunité suffisante ne pouvait s'obtenir qu'avec deux doses de vaccin. Depuis le mois de décembre, il est apparu que le H1N1, bien que très nouveau, aurait des structures conservées du virus de 1918 et que, par conséquent, la population présenterait une immunité bien meilleure que prévu.

PermalienPhoto de Bernard Debré

Le H1 avait aussi sévi en 1957, 1958 et 1959.

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Le H1 qui circule aujourd'hui ressemble davantage au virus de 1918.

Pour une efficacité barrière, il faut en effet vacciner entre 30 et 50 % de la population ; mais il faut pouvoir le faire suffisamment en amont de l'épidémie, ce qui n'était pas notre cas. Nous devions donc être en mesure de proposer la vaccination à l'ensemble de la population, notamment si la survenue de formes graves en grand nombre avait incité les Français à se faire vacciner.

PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

Mais les vaccins n'étaient pas disponibles !

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Pourquoi avez-vous ciblé 47 millions de personnes plutôt que 40 ou 50 millions ?

Ne pensez-vous pas que renvoyer nos concitoyens à un site internet, même officiel, du Gouvernement les ait incités à mettre sur un même plan l'information officielle et les inepties qui circulaient sur les autres sites ? N'eût-il pas mieux valu privilégier la diffusion de spots à la télévision ou à la radio ?

Les personnes auditionnées ont expliqué que la généralisation de la vaccination au monde adulte s'appuyait sur l'extrapolation du modèle de la grippe saisonnière. Comment avez-vous pu procéder à une telle extrapolation pour le monde des enfants – je pense notamment aux 3-24 mois, déjà soumis à de multiples vaccinations – puisque ceux-ci ne sont pas vaccinés contre la grippe saisonnière ? Avez-vous effectué des tests cliniques ? Dans l'affirmative, combien ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Bacquet

Avez-vous pris du recul par rapport à vos choix initiaux ? Pouvez-vous raisonnablement considérer que votre campagne soit un succès lorsque seulement 10 % de la population ont été vaccinés ? Vous pouviez tirer les enseignements des épidémies précédentes et des campagnes de vaccination passées. Je pense notamment à celle qui avait été – très mal – organisée dans le Puy-de-Dôme contre la méningite.

Pourquoi avoir exclu d'office les médecins généralistes d'une stratégie qui, au départ, devait conduire à la vaccination de 50 % de la population seulement ?

Vous entendre vous féliciter de cette campagne et n'en tirer aucune conclusion me rend extrêmement inquiet pour l'avenir : de quelle crédibilité disposerons-nous pour organiser la prochaine campagne ?

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Madame Lemorton, le calcul du nombre de doses nécessaires a été effectué aux mois de mai et juin en tenant compte de la forte probabilité que nous devions disposer de deux doses – selon les informations alors en notre possession – et de l'hypothèse selon laquelle les personnes âgées bénéficiaient d'une certaine immunité, et d'un taux de compliance de 75 %. Celui-ci a été établi à partir du taux de compliance à la vaccination contre la grippe saisonnière – entre 65 et 70 % – et du taux de compliance à la vaccination contre la méningite en Seine-Maritime – de l'ordre de 85 %. Nous avons donc proposé d'acquérir 94 millions de doses, pour un total de 47 millions de personnes.

Votre remarque concernant internet est importante. Il convient de réexaminer l'action des pouvoirs publics sur le réseau en cas de crise, qu'elle soit d'origine sanitaire ou autre. Mettre en place un site n'est pas tout : encore faut-il que celui-ci soit correctement référencé et que l'on soit capable de combattre les arguments délétères.

Nous avons disposé très tôt d'informations concernant le risque de mortalité liée au H1N1 chez les personnes les plus jeunes. Dans la dernière publication de PLoS Medicine, il est d'ailleurs démontré que la pandémie de 2009 se situe à un niveau bien supérieur à celui des grippes saisonnières en termes d'années de vie perdues. Les personnes jeunes étaient les plus touchées, et c'est la raison pour laquelle nous étions enclins à proposer des vaccins aux enfants. Compte tenu de l'absence de données cliniques concernant les vaccins adjuvantés, le Haut conseil a recommandé l'utilisation de vaccins sans adjuvants, que nous avons réussi à obtenir auprès de Sanofi-Pasteur.

Monsieur Bacquet, je n'ai jamais dit que la gestion de la pandémie ait été un succès sur toute la ligne : j'ai dit que, sur le plan de l'impact sanitaire final, elle avait été couronnée de succès. Pour autant, je ne trouve pas satisfaisant le taux de couverture vaccinale.

La campagne de vaccination dans le Puy-de-Dôme était certainement antérieure à ma prise de fonctions à la direction générale de la santé. En revanche, je connais bien la campagne qui a été conduite contre la méningite en Seine-Maritime : grâce à une vaccination collective, l'épidémie a été enrayée.

