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Intervention de Jacques Fontan

Réunion du 2 juin 2010 à 16h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Jacques Fontan, responsable du centre de vaccination de Capbreton :

Médecin retraité, spécialiste de santé publique et de médecine tropicale, j'ai commencé ma carrière dans le service de santé de la marine. En tant que directeur du centre d'incorporation nationale de la Marine de Hourtin, j'y ai acquis une expérience de vaccination massive, puisque nous pratiquions 3 000 vaccinations par mois. J'ai ensuite rejoint l'équipe de l'Institut de médecine tropicale de Bordeaux 2 où j'ai piloté le diplôme de gestion de soins en milieu tropical.

En juin 2009, quand la direction départementale des affaires sanitaires et sociales des Landes a fait appel à des médecins retraités volontaires pour participer à la campagne de vaccination, je me suis inscrit et j'ai été désigné comme responsable du centre de vaccination de Capbreton. N'ayant aucune compétence technique ou scientifique particulière, c'est un témoignage de terrain que je vous livrerai.

Dans la nomenclature officielle du ministère, le centre de Capbreton apparaissait comme un centre standard à fonctionnement renforcé : ouvert au public sur trois périodes de quatre heures, il fonctionnait sans interruption de huit heures à vingt heures.

Le centre desservait 24 communes pour un bassin de population d'à peu près 60 000 habitants, parmi lesquels on compte 85 médecins généralistes. Le nombre de personnes vaccinées pendant cette période a été de 9 260, ce qui correspond à environ 15 % de la population desservie.

Le local sélectionné par la préfecture se révélant trop petit, nous avons dû déménager en cours de campagne vaccinale dans un nouveau local beaucoup plus grand trouvé par la mairie. Ce déménagement nous a un peu gênés.

Pour chaque vacation, le médecin responsable du centre et l'infirmière coordonnatrice étaient présents en permanence. Deux médecins, cinq infirmières et quatre personnes faisaient partie de l'administration.

Les médecins étaient au nombre de quinze, dont treize retraités, et les infirmiers, au nombre de trente et un, dont cinq retraités, trois infirmiers en disponibilité et vingt-trois infirmiers actifs.

Le personnel administratif comptait douze personnes, dont quatre demandeurs d'emploi.

Je tiens d'emblée à souligner le rôle fondamental joué par la mairie de Capbreton. Elle nous a apporté un appui logistique de tout instant. Sans elle, nous n'aurions pas pu mener à bien notre mission car nous étions très éloignés du chef-lieu du département, Mont-de-Marsan.

Les difficultés que nous avons rencontrées ont été de deux ordres : les unes étaient liées au comportement des patients, les autres aux tâches administratives du centre.

Les premières étaient dues à trois sentiments éprouvés par la population : la suspicion, le désarroi et l'incompréhension.

La lenteur du démarrage de la campagne est à mettre au compte de la suspicion : pendant les trois premiers jours, seules quatre-vingts personnes sont venues se faire vacciner, contre cinq cent vingt la deuxième semaine. La suspicion éprouvée par la population me paraît due à deux facteurs : d'une part, le faible engagement des médecins généralistes locaux au début de la campagne – quand ceux-ci sont venus se faire vacciner, la deuxième semaine, la campagne a vraiment démarré, puisque la courbe de fréquentation est passée de 1 400 à 2 000 personnes par semaine – ; d'autre part, le matraquage médiatique qui véhiculait des messages contradictoires ou paradoxaux : chaque jour, le nombre de morts dus à la grippe A(H1N1) était répété du matin au soir alors qu'il était inférieur à celui de la grippe saisonnière et on n'arrêtait pas d'insister sur le fait que les sujets jeunes couraient plus de risques que les sujets âgés.

Le second sentiment éprouvé par la population était le désarroi. Les débats télévisés où s'affrontaient les experts, aux avis contradictoires, et les informations diffusées sur internet sur la dangerosité des adjuvants – squalène, thiomersal – y ont fortement contribué mais la communication du ministère, annonçant la distribution de deux types de vaccins, un sans adjuvant réservé aux populations fragiles, et l'autre avec adjuvant pour le reste de la population, est venue encore renforcer les craintes. La majorité des patients nous réclamaient un vaccin non adjuvé, si bien que les médecins du centre ont dû passer beaucoup de temps et faire preuve de beaucoup de pédagogie pour les convaincre de se laisser vacciner selon le protocole prescrit. Ce travail d'explication long et fastidieux a souvent eu des conséquences négatives sur le fonctionnement de la chaîne vaccinale.

Le troisième sentiment éprouvé par la population était l'incompréhension face à certaines incohérences. La réception des bons émis par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) en fonction des catégories prioritaires a semblé souvent aléatoire : des malades chroniques les avaient reçus tandis que d'autres non ; dans une même famille, certains membres les avaient reçus, mais d'autres les attendaient encore.

Les changements successifs de protocole vaccinal ont également été difficiles à expliquer aux familles. Au début de la campagne, nous avons vacciné les enfants avec deux doses de Pandemrix. Dix ou quinze jours après, nous avons reçu le Panenza et l'avons donc utilisé pour vacciner les enfants. Mais, comme on ne pouvait pas croiser les vaccins, les premiers enfants qui avaient reçu le Pandemrix ont dû recevoir une deuxième injection de ce vaccin, si bien que, dans une même famille, des enfants ont été vaccinés avec du Panenza et d'autres avec du Pandemrix. À partir du 14 décembre, de nouvelles dispositions vaccinales préconisaient l'injection de deux doses de Panenza jusqu'à huit ans et d'une seule dose de Pandemrix à partir de neuf ans. Tout cela était difficile à comprendre par les familles.

Autre difficulté rencontrée, le poids des tâches administratives, à commencer par l'édition des indispensables bons de vaccination. Le déficit de fréquentation du centre dans les premiers jours de la campagne nous a conduits à proposer une vaccination pour tous, avec ou sans bon. Cette option, posée dès le début, a été appliquée pendant toute la campagne bien qu'elle ne correspondît pas aux annonces des spots télévisés et aux instructions ministérielles qui recommandaient l'ajournement de la vaccination des personnes non prioritaires. Notre choix a rapidement produit ses effets mais nous a contraints à un travail long et pénible : la saisie informatique des bons sur le site ameli.fr (assurance maladie en ligne) de la CNAMTS était complexe. L'édition de ces bons de vaccination a demandé un travail de vérification très rigoureux de la part du secrétariat, et a été une source d'engorgement dans le centre.

Une autre tâche qui nous a incombé, alors qu'elle n'était pas prévue au départ, a été la délivrance de vaccins à des structures extérieures. Nous avons fourni des vaccins aux équipes de l'Éducation nationale et aux établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes. Comme nous nous sommes rapidement rendu compte que ces dernières structures étaient inaptes à assurer des vaccinations fiables, nous avons envoyé des équipes pour procéder à celles-ci. Ces vaccinations nous ont également demandé un gros travail sur le plan administratif puisqu'il fallait vérifier la comptabilité des vaccins et assurer la traçabilité.

Les formalités administratives demandées par l'échelon départemental étaient également contraignantes : compte rendu journalier d'activité, compte rendu de gestion des flacons, statistiques de fréquentation, planning prévisionnel hebdomadaire, fiche de présence quotidienne.

La quantité de documents à fournir pour la rémunération du personnel a été particulièrement lourde. Or, malgré nos efforts pour les envoyer régulièrement, les délais de paiement ont été longs. Le personnel n'a été payé que quatre mois, en moyenne, après le début de la campagne, ce qui a conduit à certaines situations critiques, notamment pour les demandeurs d'emploi.

Je vous ferai part en conclusion du sentiment général de l'équipe vaccinale, que j'ai réunie avant de venir devant vous. Malgré les difficultés dont je viens de parler, malgré le regret de ne pas avoir été associés à la phase de préparation de la vaccination et malgré la déception qu'il n'y ait pas eu de réunion de synthèse, cette expérience a été jugée très positive par l'ensemble de l'équipe : elle a montré qu'un groupe de professionnels inconnus les uns des autres mais motivés pouvait rapidement se structurer et assurer, dans un contexte de crise sanitaire, la mise en place d'une action préventive d'envergure.

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