Pourquoi le choix d'une vaccination collective ? Les contraintes du conditionnement en multidoses, la nécessité d'organiser un ordre de priorité et de faire en sorte que les médecins, le moment venu, se consacrent entièrement aux personnes malades, nous ont fait préférer un mode collectif d'organisation de la vaccination.

PermalienPhoto de Marie-Louise Fort

J'ai reçu beaucoup de protestations de la part des médecins généralistes, qui sont – faut-il le rappeler ? – l'un des piliers de notre système de santé. Quelles ont été les précautions prises pour les informer ou les intéresser à la préparation ainsi qu'à l'explication de la campagne ? Ne croyez-vous pas qu'ils auraient pu être vos meilleurs alliés pour combattre la désinformation ? Envisagez-vous désormais de les associer pleinement à la gestion des crises à venir ?

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Jean-Marie Le Guen vous a demandé quels avaient été les arbitrages rendus par le Premier ministre. Combien de réunions interministérielles se sont-elles tenues à Matignon ? M. le rapporteur peut-il en obtenir les comptes rendus ?

Vous parlez d'une décision d'acquisition des vaccins validée par le Premier ministre le 3 juillet. Mais la décision administrative n'a-t-elle pas été prise en amont, avant même que ne fût connu l'avis des experts ? Le 14 mai, le directeur de cabinet de la ministre de la santé écrivait au président de GlaxoSmithKline (GSK) afin de réserver – pour une somme de 75 millions d'euros hors taxes à régler à la réservation – 50 millions de doses.

Vous avez fait le choix de vacciner 75 % de la population. Comme il ne pouvait plus s'agir d'une vaccination barrière – le vaccin étant arrivé après le virus –, il vous restait encore la possibilité de choisir des populations cibles, conformément aux recommandations de la mission d'information sur la grippe aviaire, présidée par Jean-Marie Le Guen et dont le rapporteur était Jean-Pierre Door, qui préconisait de cibler 30 % de la population, publics prioritaires inclus.

Comment se fait-il que les autorités sanitaires n'aient pas tenu compte du passage somme toute rapide du virus au Mexique ? Pourquoi n'ont-elles pas réagi lorsque l'OMS a changé sa définition de la pandémie, relevant le niveau d'alerte au niveau 6 alors que seulement 144 décès étaient déclarés ? Le passage en phase 6 permettait tout simplement de faire jouer les contrats pré-pandémiques, ce qui revenait à abaisser le bras d'un bandit manchot : 2 milliards de livres sterling de commandes !

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

Qui a pris la décision politique de lancer la vaccination massive et à quelle date ? Quand les vaccins ont-ils été commandés ? Enfin, qui a pris la décision de mettre fin à la campagne le 31 janvier, et pourquoi ?

PermalienPhoto de Catherine Génisson

A-t-on une idée du nombre de personnes atteintes par la grippe A (H1N1) ? Alors que l'on avait sorti l'arme nucléaire pour faire le diagnostic obligatoire de cette grippe, les médecins se sont vus, du jour au lendemain, quasiment interdire de faire ce diagnostic. Pourquoi ? Le diagnostic différentiel des symptômes d'une grippe A (H1N1) et d'une grippe saisonnière n'étant pas des plus faciles, comment expliquer la prescription du Tamiflu, dont on sait le peu d'efficacité pour les grippes saisonnières ?

PermalienPhoto de Valérie Fourneyron

Je serai, comme l'ensemble de mes collègues, très attentive à vos réponses sur le calendrier des commandes. Qui a commandé les vaccins et quand ?

Vous avez dit que les arbitrages sur les publics cibles avaient été rendus à Matignon. Quels sont les dysfonctionnements qui expliquent notamment la faible couverture vaccinale des personnes souffrant d'affections de longue durée ?

Comment expliquez-vous la défiance dont a fait preuve le ministère de la santé à l'égard des médecins généralistes ? Celle-ci pèsera lourd à l'avenir, et il faudra en tirer toutes les conséquences.

PermalienPhoto de Élie Aboud

Il est vrai que le maillon constitué par les médecins généralistes a dysfonctionné.

PermalienPhoto de Élie Aboud

Il était surréaliste de voir, d'un côté, les pouvoirs publics lancer une importante campagne d'information et, de l'autre, les médecins généralistes dénigrer la vaccination. La direction générale de la santé est-elle entrée en contact avec les syndicats de médecins généralistes ? Ces contacts ont-ils, à un certain moment, cessé ?

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Entre les mois de mai et d'octobre, six réunions au moins se sont tenues au ministère de la santé avec les responsables des syndicats, ceux des unions régionales des médecins libéraux et les ordres. Des contacts réguliers et permanents ont donc été établis ; ils ont notamment porté sur l'élargissement de la prise en charge à la médecine ambulatoire et sur la vaccination. Toutefois, le hiatus – ou la perception d'un hiatus – entre médecins et autorités sanitaires demeure incontestablement l'une des leçons à tirer de la pandémie.

Monsieur Bapt, le centre interministériel de crise s'est réuni une quarantaine de fois, ce qui a donné lieu à des comptes rendus, à mon avis accessibles. Par ailleurs, les réunions interministérielles ont fait l'objet d'un « bleu », et leurs comptes rendus sont aussi certainement accessibles.

Nous avons établi des contacts réguliers avec les laboratoires à partir du 30 avril, date à laquelle nous avons reçu un premier mail. Nous cherchions à savoir quel type de vaccin, sous quelle forme et selon quel calendrier, les industriels, que nous ayons un contrat avec eux ou non, pouvaient produire. Leurs réponses nous ont permis de distinguer certains d'entre eux, dont GSK, qui avait de l'avance tandis que Sanofi n'avait pas d'autorisation pour son vaccin Emerflu. En mai et juin, nous avons émis des lettres d'intention en direction des laboratoires capables de livrer rapidement des quantités importantes de vaccin. Mais la décision formelle d'acquisition et la notification des marchés n'ont pas été faites avant la décision du Premier ministre du 3 juillet.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Dans la lettre du 14 mai, il est bien spécifié que 1,50 euro par dose de vaccin devait être versé à titre d'arrhes et que cet acompte de réservation serait remboursé si l'OMS ne remettait pas de souche. Cela signifie bien qu'un engagement de réservation a été effectué et que 75 millions d'euros ont été versés !

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

C'était une lettre d'intention.

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Pour établir le nombre de doses à commander, nous avons tenu compte de l'avis n° 106 du CCNE, postérieur au rapport de la mission d'information parlementaire, selon lequel il convenait que l'ensemble de la population puisse accéder à la vaccination si elle le souhaitait, étant entendu qu'un ordre de priorité pouvait être établi. Cet avis a constitué un élément de la décision politique, au même titre que les considérations d'ordre sanitaire.

En 2008, l'OMS s'est interrogée dans le cadre de la préparation à une pandémie sur l'éventualité de diriger le phasage en fonction d'éléments de gravité. Cela supposait de pouvoir recenser les décès de façon fiable et identique dans chaque pays, ce qui s'est révélé extrêmement difficile. L'idée a donc été abandonnée. Toutefois, la pandémie de 2009 a montré qu'il s'agissait d'un point crucial. Ainsi, je pense qu'il faudrait réviser le plan et tenter, malgré tout, de construire des indicateurs de gravité.

Nous avons tous été marqués par l'affaire de la grippe porcine de 1976, lorsque les États-Unis ont lancé une campagne de vaccination contre un risque épidémique finalement inexistant. L'Institute of Medicine a depuis démontré que cet échec tenait en partie au fait que le président Ford avait été enfermé dans une seule décision consistant à la fois à acquérir les vaccins, à définir l'ordre de priorités et à lancer la campagne.

J'ai pensé qu'il fallait faire en sorte de distinguer chacune des décisions. L'acquisition des vaccins devait survenir suffisamment tôt pour laisser le temps de la production ; l'ordre de priorité devait être établi indépendamment ; le lancement de la campagne devait être décidé après une nouvelle analyse de la situation épidémiologique, pour pouvoir faire marche arrière si nécessaire.

On ne peut pas dire que l'acquisition et le lancement de la campagne de vaccination aient été simultanés : l'acquisition a été décidée le 3 juillet et le lancement de la campagne de vaccination fin septembre.

Lorsque la campagne a effectivement été lancée, fin septembre, l'InVS faisait toujours état d'un risque de mortalité important, et ce scénario était partagé par les organismes épidémiologiques européens.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Pourtant, en septembre, l'administration avait pu observer le pic épidémique en Nouvelle-Calédonie ou à la Réunion où, en l'absence de vaccin, la mortalité n'avait pas été importante. Pourquoi vous attendiez-vous à une situation plus grave en métropole ?

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

À quel moment ont eu lieu les séances de travail à l'Élysée, autour du Président de la République ?

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Nous avons évidemment suivi de très près ce qui se passait dans l'hémisphère Sud : les informations qui nous parvenaient n'étaient pas encourageantes et laissaient penser qu'il fallait se méfier, d'autant que l'hiver n'est pas aussi froid que dans l'hémisphère Nord et que les pays sont moins peuplés. En Australie, en Nouvelle-Zélande, au Chili et en Argentine, où se trouvent de grands centres urbains, on a observé de nombreuses hospitalisations, avec une activité importante des services de réanimation.

Les réunions à l'Élysée se sont surtout tenues au début de la pandémie, lorsqu'il s'agissait d'apprécier la situation, de faire le point sur la position de l'OMS et des pays voisins. Nous étions en interaction permanente avec les autorités sanitaires européennes. Elles ont aussi permis de préparer l'acquisition des vaccins ou encore de commander, compte tenu de ce qui se passait dans l'hémisphère Sud, du matériel de réanimation et des dispositifs d'oxygénation extracorporelle. Une réunion s'est également tenue lorsqu'il s'est agi de mobiliser les préfets pour répondre à l'affluence soudaine dans les centres de vaccination.

Madame Génisson, nous étions dans une situation de pandémie très inhabituelle avec des décès parmi les sujets jeunes. Or des publications montraient que le taux de létalité était moindre chez les sujets en réanimation lorsqu'ils avaient reçu précocement un traitement. La responsabilité des autorités sanitaires était de formuler des recommandations allant dans le sens d'une prescription plus large d'antiviraux.

PermalienPhoto de Catherine Génisson

Ma question portait davantage sur le diagnostic. Au début, il fallait faire le diagnostic dès qu'un sujet présentait des symptômes grippaux. Mais cette préconisation a cessé du jour au lendemain. Pourquoi ? Par ailleurs, les généralistes ont été exclus du plan, aussi bien comme opérateurs que comme médiateurs. Êtes-vous malgré tout en mesure de dresser un bilan estimatif du nombre de personnes ayant présenté les symptômes de la grippe A (H1N1)?

PermalienDidier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports

Au début, notre objectif était de bloquer le processus épidémique, grâce à l'identification des personnes « contact » et à la recommandation de traitements pour une prise en charge hospitalière, puis ambulatoire. Au mois de septembre, le seuil épidémique a été franchi et nous n'avons plus été capables de poursuivre cette surveillance des cas groupés. Nous sommes alors passés à une surveillance populationnelle et nous avons modifié les recommandations thérapeutiques. Ce n'est que beaucoup plus tard, au mois de novembre, devant l'accentuation des formes graves, que nous avons recommandé une prescription plus large des antiviraux.

Madame Fourneyron, l'envoi des bons a respecté l'ordre de priorité. Les personnes les plus fragiles ont bien reçu leurs bons ; si elles ne sont pas allées se faire vacciner, c'est qu'elles ne le souhaitaient pas ou que leur médecin généraliste le leur avait déconseillé. Il n'y a pas eu de dysfonctionnements dans l'envoi des bons.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'en doute très fortement. J'ai moi-même constaté, au sein de ma famille, que l'ordre de priorité n'était pas respecté dans l'envoi des bons. Il sera sans doute intéressant d'interroger les responsables de la CNAMTS sur ce point.

Par ailleurs, dans les centres de vaccination, les responsables, les médecins ou les infirmiers ne savaient plus à quel saint se vouer car les instructions changeaient chaque jour : vacciner seulement les femmes enceintes, même si les vaccins sans adjuvants n'étaient pas disponibles, puis vacciner tout le monde – et je ne parle pas des files d'attente. Cette campagne, gratuite, générale et non obligatoire, était une première. Mais sa gestion a été, disons-le, assez apocalyptique. Sans doute aurons-nous l'occasion d'en parler de nouveau.

La gestion de cette crise est pour vous un succès dans la mesure où le bilan est moins grave que ce que l'on pouvait imaginer. Vous dites que l'on ne peut pas écarter le fait que cela soit à mettre au crédit de l'action des pouvoirs publics. Je ne suis pas de ceux qui critiquent le déploiement préventif de moyens importants, mais je doute de leur efficacité. La direction générale de la santé a-t-elle commencé une analyse introspective de cette action dans la perspective de futures crises ?

Je vous serais reconnaissant de préciser par écrit à notre rapporteur la façon dont s'effectue la veille sur internet et s'il existe une capacité de réponse – anonyme ou non – sur le réseau.

Je vous saurais gré, monsieur le rapporteur, de vous procurer les comptes rendus des réunions de la cellule interministérielle de crise et de les diffuser auprès des membres de la commission d'enquête.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

La pandémie a été moins grave que prévu et il faut s'en réjouir. Est-ce grâce à la prudence, à la précaution, à la prévention ? Ce sont des mots que nous nous attacherons à définir dans le rapport.

Pourriez-vous nous communiquer le coût final de la campagne poste par poste – masques, seringues, vaccins, antiviraux, gestion-mobilisation, logistique et stockage – en distinguant les masques et les antiviraux commandés dans le cadre de la campagne H5N1 ?

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Certaines questions restent en suspens. Nous ferons en sorte de vous donner l'occasion d'y répondre prochainement.

Monsieur Houssin, nous vous remercions.

La séance est levée à dix-huit heures dix.